Les méthodes  » musclées  » des Tchétchènes en Belgique

La Ville de Mons voulait engager des Tchétchènes comme stewards. Elle a fait marche arrière. Extorsions de fonds, recouvrements de créance,  » contrats « , règlements de comptes : certains Tchétchènes font peur.

Etonnant ! Il y a quelques mois, la Ville de Mons a failli engager comme stewards des Tchétchènes bien connus des services de police de Verviers. Leur mission ? Sécuriser les abords de la gare. Ouille ! Sans mandat légal, certains Tché-tchènes proposent de protéger des commerçants en échange d’une contribution financière répétitive. On appelle ça du racket. Dûment avertis, les services montois ont bloqué les engagements. L’anecdote en dit long sur la méfiance, voire la peur qu’inspirent les Tchétchènes adeptes de la pure force physique. Divers procès ont déjà révélé le caractère  » musclé  » de leurs activités, notamment en matière d’extorsion de fonds ou de récupération de dettes. Le 5 août dernier, en pleine nuit, une vingtaine d’entre eux ont envahi le centre pour réfugiés de la Rode Kruis de Houthalen (Limbourg) et ont bastonné des Afghans. Un règlement de comptes entre passeurs de migrants ? L’enquête est en cours. Tout comme celle sur l’assassinat du châtelain de Wingene (Flandre occidentale), au début du mois de février dernier, prémédité par des membres de sa belle-famille mais dont les exécutants pourraient être des Tché-tchènes.

Les mêmes bases claniques que dans leur pays

Nombreux sont les membres honnêtes de cette communauté à subir le contrecoup de cette mauvaise réputation. Ils ne collaborent pas pour autant avec la justice.  » Il est impossible d’obtenir d’eux des informations sur les malfrats dont ils condamnent pourtant le comportement, relève un policier. Ils sont très soudés : les conflits se règlent via des conseils de sages qui se sont formés sur les mêmes bases claniques que dans leur pays d’origine.  » Certaines affaires arrivent cependant aux oreilles de la police. En 2011, le tribunal correctionnel de Verviers a condamné à quatre ans de prison un individu âgé de 32 ans qui avait tiré sur un compatriote, le blessant aux jambes. Il était excédé par les remontrances de la victime, un homme influent de la communauté tchétchène qui lui reprochait de ne pas  » tenir  » ses femmes. Son épouse et sa s£ur auraient dû, selon ce dernier, porter le voile et des jupes plus longues. A l’audience, la juge a stigmatisé l’usage par le prévenu d’une arme sans avoir parlementé et le refus d’appeler la police,  » un comportement hautement antisocial « . L’homme a expliqué que s’il avait voulu tuer sa victime, il aurait visé la tête.  » Je voulais le blesser pour qu’il me laisse en paix.  » Simple et net.

Deuxième communauté nord-caucasienne

Avec 500 Tchétchènes établis dans son arrondissement, Verviers est, avec Bruxelles, Anvers, Ostende, Courtrai, Roulers, Louvain, Malines et Arlon, une des places fortes de ces Nord-Caucasiens de nationalité russe. Ils ont fui les deux guerres russo-tchétchènes (1994-1996 et 1999-2000) ou sont attitrés par la prospérité de l’Occident. Les flux migratoires ont amené des personnes sans histoire et parfois très qualifiées (députés, ingénieurs, médecins), mais aussi des criminels déjà ancrés dans la  » mafia russe « . L’Office des étrangers évalue à 12 000 le nombre de Nord-Caucasiens présents en Belgique (dont une minorité originaire des républiques voisines du Daguestan et d’Ingouchie). La Belgique abrite donc la deuxième plus importante communauté nord-caucasienne d’Europe occidentale, après celle vivant en Autriche (36 000 personnes). Avec les risques qui en découlent…

Les orphelins des guerres atroces des années 1990 courent davantage le risque de verser dans la violence ou le radicalisme religieux s’ils grandissent dans un foyer sans homme. Car l’autorité, dans la culture ultra-machiste des Tchétchènes, est exercée non par la mère mais par l’aîné des fils. La preuve avec Lors Doukaev, un Liégeois arrêté le 10 septembre 2010 à Copenhague et âgé aujourd’hui de 26 ans, qui purge une peine de douze ans de prison au Danemark pour tentative d’attentat. On le soupçonne d’avoir voulu profiter de la date symbolique du 11 septembre pour décupler l’impact de l’attentat kamikaze qu’il se préparait à commettre contre le journal danois Jyllands Posten,  » coupable  » d’avoir publié des caricatures de Mahomet.

Amputé d’une partie de sa jambe suite à une blessure de grenade lorsqu’il était enfant, Doukaev était arrivé en Belgique avec sa mère et sa s£ur en 2000. Devenu belge en 2006, il fréquentait une école d’architecture et, inévitablement, une salle de sport : le Boxing Club Cocktail de Droixhe. Car, en plus des belles voitures, les sports de combat et les armes sont des signes obligés de virilité pour les Tchétchènes. Lors Doukaev a été qualifié de  » loup solitaire  » par la Sûreté de l’Etat. Or il ne s’est pas radicalisé tout seul mais au sein d’un milieu porteur, comme Mohamed Merah à Toulouse. Seule une enquête approfondie permettra d’en savoir plus sur ses connexions.

Un vrai motif d’inquiétude

Selon les déclarations d’André Vandoren, le patron de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam), les Tché-tchènes constituent un vrai motif d’inquiétude pour la sécurité publique. L’islam sunnite pratiqué par ces rudes montagnards était à l’origine teinté de soufisme, plus spiritualiste, avec des réminiscences de traditions pré- islamiques. Les guerres de Tché- tchénie opposant des chrétiens orthodoxes (les Russes) à des musulmans irrédentistes, endoctrinés par des combattants salafistes venus du monde arabe, ont renforcé leurs sentiments  » religieux « .

La Sûreté de l’Etat confirme que le groupe Emirat du Caucase, inscrit en 2011 sur la liste des organisations terroristes de l’ONU, a des militants actifs en Belgique. Ces derniers ne visent pas directement notre pays, mais offrent un appui logistique, financier, de propagande et de recrutement au combat armé qui se mène en Russie au nom de l’islam radical. En juin dernier s’est tenu, à Malines, le procès pour terrorisme d’un groupe anversois de 14 personnes, principalement d’origine marocaine, mais comprenant un Tché-tchène Isa A., 44 ans, qui collectait de l’argent et tentait de recruter des jeunes pour le groupe Emirat du Caucase. D’autres enquêtes coordonnées par le parquet fédéral et portant sur les activités d’individus d’origine tché-tchène sont en cours.

L’affaire d’Anvers, comme d’autres relevant du grand banditisme, montre, en tout cas, que des Tchétchènes s’intègrent de mieux en mieux aux milieux radicaux ou criminels européens, collaborant avec des Marocains pour des projets terroristes (largement inaboutis) ou avec des Albanais pour le trafic de véhicules et la récupération de créances. Incontournables sur le terrain, ils sont utilisés actuellement comme exécutants, sans toutefois répondre aux critères définissant une organisation criminelle.  » Ils tentent de s’introduire dans les milieux du gardiennage privé, mais le ministère de l’Intérieur bloque toute demande d’agréation de leur part, relève un policier. Ce qui n’empêche pas des patrons de boîtes de nuit de faire appel à eux clandestinement.  » A leurs risques et périls. Car les portiers tché-tchènes sont réputés s’imposer comme des  » protecteurs  » très entêtés et très intéressés par l’argent. Des commerçants et un indépendant liégeois ont abandonné leur métier après avoir été harcelés pendant des mois par des hommes originaires de Tché-tchénie. Cela se passait en 2004 et 2008. Les malfaiteurs ont été jugés fin mai par le tribunal correctionnel de Liège : cinq ans de prison ferme pour le meneur, Roustan M., absent au moment du procès.

Mais il arrive aussi que des Tchétchènes soient eux-mêmes menacés en Belgique. Les tueurs à la solde du régime de Grozny, où règne Ramzan Kadyrov, l’allié des Russes, ont déjà exécuté des opposants de haut rang à Vienne (Autriche), Istanbul (Turquie) et Dubaï, en 2009 et 2010. Ils pourraient aussi avoir pour cibles des personnalités de l’opposition résidant en Belgique. Cela explique – mais en partie seulement – le réflexe d’assiégés des Caucasiens du Nord, ne comptant que sur leur propre force.

MARIE-CÉCILE ROYEN

 » L’Office des étrangers évalue à 12 000 le nombre de Nord-Caucasiens présents en Belgique « 

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