» Les labos doivent faire leur révolution culturelle « 

Le Vif/L’Express : Les firmes pharmaceutiques sont souvent accusées d’avoir privilégié leurs intérêts sur le bien-être et la santé des populations. Comment avez-vous vécu ce dilemme entre l’intérêt des actionnaires et celui de millions de malades ?

Mohand Sidi Saïd : Les industriels tardent à comprendre qu’on ne peut, sans réagir, laisser des fléaux comme le sida ou la malaria décimer des populations entières. A propos du commerce des médicaments dans les pays émergents, j’ai été l’un des premiers à adopter et à défendre une position intermédiaire entre celle des défenseurs des patients et celle des détenteurs du capital : les citoyens aisés doivent payer leur traitement au juste prix pour contribuer à l’effort de recherche ; mais leurs compatriotes démunis, qui ont aussi droit aux soins, y compris les plus innovants, doivent, eux, être soignés gratuitement. Je milite pour une industrie pharmaceutique sensible, pragmatique et qui fait preuve de décence.

Concrètement, que reprochez-vous à l’industrie pharmaceutique ?

Notre secteur s’est longtemps montré arrogant vis-à-vis du reste de la société. Seuls deux individus trouvaient grâce à ses yeux : le médecin prescripteur et le pharmacien vendeur. J’ai parfois tenté, sans doute en raison de mes origines modestes, de contenir les excès de largesses, ce que l’on nomme les dépenses de marketing et de promotion. Sous la pression des médias et des associations de patients, l’industrie a, heureusement, adopté de meilleures pratiques, un code de bonne conduite. Elle descend de son piédestal, mais sa révolution culturelle reste à faire.

On n’atteint plus, dans les sociétés pharmaceutiques, les marges de profit fixées par la direction. D’où des restructurations, des licenciements. Un secteur mal en point ?

La crise économique a réduit sa marge de man£uvre. L’industrie pharmaceutique connaît aussi une crise sectorielle liée à l’essoufflement de la recherche de nouvelles molécules et à la promotion des médicaments génériques. Un vaste arsenal thérapeutique est déjà constitué, notamment dans le domaine de l’hypertension. Les décideurs sont aujourd’hui enclins à privilégier la performance à court terme par rapport aux valeurs humaines. De plus, l’industrie reste, malgré de multiples concentrations, fragmentée, donc sujette à une concurrence intense. Mais elle a encore de belles décennies devant elle. Il faut espérer que les sociétés qui gagnent aujourd’hui beaucoup d’argent grâce aux génériques, médicaments équivalents à ceux d’une marque mais non issus de la recherche, prennent le risque de se lancer à leur tour dans la recherche.

N’est-ce pas inquiétant qu’il y ait moins d’innovation qu’autrefois dans les laboratoires ?

L’industrie pharmaceutique a éparpillé ses efforts et négligé l’importance prise par les génériques. Elle s’efforce de rattraper son retard en réduisant les marges et les prix. Cela prendra du temps, mais je reste optimiste pour l’avenir et j’ai confiance dans la valeur des chercheurs. Je vous donne rendez-vous dans vingt ans : le sida, le cancer et la maladie d’Alzheimer ne seront plus des maladies mortelles, mais des affections chroniques maîtrisées, à l’instar du diabète ou de l’hypertension aujourd’hui. L’objet de la recherche ne sera plus tant de prolonger la durée de la vie que d’assurer à nos aînés un vieillissement confortable. Mais les médicaments ne sont pas tout. Les citoyens doivent aussi changer leur comportement, avoir une hygiène de vie. Ce n’est pas parce que 30 % des Américains sont en surpoids qu’on doit considérer comme normal que 15 % des Européens le soient aussi. La pratique régulière d’un sport réduit significativement les risques de maladies cardio-vasculaires ou dégénératives, comme Alzheimer. Encourager la pratique du sport, de l’école au bureau, est une mesure de santé publique qui s’impose.

ENTRETIEN : OLIVIER ROGEAU

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