Les nouveaux habits du classique

Les maisons de disques ne se contentent plus du simple CD pour la musique classique, elles y ajoutent des DVD et autres bonus. Marketing pour étoffer de prestigieux coffrets ? Pas seulement.

La caméra tourne autour Lang Lang, en tennis et tee-shirt criard. Le pianiste chinois enregistre pour DG les deux concertos de Chopin. Gros plan sur les notes virtuoses qu’il articule sur le clavier. On pourrait presque superviser son doigté. C’est comme un making of d’un film, sauf qu’il s’intègre dans un coffret de musique classique, estampillé Limited Deluxe Edition with Bonus DVD.

Le business du disque classique semble apprécier de plus en plus cette combinaison de CD et de DVD, d’audio et de visuel. Il a fallu, pour cela, vaincre plus d’une réticence. Le monde de la musique  » sérieuse  » charrie dans son sillage des relents d’austérité qui le rend incompatible avec le visuel. Il faut fermer les yeux pour mieux percevoir la musique des maîtres ! Pourtant, les artistes d’aujourd’hui ne rechignent plus à chercher dans l’image un complément de bonheur à offrir à leur public.

D’autres pratiques manifestent ce même désir de prolongement visuel du CD classique, bel objet de convoitise pour les collectionneurs. On suggère de découvrir les sites dédiés à l’artiste et à son label. Ainsi, chez EMI, il suffit d’insérer certains CD dans son PC relié à Internet pour profiter d’un  » lien unique  » avec l’artiste. Via le système  » Opendisc « , le consommateur accède à tout un matériel audiovisuel  » bonus « . On s’immerge dans les coulisses du dernier enregistrement du pianiste Aldo Ciccolini ou du flûtiste Emmanuel Pahud. A chaque nouvelle insertion de disques  » éligibles  » du label, une bienvenue personnalisée vous est adressée.

Ces prolongements ne constituent pas de simples cadeaux en images. A travers les faces cachées des réalisations, ils évoquent aussi les composantes d’une élaboration collective. C’est qu’il ne s’agit pas d’un enregistrement où l’interprète se contenterait de reproduire sa performance devant un micro. Au contraire, ces films peuvent révéler les va-et-vient, les hésitations et les interrogations que signifie toute nouvelle lecture d’une partition. En filigranes, ces DVD bonus ont le mérite de rappeler que la musique, fût-elle classique, n’est jamais de marbre, qu’elle n’est pas morte, figée dans un texte. Et qu’il s’en passe des choses, lors des sessions d’enregistrement. Quand ils sont réussis, ces visuels sont susceptibles d’insuffler au classique une verdeur salutaire. Il devient alors stimulant de percevoir la manière dont René Jacobs vit ses directions baroques, pour Harmonia Mundi. Ou comment le jeune pianiste David Fray (Virgin) vit, construit et justifie sa conception étonnamment novatrice des concertos pour clavier de Bach, surtout quand le document filmé porte la griffe du réalisateur Bruno Monsaingeon.

Cette valeur d’illustration libre mais édifiante gagne encore en importance avec la musique contemporaine, réputée ésotérique. Là plus qu’ailleurs, le visuel s’avère un adjuvant indispensable d’initiation. Combien d’auditeurs n’ont-ils pas franchi la frontière de cette musique via leur assistance concrète à une performance-concert ? A fortiori lorsqu’il s’agit d’opéra contemporain. Ce qu’a fort bien compris notre label Cyprès, avec son remarquable coffret consacré à l’opéra de Benoît Mernier : Frühlings Erwachen (couronné du Diapason d’or 2008 !). Avec cette double édition CD et DVD, c’est l’intégralité de l’£uvre qui se trouve présentée sous deux formes : sonore, bien sûr, mais aussi audiovisuelle dans sa captation filmique à la Monnaie, en 2007. Et là, il s’agit moins d’un bonus que d’une double intégraleà

Philippe Marion

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