Les messagers de l’ombre

Dans les coulisses du rendez-vous de Washington s’activent des émissaires méconnus, du confident de Netanyahou aux sherpas de Mahmoud Abbas. D’eux aussi dépendent les maigres chances des négociations directes.

L’anecdote date d’une douzaine d’années, au temps du premier mandat de Benyamin Netanyahou à la tête du gouvernement israélien. A la faveur d’une âpre séance de travail, l’avocat Yitzhak Molho, émissaire personnel de  » Bibi « , croise le fer avec Saëb Erakat, négociateur en chef de l’Autorité palestinienne. L’échange vire à l’aigre.  » Tu m’exaspères tellement que je serais capable d’arrêter de fumer !  » lâche tout à trac le sanguin Saëb.  » Pas chicheà « , riposte suavement le juriste. Erreur. Le fils de Jéricho a bien renoncé, depuis lors, au tabac. Sujet à l’embonpoint, il s’astreint d’ailleurs, chaque matin, à une demi-heure de footing sur tapis roulant.

On prend les mêmes, quitte à recommencerà Au lendemain du cérémonial censé marquer, le 2 septembre à Washington, la reprise des  » négociations directes « , suspendues voilà vingt mois, c’est à Molho et à Erakat qu’échoit l’honneur ingrat de conduire dans la coulisse les tractations. Si tractations il y a. Nul ne se berce d’illusions. Il faudrait un miracle pour que ce énième épisode du feuilleton proche-oriental accouche avant un an, échéance arrêtée par le parrain américain, d’un accord de paix digne de ce nom. De même, on ne saurait surestimer le poids des fantassins de la  » négo  » et des messagers de l’ombre quand s’étalent au grand jour, et ce, depuis des lustres, les termes du contentieux. Etat palestinien, tracé des frontières, retour des réfugiés, sort des colonies juives, statut de Jérusalem : le voyage entrepris voilà deux décennies à Madrid avec escales à Oslo, Wye River, Camp David, Taba (Egypte), Aqaba (Jordanie) et Annapolis n’a mené nulle part. Sinon, pour l’Autorité que préside Mahmoud Abbas, à Canossa. Il n’empêche. Si la Terre tant promise échappe un jour à ce mortel statu quo, le mérite en reviendra aussi à une poignée de soutiers méconnus.

Héritier d’une dynastie patriote et libérale venue de Salonique, Yitzhak Molho, 65 ans, perpétue un archétype récurrent de la scène israélienne : le confident appelé à contourner, voire à court-circuiter, un ministre des Affaires étrangères moins choisi que subi, coalition oblige ; en l’occurrence, le boutefeu Avigdor Lieberman.

S’il n’est pas sectaire, Molho a des principes

 » Molho, tranche un diplomate, c’est l’homme de confiance par excellence.  » Son crédit vient de loin. Le prospère cabinet d’avocats qu’il anime, depuis 1978, avec son beau-frère David Shimron, cousin de Bibi, a maintes fois défendu – à titre gracieux, dit-on – les intérêts de la famille Netanyahou. Dans son fichier de clients, éclectique et copieux, figurent la colombe travailliste Shlomo Ben-Ami, le consulat général des Etats-Unis à Jérusalem ou le Vatican. S’il n’est pas sectaire, l’homme a des principes. Au point de se mettre en congé de prétoire tant qu’il joue, là encore sans toucher un shekel, les missi dominici.

Tel fut le cas dès l’hiver 1996-1997, quand Me Molho négocia en tête à tête avec Yasser Arafat – qu’il aurait, selon le quotidien Haaretz, rencontré une cinquantaine de fois – l’épineux  » redéploiement  » de Tsahal hors d’Hébron. C’est encore lui que l’on dépêche auprès du raïs palestinien lorsque l’orage gronde, ou pour le remercier d’avoir contribué à la traque des assassins d’un chauffeur de taxi israélien. Au printemps 2009, dès son retour à la primature, Netanyahou assigne à son ami une nouvelle mission de  » conseiller et envoyé spécial pour le processus de paix « , peu après lui avoir confié la conduite des vains marchandages engagés avec sa rivale Tzipi Livni, chef de file du parti de centre-droit Kadima. Depuis lors, Yitzhak Molho a maintes fois traversé l’Atlantique, notamment pour discuter du gel de l’extension des colonies juives en Cisjordanie, objet d’un moratoire qui expire le 26 septembre, ou de l’enquête sur l’assaut meurtrier, fin mai, de la  » flottille humanitaire  » en route pour Gaza. Respecté à Washington, à Bruxelles et jusqu’au sein des régimes arabes modérés, partisan de la discrétion et des  » back channels  » (canaux secrets), le confident favori se dit adepte du compromis. A la différence d’autres sherpas influents de Bibi, à commencer par l’ombrageux Uzi Arad, conseiller à la sécurité nationale.

Sauf rupture prématurée des pourparlers – l’hypothèse n’a rien d’absurde – Molho bataillera sous peu avec Saëb Erakat, déjà cité, ou Yasser Abed Rabbo, vétérans du dialogue de sourds avec l’Etat hébreu. Mais sans doute croisera-t-il aussi tel ou tel de ces jeunes experts palestiniens, trentenaires ou quadras rompus aux finesses du droit international, appelés à alimenter leurs aînés en munitions techniques ou juridiques. Figure de proue de cette équipe, le chrétien Issa Kassisieh, familier des rouages de l’Autorité – qu’il s’agisse du cabinet de Mahmoud Abbas ou du Département des négociations de l’OLP – et des forums israélo-palestiniens. En novembre 2007, cet expert du statut de Jérusalem côtoie députés de la Knesset et cadres du Fatah au sein d’une  » mission de paix conjointe  » invitée par le Département d’Etat américain. Quatre ans plus tôt, il participait déjà aux ateliers animés par Roger Fisher, professeur de droit de Harvard et gourou de la résolution des conflits.

L’optimisme de la volonté…

De son séjour sur le prestigieux campus du Massachusetts, Kassisieh garde un souvenir contrasté. Lors d’un défilé d’étudiants, point d’orgue du 25e anniversaire de la Kennedy School of Governement, on lui interdit de brandir comme ses congénères les couleurs de sa patrie. Ce qui vaudra au président de l’université une pétition, signée par une centaine de stagiaires, et une tribune navrée dans le Harvard Crimson, quotidien étudiant.  » Le jour où ce drapeau ne sera plus entre les mains de notre leadership laïc, y écrit Issa, il risque fort de virer au vert, couleur des islamistes.  »

Empruntant à Gramsci sa formule, on voudrait croire que l’optimisme de la volonté l’emportera cette fois sur le pessimisme de la lucidité. Dénouement improbable : si Saëb Erakat se remet à fumer sur les rives du Potomac, ce ne sera sans doute pas le calumet de la paix.

VINCENT HUGEUX, AVEC BENJAMIN BARTHE, à RAMALLAH.

il faudrait un miracle pour accoucher d’un accord de paix avant un an

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