Les magistrats dans les méandres du dossier Fortis

Si la commission d’enquête parlementaire  » séparation des pouvoirs  » doit un jour entamer ses travaux, voilà sur quel genre de cafouillages elle tombera, immanquablement, côté magistrature. Mais ce n’est qu’une face du problème : les politiques et leurs satellites devront également se remettre en question.

Première instance

AU PARQUET (magistrature debout, dépendant hiérarchiquement du ministre de la Justice, mais indépendante dans sa fonction juridictionnelle).

>Ancien assistant parlementaire du sénateur Hugo Vandenberghe (CD&V), Paul Dhaeyer venait d’être promu à la tête de la section  » finances  » du parquet de Bruxelles. Il avait décliné l’offre d’intégrer le cabinet du Premier ministre Yves Leterme. Son ancien collègue, le substitut Pim Vanwalleghem (parquet de Bruxelles, étiqueté CD&V), avait, lui, accepté de devenir conseiller du Premier ministre.

>Paul Dhaeyer était-il obligé de rendre un avis dans l’affaire Fortis ? Non. Dans les matières civiles et commerciales, l’avis du parquet, ou ministère public, est facultatif. Il est même plutôt rare devant le tribunal de commerce. Il ne lie en rien le juge.

>Cet avis, rédigé d’une manière pénale, prenait l’Etat belge à rebrousse-poil. Malgré l’importance de l’affaire, il n’aurait pas été concerté avec le procureur du roi de Bruxelles Bruno Bulthé (Open VLD).

>Ayant eu vent de l’avis en préparation, les chefs de cabinet d’Yves Leterme et de Didier Reynders, ministre des Finances (MR), ont envoyé Pim Vanwalleghem aux nouvelles auprès de Dhaeyer. Celui-ci aurait décrit brièvement son raisonnement. Puis, l’ayant rendu public, il a rappelé le chef de cabinet du Premier ministre pour le commenter. Son interlocuteur n’a pas pris la communication.

AU SIÈGE(magistrature assise, totalement indépendante).

Présidente du tribunal de commerce de Bruxelles, Francine De Tandt (étiquetée CD&V), a démenti avec hauteur les insinuations faisant état d’influences politiques sur sa décision. Elle a validé la transaction de l’Etat belge, moyennant l’obtention d’une plus grande transparence.

Appel

AU PARQUET

>L’avocat général Pierre Morlet (étiqueté MR) jouit d’un respect unanime pour ses compétences intellectuelles et son autorité morale. C’est lui qui, au parquet général de Bruxelles, est en charge des enquêtes disciplinaires et pénales touchant aux magistrats. Dans l’affaire Fortis, il a rendu un avis diamétralement opposé à celui de première instance, ce qui n’a rien d’anormal (c’est l’intérêt du  » second regard « ), même si cela peut dérouter le citoyen. Pas plus qu’en première instance, la cour d’appel n’est liée par cet avis.

>Comme la loi l’y autorise, le procureur général près la cour d’appel de Bruxelles Marc de le Court (connoté CDH) a été dépêché par le ministre de la Justice chez le premier président de la cour d’appel Guy Delvoie (Open VLD), afin de voir ce qui se tramait à la 18e chambre de la cour d’appel de Bruxelles. L’information était, en effet, parvenue en haut lieu que la conseillère Christine Schurmans (CD&V), épouse d’un proche du chef de cabinet d’Yves Leterme, s’opposait farouchement, dans le dossier Fortis, à ses deux collègues, le président Paul Blondeel (SP. A) et la conseillère Mireille Salmon (PS), qui penchaient en faveur de la thèse des petits actionnaires.

>Le procureur général, qui est chargé de vérifier la régularité du service des cours et tribunaux, suggéra une solution à Guy Delvoie : que le siège soit entièrement renouvelé. Sa démarche, rapportée immédiatement à Ghislain Londers, premier président de la Cour de cassation, aurait été interprétée par celui-ci comme l’indice d’une pression.

>Pierre Morlet est l’auteur, avec Marc de le Court, d’un rapport au ministre de la Justice Jo Vandeurzen (CD&V) qui dénonce l’illégalité des actes procéduraux qui auraient pu entourer l’arrêt du 12 décembre. Sur cette base, le ministre pouvait prier le procureur général près la Cour de cassation, Jean-François Leclercq (PS), de demander à la Cour de cassation l’annulation de l’arrêt pour abus de pouvoir. Jo Vandeurzen a-t-il été fragilisé par l’affaire Kitty van Nieuwenhuysen ? Toujours est-il qu’il ne semble pas qu’une telle démarche ait été faite. Son successeur, Stefaan De Clerck (CD&V), pourrait encore agir dans ce sens.

AU SIÈGE

>Le premier président de la cour d’appel Guy Delvoie a mélangé de fortes têtes pour rendre l’arrêt Fortis : deux Flamands, Paul Blondeel et Christine Schurmans, et une francophone, Mireille Salmon. L’un ou l’autre magistrat francophone qui auraient pu fort bien présider la chambre se seraient mis hors course, car actionnaires ou épargnants Fortis (les magistrats flamands étant plutôt chez KBC).

>D’après le texte de sa plainte, Christine Schurmans, en désaccord avec ses deux collègues, aurait subi de leur part de vives pressions. Couverte par un certificat médical, elle a refusé d’apposer sa signature au bas de l’arrêt, bien que Paul Blondeel se soit rendu jusqu’à sa porte, dans la banlieue d’Anvers, pour l’obtenir. Sur elle pèse le soupçon d’avoir trahi son secret professionnel en s’ouvrant à son mari, proche du chef de cabinet du Premier ministre, de ses difficultés professionnelles. Dans une conversation avec le chef de cabinet de Leterme, ce mari demandait pour son épouse une place dans le  » comité Lamfalussy « , lequel doit mettre au point le nouveau code de bonne gouvernance des banques.

>Les deux rescapés de la 18e chambre, Paul Blondeel et Mireille Salmon, auraient tenté le coup de force en rejetant la demande de réouverture des débats formulée par les avocats de l’Etat belge et de BNP Paribas, en rendant, dans le même mouvement, l’arrêt suspendant le rachat de Fortis par BNP Paribas, le 12 décembre.

>Quid du chef de corps Guy Delvoie s’en allant consulter le degré supérieur, la cassation, sans parvenir à mettre de l’ordre dans ses rangs, face à une affaire qui, manifestement, divise, à trois contre trois (Dhaeyer, Blondeel, Salmon versus De Tandt, Morlet, Schurmans) ? Certes, il ne pouvait pas s’immiscer dans leur délibéré. Mais il pouvait s’ouvrir à son supérieur hiérarchique des difficultés qu’il rencontrait dans sa cour.

Cassation

AU PARQUET

>Le 28 janvier, le procureur général près la Cour de cassation, Jean-François Leclerq (PS), a écrit une lettre désapprobatrice et désolée à Ghislain Londers, premier président de la Cour de cassation. Lors de l’affaire Dutroux, c’est Eliane Liekendael, procureure générale, qui avait défendu publiquement le point de vue de l’institution judiciaire.

AU SIÈGE

>Dans son courrier du 19 décembre 2008 au président de la Chambre, Herman Van Rompuy (CD&V), Ghislain Londers lui communique des informations relatives à ce qu’il considère comme des indices de pressions. Le Code judiciaire ne connaît pas cette forme de communication avec le pouvoir législatif. Par ailleurs, le haut magistrat aurait refusé de recevoir l’avocat de Christine Schurmans, dont il cite le nom, en la soupçonnant d’avoir trahi le secret du délibéré. Le bruit circule également que le président de la Cour de cassation Yvan Verougstraete (CD&V) ferait l’objet d’une procédure disciplinaire parce que la conseillère de la 18e chambre aurait recherché ses conseils. n

NB : les étiquettes politiques sont données par réputation. Elles n’impliquent pas que les magistrats vont chercher leurs ordres dans des états-majors de parti ni même qu’ils en possèdent la carte.

M.-C.R.

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