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Les muscles, le propre de l’homme?

Un nombre croissant de jeunes gens s’égarent dans la vision idéale d’un corps musclé – un phénomène qui peut être encore intensifié par les réseaux sociaux et par une crise d’identité.  » Veillez à passer suffisamment de temps dans le monde réel, vous verrez que personne n’est parfait.  »

Sous l’influence des selfies publiés sur Instagram par des adeptes du fitness survitaminés, des jeunes garçons se laissent convaincre qu’un corps bien musclé apporte l’attention dont ils rêvent… Liesbeth Woertman, professeur de psychologie à l’université d’Utrecht, pointe les réseaux sociaux qui placent de plus en plus haut la barre définissant un corps acceptable, mais aussi un phénomène sociétal plus profond, celui de la crise de l’identité masculine: « Depuis les années 1960, la notion de masculinité est fortement mise sous pression. Les femmes ont commencé à travailler, à décider elles-mêmes quand et avec qui elles avaient des enfants, à être de plus en plus indépendantes. En parallèle, les activités professionnelles exigeant une grande force physique se sont faites de plus en plus rares. Le mâle lambda, en particulier dans les classes socio-économiques les plus faibles, a donc de plus en plus de mal à se distinguer. Que signifie aujourd’hui ‘être un homme, un vrai’? »

Les muscles, le propre de l'homme?

Les jeunes gens d’aujourd’hui sont aussi incités à prendre soin d’eux: on trouve aujourd’hui des gammes de cosmétiques masculines. « Certains hommes rencontrent un franc succès sur les réseaux sociaux grâce à un corps musclé et soigné, et cette image influence ceux qui manquent de confiance en eux. Idem pour les publicités qui suggèrent qu’un parfum, un teint bronzé, un corps musclé les rendront attirants, leur promettent en filigrane que c’est la clé pour attirer les regards. Une tablette de chocolat ou des épaules de rugbyman représentent, en ce sens, une sorte d’ultime point de repère. »

Photos artificielles

Mais la spécialiste précise que la quête de la beauté a toujours existé: « Par le passé, les nobles mettaient en avant leur statut en portant des vêtements de velours et des perruques poudrées. » C’est désormais sur les réseaux sociaux que les jeunes montrent leurs atouts.

« Au début de la puberté, il est logique pour les jeunes de s’interroger sur leur identité personnelle et sur leur positionnement vis-à-vis des autres. » Mais le problème est que les photos partagées par les jeunes sont rarement authentiques, transformées à grand renfort de filtres et autres manipulations pour obtenir le cliché parfait, poursuit Liesbeth Woertman. Les influenceurs renforcent encore cette tendance en s’extasiant sur la perfection (apparente) des autres. Google et Snapchat ont d’ailleurs encore mis en garde contre cette tendance dans le courant de l’année dernière, avec une campagne contre le recours standard aux filtres dans les app photographiques.

« Nous vivons aujourd’hui dans une culture de l’image, beaucoup plus passive que, par exemple, la culture du langage dans laquelle j’ai grandi. Un visuel nous influence avant même que nous n’ayons fait quoi que ce soit: nous voulons ressembler au modèle sur la photo, le plus souvent sans réfléchir. Si ces images reflétaient une réalité diverse, cela ne poserait pas de problème car personne n’est parfait, en particulier au cours de la croissance, lorsque le corps évolue en permanence. L’idéal de perfection figé qui existe à l’heure actuelle est aux antipodes de cette réalité. »

Photos de classe manipulées

« Dans ma jeunesse, j’étais entourée d’individus réels, poursuit la psychologue. La voisine était gentille, ma maman intelligente, tonton était drôle et tata avait de beaux yeux, mais personne n’avait toutes ces qualités en même temps. De nos jours, les jeunes aspirent à se conformer à une image idéale uniforme et les réseaux sociaux alimentent la tendance à se voir à travers les yeux des autres. Certes nous n’existons jamais qu’en relation avec autrui, mais nous avons un peu perdu en cours de route le sens de ce qui vient vraiment de nous. Nous avons pourtant le droit de céder à la fatigue et de ne pas sourire pour la photo lorsque nous sommes tristes. »

Aux Pays-Bas, quelques écoles fondamentales ont même « photoshoppé » leurs photos de classe pour « améliorer » l’apparence des enfants – notamment à la demande de certains parents, relate avec stupéfaction le Pr Woertman. « Ceci illustre bien combien même les jeunes parents sont contaminés par des canons de beauté contraignants. Heureusement, la plupart posent encore sur leurs rejetons un regard rempli d’amour et de bienveillance… mais il y a aussi des mamans obsédées par leur ligne et des papas qui ne cessent de se plaindre qu’ils ne sont pas assez musclés, ce qui affecte inévitablement la vision que leurs enfants ont d’eux-mêmes. »

Le conseil du Pr Woertman aux jeunes d’aujourd’hui est de passer suffisamment de temps dans le monde réel. « S’ils rencontrent vraiment les autres, ils verront très vite que la perfection n’existe pas. On peut espérer que cela les poussera à placer la barre un peu moins haut pour eux-mêmes, car même le plus beau gars de la classe a ses défauts. Personnellement, je plaide pour que l’on revalorise plutôt des qualités intemporelles comme la gentillesse, l’humour et l’empathie, d’autant que le physique est par définition périssable. »

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