Les médias à l’ère numérique

Depuis plusieurs mois, les groupes de presse se ruent vers l’iPad, tablant sur une relance des ventes. Mais le modèle économique imposé par Apple est controversé.

C’est la ruée vers l’iPad. Depuis plusieurs mois, les éditeurs du monde entier manifestent un engouement massif pour la tablette d’Apple. Le Monde, Libération, ABC, New York Times, El País… La plupart des groupes médias se dépêchent d’investir la fameuse ardoise magique dont le lancement mondial a pulvérisé tous les records de vente pour un produit électronique grand public. La raison de cette excitation est limpide : en dix ans, Apple est parvenu à créer quasiment le seul écosystème numérique où l’internaute accepte d’ouvrir son portefeuille pour consommer du contenu. Créé en 2001, iTunes s’est imposé comme l’incontournable plate-forme de téléchargement musical qui génère quelque 80 % des ventes de musique en ligne à l’échelle planétaire. En se précipitant sur l’iPad, les éditeurs espèrent participer au même cercle vertueux et revenir à la belle époque où l’utilisateur acceptait de payer avant de consulter de l’information.

 » Nous pensons effectivement que l’iPad est une révolution, explique Jos Grobben, éditeur des magazines néerlandophones du groupe Roularta dont fait partie Le Vif/L’Express (1). Tout d’abord, il s’agit d’une technologie très intuitive, à la portée du plus grand nombre. Ensuite, la qualité d’affichage est excellente. Enfin, l’iPad offre plus de possibilités que les autres tablettes sorties jusqu’ici, tout en fixant une barrière à l’entrée assez faible. Quand Internet est arrivé, les éditeurs avaient besoin d’une expertise qu’ils ne possédaient pas en interne (développement, graphisme…). Sur l’iPad, il est facile d’exporter ses magazines.  » Jos Grobben fait toutefois preuve d’un optimisme prudent.  » Les tablettes sont appelées à évoluer et personne ne connaît leur avenir. Souvenez-vous des premiers GSM au début des années 1990 et comparez-les aux téléphones intelligents d’aujourd’hui. « 

A court terme, les médias devront vivre avec les règles économiques propres à Apple et celles-ci ne sont pas les mêmes que chez le marchand de journaux. S’il veut être présent dans l’App-Store (boutique virtuelle d’applications pour les terminaux d’Apple), tout éditeur doit céder 30 % des recettes à la société de Steve Jobs. Cette commission s’applique aux applications (lorsqu’elles sont payantes), mais aussi aux achats que l’utilisateur effectue au sein de ces mêmes applications. Lorsqu’il vend un journal en PDF à 79 centimes dans son application, l’éditeur reçoit ainsi 55 centimes… moins la TVA qui s’élève à 21 % pour les biens numériques. A moins de recourir à des moyens de paiement alternatifs comme PingPing, porte-monnaie électronique de Belgacom moins gourmand en commission (17 %), mais ils supposent un développement technologique supplémentaire dans l’application… et une transaction moins fluide que celle,  » native « , chez Apple, où tout achat est automatiquement débité de votre compte sur iTunes (lire aussi en p. 56).

On voit donc que l’équation n’est pas simple à résoudre. A cet égard, les premiers résultats enregistrés par la presse belge sont contrastés. A la mi-septembre, De Standaard annonçait écouler désormais chaque jour près de mille exemplaires de son quotidien sur iPad et iPhone.  » Ces chiffres s’ajoutent aux ventes classiques de journaux « , précise Mark Daemen, Webvertising Manager chez Corelio qui publie le journal flamand. Un score certes encourageant, mais encore anecdotique face à la diffusion payante globale du Standaard (90 000 exemplaires).

Dans ce contexte, certains éditeurs de la presse périodique ont fait le choix de rejoindre Zinio, une plate-forme électronique venue des Etats-Unis et qui leur fournit une solution  » clé en main « .  » Nous garantissons contractuellement la marge de l’éditeur et nous nous chargeons de négocier la commission directement auprès d’Apple en tant que distributeur « , explique Joseph Pérez-Pla, directeur du développement commercial.  » En outre, l’éditeur peut fixer librement le prix de son magazine, chose impossible lorsque le magazine est vendu sur l’AppStore sans notre intermédiaire.  » Côté lecteur, l’utilité de Zinio est principalement ergonomique : on peut acheter un abonnement ou un numéro à l’unité, puis lire la publication sur tous les supports, quel que soit votre médium favori : ordinateur, téléphones intelligents ou tablettes interactives.

Zinio affirme compter déjà quelque 2 500 titres internationaux à son actif, dont plusieurs marques prestigieuses ( The Economist, Harvard Business Review, National Geographic…). En Belgique, ce kiosque virtuel a conclu des premiers accords avec Roularta Media Group, Hachette Edition Ventures et le Groupe Bayard, soit un portefeuille global de 200 magazines dans les deux langues.  » De notre côté, nous avons opté pour une double présence « , explique Jos Grobben.  » Nos magazines seront disponibles à la fois sur Zinio ainsi que sur leurs applications propres.  »

Bref, l’arrivée des tablettes va probablement redistribuer des cartes dans l’industrie de la presse… mais l’iPad et ses concurrents peuvent-ils réellement la sortir de son déclin structurel ? Alain Lambrechts, directeur général de la Febelma (Fédération belge des magazines), estime que  » le numérique nous confronte à un double défi. Le premier est le modèle économique. Le second renvoie aux possibilités qu’offrent les tablettes interactives et qui obligent les éditeurs à revenir à leurs fondamentaux de producteurs de contenu, au sens fort de l’expression. « 

(1) Outre Le Vif/L’Express, d’autres titres du groupe Roularta sont disponibles en version numérique sur l’iPhone et l’iPad, comme Trends-Tendances, Sport Footmagazine et Knack.

OLIVIER DE DONCKER

Les tablettes redistribuent les cartes dans la presse

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