Les métiers qui résistent à la crise

Avec la crise, l’emploi trinque. La Sonaca en est un exemple récent. Et ce n’est pas fini : la Banque nationale de Belgique fait état de 140 000 emplois supprimés entre fin 2008 et fin 2010. Pourtant, certains métiers résistent encore et toujours à la morosité, voire profitent de la crise. Enquête sur la potion magique dont s’abreuvent ces irréductibles.

Interminable, cette crise ! Dans les entreprises, on n’entrevoit pas le bout du tunnel. Même les plus optimistes peinent à dégager des signaux positifs. Un retour à la croissance est attendu au détour de 2010. Mais la reprise de l’emploi ne se fera pas avant la fin de l’année prochaine. Au mieux. C’est la Banque nationale de Belgique qui le dit. D’ici là, les travailleurs vont encore souffrir. L’OCDE abonde : d’après les prévisions de cette organisation qui regroupe les pays les plus riches de la planète, le nombre de chômeurs passera, dans la zone, de 34 millions en 2008 à 42,1 millions l’an prochain. Soit la plus forte progression du chômage enregistrée dans les pays de l’OCDE depuis le début des années 1990.

Tous les secteurs et tous les métiers ne sont toutefois pas logés à la même enseigne. Certains souffrent plus que d’autres.  » Le secteur automobile et l’industrie lourde connaissent une crise structurelle et non pas simplement conjoncturelle, illustre Philippe Meysman, directeur recrutement & sélection chez Hudson. La crise économique ne vient qu’accentuer un déclin qui préexistait. Les métiers bancaires sont quant à eux sous la loupe en raison des difficultés rencontrées par le secteur et des regroupements qu’il connaît. Les fonctions administratives sont également très touchées, car perçues comme des postes de coûts – voire parfois de luxe – que l’on peut donc rationaliser. « 

A l’inverse, d’autres secteurs ou métiers  » résistent  » plutôt bien. C’est le cas, par exemple, des fameuses  » fonctions critiques « , ces professions pour lesquelles les offres d’emploi sont très difficilement satisfaites.  » Ces fonctions sont en quelque sorte protégées, tant elles sont rares sur le marché : s’en séparer pour les réengager à la reprise provoquerait des coûts jugés bien trop importants, commente Gilles Klass, Deputy General Manager chez Mercuri Urval. Les employeurs préfèrent donc faire le gros dos plutôt que de risquer de les perdre. Mais nous n’observons pas encore, en vue d’embaucher ces profils, de véritable démarche proactive qui spéculerait sur l’hypothèse qu’il y a peut-être davantage de candidats disponibles sur le marché. Lorsque ce sera le cas, on pourra parler de signe tangible de reprise.  »

Denrées rares

D’après une enquête réalisée chaque année à la veille de l’été par Manpower, un employeur belge sur cinq peinerait encore, en dépit de la crise, à trouver le personnel qualifié dont il a besoin. En tête du classement des fonctions les plus difficiles à pourvoir, on retrouve les techniciens (maintenance) ainsi que les ouvriers qualifiés (soudeurs, électriciens, maçons) et non qualifiés, trois profils qui occupaient déjà une place élevée l’an passé. Le reste du top 10 présente un mélange bigarré de fonctions des secteurs les plus divers (logistique, vente, technologies de l’information IT, horeca, soins de santé).  » On y voit apparaître les commerciaux, particulièrement difficiles à trouver en raison du manque de connaissance linguistique, note Philippe Lacroix, Managing Director de Manpower Belgium. On y voit également les profils IT possédant non seulement les compétences et les certifications informatiques, mais aussi les qualités nécessaires au plan des aptitudes comportementales.  »

Pour le sud du pays, le Forem vient lui aussi d’actualiser sa liste de fonctions très difficiles à pourvoir. Au total, 55 professions ont été identifiées comme  » critiques  » en Région wallonne pour l’année 2008. Malgré la crise, 14 % des entreprises déclarent également rencontrer des difficultés pour recruter, soit par manque de candidats, soit parce que le temps nécessaire pour trouver un travailleur est jugé trop long. La comparaison avec les années précédentes indique une certaine stabilité pour certaines professions. C’est le cas pour les métiers d’ infirmier, de couvreur, de tuyauteur industriel et de maintenicien des systèmes thermiques, climatiques et frigorifiques.

Pas moins de seize métiers apparaissent toutefois dans la liste alors qu’ils n’y figuraient pas en 2006 et 2007 : les ergothérapeutes, les polymainteniciens, les agents d’encadrement de construction mécanique, les techniciens d’installation d’équipements industriels et professionnels ou encore les mainteniciens en électronique. D’autres métiers – comme les opérateurs-régleurs sur machine-outil, les soudeurs, les mécaniciens et les électriciens de maintenance – sont par contre devenus moins difficiles à recruter : ces derniers ont vu le taux de satisfaction des offres d’emploi considérablement augmenter ces derniers mois.

 » Les ingénieurs et les techniciens restent des denrées rares, précise Philippe Meysman. Tout simplement faute de diplômés en quantité suffisante : pour ne prendre que l’exemple de la Flandre, le nombre d’ingénieurs industriels qui sortent des Hautes Ecoles est 2,5 fois inférieur à celui d’il y a vingt ans ! Voilà qui pose clairement un problème dans des secteurs comme les hautes technologies ou les biotechnologies. Les fonctions liées à la maintenance prennent par ailleurs une importance considérable si l’on veut que l’outil puisse repartir à plein régime au moment où la reprise se marquera.  »

Autres fonctions à tirer leur épingle du jeu : les spécialistes de la maîtrise des coûts.  » C’est classique : l’entreprise dispose de deux leviers essentiels, à savoir l’augmentation du chiffre d’affaires et la réduction des coûts, rappelle Gilles Klass. La crise vient renforcer l’intensité de ces deux leviers. Avec cette particularité que, vu l’intensité de la récession, les entreprises mettent plutôt l’accent sur le contrôle des coûts.  » Voilà qui donne de l’ouvrage aux analystes financiers, contrôleurs de gestion et autres experts en  » revenue management « , ainsi qu’aux fiscalistes.  » Un engineering fiscal bien ficelé peut contribuer à faire économiser pas mal d’argent « , note Philippe Meysman.

Les bons commerciaux sont également très prisés.  » Si l’on veut sortir de la crise, la différence se fera en vendant plus, mais aussi en vendant mieux, ajoute-t-il. Plus que jamais, le nerf de la guerre consiste à remplir le carnet de commandes.  » Pour Gilles Klass, le profil du vendeur évoluerait vers le business development.  » En temps normal, les commerciaux sont surtout chargés de développer un marché existant, alors qu’aujourd’hui l’accent est mis davantage sur la recherche de nouveaux clients, l’exploration d’autres marchés et l’approche d’autres zones géographiques.  »

Une certitude : dans la crise, le spécialiste s’en sortira toujours mieux que le généraliste. On le voit très clairement en IT. Les profils qui souffrent sont surtout les fonctions de support et de helpdesk, indique Jean-Marc Van Hoofstadt, Operations Manager chez Elan, spécialiste du recrutement des informaticiens.  » Par contre, les spécialistes des technologies SharePoint, les architectes Java et, plus largement, les profils SAP sont extrêmement prisés. Plutôt que d’en mettre davantage sur le marché, la crise les rend très prudents dans la recherche de nouvelles opportunités. Ils privilégient la sécurité et, quand un nouveau défi se présente, ils acceptent la première offre plutôt que de se mettre aux enchères. Résultat : il y a moins de bons profils disponibles, et ils le sont moins longtemps.  »

Métier méconnu

Les entreprises de  » projectsourcing  » ont, elles aussi, des difficultés à trouver de nouveaux collaborateurs. Leur activité consiste à affecter leurs travailleurs spécialisés à des projets ou parties de projets d’entreprises clientes. A l’origine spécialisé dans les projets techniques et informatiques, le secteur tend à se diversifier vers des projets à caractère financier, juridique, administratif, RH, marketing, etc.  » Aujourd’hui, des travailleurs qualifiés perdent leur job ou voient leur emploi menacé, observe Federgon Projectsourcing, l’association du secteur. De nombreux travailleurs plus âgés rencontrent des difficultés à retrouver un emploi alors qu’ils pourraient travailler dans la gestion de projets. Ce paradoxe s’explique en partie par le fait que ce métier reste encore méconnu dans notre pays.  »

Reconnu en matière de recrutement de haut niveau, Mercuri Urval constate qu’au même titre que les compétences spécialisées ou rares, les  » fonctions uniques  » échappent à la crise.  » Si vous avez cinq ingénieurs dans une équipe de production, il est sans doute possible de faire front avec quatre d’entre eux en répartissant la charge de travail du cinquième, confie Gilles Klass. Ce n’est pas possible pour la fonction de directeur général ou celle de directeur de département. Par ce simple fait, les fonctions exécutives connaissent moins la crise. Si le directeur financier quitte l’entreprise, il faut le remplacer. On ne peut faire sans.  »

A ce titre, et malgré la conjoncture actuelle, il reste difficile d’attirer les profils financiers, révèle le cabinet spécialisé Robert Half sur la base de son Indice de recrutement financier. Les fonctions de management financier, suivies par les analystes financiers/business, les experts-comptables, les auditeurs internes et les contrôleurs sont les plus délicates à pourvoir. Pour une entreprise sur quatre, il faut six à dix semaines pour engager un nouvel employé pour le département financier et 16 % d’entre elles ont même besoin de onze à vingt semaines. Au niveau du management, il faut parfois jusqu’à trente semaines !

Quant au secteur public, il se porte bien, merci pour lui ! En marge de la publication de son rapport annuel, le Selor, bureau de sélection de l’administration fédérale, pointait un intérêt accru pour les emplois dans l’administration. Pour certaines sélections, la crise semble amener entre 20 % et 40 % d’inscriptions en plus. De même, son site Web recense une augmentation de 25 % des visiteurs. Et la base de données CV connaît une explosion des inscriptions de l’ordre de 400 % !  » La sécurité d’emploi explique en partie cet attrait, mais ce n’est pas la seule motivation, estime-t-on au Selor. La possibilité d’exercer un emploi à impact social joue aussi. Cela se marque plus encore chez les jeunes qui cultivent le besoin de faire quelque chose d’utile. Très peu d’entre eux souhaitent uniquement enrichir leur employeur…  »

Non seulement, l’administration ne licencie pas – du moins jusqu’à présent – en raison de la conjoncture économique, mais en plus elle engage. D’ici à quelques années, toute une génération aura en effet atteint l’âge de la retraite. A l’horizon 2020, ce sont pas moins de 40 % des fonctionnaires fédéraux – soit environ 32 000 personnes – qui quitteront le marché du travail. Les hypothèses politiques en discussion actuellement au plan fédéral indiquent que tous ne seront pas remplacés, mais les besoins sont réels et importants.

Pénurie dans les soins de santé

Le non-marchand – et, en particulier, le secteur des soins de santé – se trouve face au même type de défis. Avec, de surcroît, le problème de certaines pénuries tenaces. Randstad Medical annonce ainsi recruter des dizaines de profils infirmiers et paramédicaux. Il s’agit d’emplois à temps plein ou à temps partiel, des jobs fixes ou temporaires, dans des hôpitaux, des maisons de repos ou dans le secteur des soins à domicile.

Dans un tout autre registre, les producteurs de biens de grande consommation et la grande distribution continuent à offrir certaines perspectives.  » Ces derniers couvrent des besoins vitaux – se nourrir, etc. – et ce type d’industrie de proximité n’est pas facilement délocalisable, explique Philippe Meysman. Si les ventes baissent de quelques pour cent, ce n’est en rien comparable aux baisses de volumes de 50 % à 60 % enregistrées dans l’industrie traditionnelle. Les acheteurs ont notamment la cote, dans la perspective de regrouper ou de rationaliser les achats afin de susciter des économies d’échelle ou de mettre la pression sur les fournisseurs.  »

Vous ne vous retrouvez pas dans cet inventaire des métiers qui résistent à la crise ?  » Dites-vous bien que, quels que soient le secteur ou la fonction dans lesquels vous évoluez, le vrai défi consiste à développer votre valeur ajoutée, de manière à vous rendre extrêmement utile, sinon indispensable, pour votre entreprise, conclut Gilles Klass. C’est moins votre fonction que la façon dont vous l’exercez, votre attitude et votre contribution personnelle au succès de votre entreprise qui fera que vous « résisterez » à la crise. Il est donc essentiel de vous remettre en question, et plus encore si vous exercez une fonction facile à remplacer, pour identifier des pistes de développement et d’amélioration vous rendant indispensable. Il s’agit là du meilleur remède anticrise… « 

CHRISTOPHE LO GIUDICE

le spécialiste s’en sortira toujours mieux que le généraliste

explosion de 400 % des inscriptions sur la base de données cv du selor

un employeur sur cinq peinerait à trouver du personnel qualifié

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