Pablo Picasso, 1929. © Courtesy McClain Gallery- Succession Picasso, 2017 - Photo Alister Alexander,Camerarts

Les noces rebelles

Cent ans après leur rencontre, une ample exposition parisienne dévoile celle qui fut tour à tour muse et épouse, mère et mégère de Pablo Picasso. Une plongée dans la vie d’Olga Khokhlova, femme aux mille portraits.

Rarement de face, tête légèrement inclinée, pensive, rêveuse, mélancolique, plongée dans un livre ou bien plutôt absente, souriant en de rares occasions – uniquement en compagnie de son fils Paul : voici l’image d’Olga Khokhlova (1891-1955) telle que l’a révélée son génial époux, Pablo Picasso, au cours des dix-huit années qu’ils ont partagées, de 1917 à 1935. Pourtant, malgré le foisonnement des représentations que lui consacre son mari, Olga la muse demeure un mystère. Les spécialistes ayant écrit à son sujet s’étaient jusqu’à présent contentés d’alourdir sa réputation d’épouse jalouse, harceleuse et malade des nerfs, victimisant le pauvre Picasso, qui chercha à échapper à l’emprise de sa femme tout en ne parvenant pas à s’en détacher. Pour célébrer le centenaire de leur rencontre et lui rendre hommage en même temps que justice, le musée Picasso a choisi de présenter la toute première exposition consacrée à celle qui fut d’abord danseuse dans la troupe des Ballets russes de Serge de Diaghilev entre 1911 et 1917, avant de devenir la première épouse de Picasso à une époque où celui-ci aspire à une vie amoureuse et familiale sereine, allant de pair avec la reconnaissance sociale et l’opulence qui deviennent alors les siennes. Une période habituellement assimilée, sur le plan esthétique, à un  » retour néoclassique  » de l’artiste espagnol, et que Joachim Pissarro propose, quant à lui, dans le riche catalogue qui accompagne l’exposition, de rebaptiser  » époque Olga « , pour souligner la place essentielle que la ballerine russe a occupée dans la vie du peintre.

La malle et les maux

Au rez-de-chaussée de l’hôtel Salé, où se trouve le musée à Paris, un objet imposant symbolise avec justesse celle qui demeure encore, sur bien des plans, une énigme : il s’agit de la grande malle- cabine aux initiales d’Olga, demeurée longtemps à l’abri des regards dans la propriété de Boisgeloup (Eure) que le couple Picasso avait acquise en 1930. Elle contenait des photos, des chaussons de danse, des tutus, un crucifix, une bible orthodoxe et, surtout, des centaines de lettres soigneusement attachées par des rubans de soie. Une vaste correspondance qui révèle le drame intérieur que traverse la jeune femme au moment où elle rencontre Picasso à Rome, en 1917 : ayant quitté la Russie tsariste depuis six ans, elle ignore tout des circonstances dramatiques dans lesquelles sa famille survit à la révolution bolchévique puis s’acclimate tant bien que mal de l’époque soviétique. Destin schizophrénique pour cette fille de militaire née en Ukraine en 1891, qui ne reverra jamais les siens et échappe à leur triste sort en découvrant une vie de bohème chic à Paris, Dinard et Monte-Carlo, en compagnie de son célèbre mari.

Au-delà de leur histoire intime s’esquisse donc ici l’histoire politique et sociale de l’entre-deux-guerres, ainsi qu’un beau regard sur l’évolution de l’oeuvre picassienne, envisagée sous le prisme de la domesticité : au fur et à mesure de la dégradation de leur relation conjugale, le peintre fera subir à son modèle privilégié métamorphoses et défigurations. Aimer Picasso et être malheureuse : un destin ?

Olga Picasso, musée national Picasso, à Paris, jusqu’au 3 septembre prochain, www.museepicassoparis.fr

Par Aliénor Debrocq

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