» Les Immortels savent ce qu’écrire veut dire « 

François Weyergans détient trois nationalités – la belge, la française et une autre, qu’il garde secrète ( » Mes passeports ne regardent que la police « ). Depuis le 26 mars, ce cinéaste et écrivain peu prolifique (douze livres et cinq longs-métrages en trente-six ans) mais à l’ouvre abondamment couronnée, prendra possession d’un fauteuil particulièrement convoité : il vient d’être élu à l’Académie française… brûlant la politesse, in extremis, à huit autres candidats, dont Didier van Cauwelaert, qu’on donnait favori. Aujourd’hui, Weyergans, 67 ans, partage sa résidence entre une maison de campagne près de Dunkerque, où il trouve le calme, et un appartement parisien que lui met à disposition son ami Jean-Luc Delarue. Assez réservé, un peu bougon, c’est là qu’il a accepté de commenter son élection.

Le Vif/L’Express : Vous venez d’être élu à l’Académie française, en posant votre candidature à la dernière minute. C’était pour embêter vos rivaux ?

> François Weyergans : Mais non, pas du tout. Le délai n’a rien à voir avec ça. Il y avait un règlement, et j’étais parfaitement dans les temps. Voici trois mois, je n’y pensais même pas. Le désir est venu tout d’un coup. Je me suis dit que c’était le moyen de réaliser un vieux rêve : à 14 ans, j’admirais beaucoup Cocteau, et quand il entra à l’Académie, je fus  » déçu en bien « , comme on dit au Québec…

Après votre élection, qu’avez-vous enregistré comme réactions ?

> Beaucoup se demandent ce que je vais faire dans cette galère. Moi, je trouve l’Académie très intéressante. C’est l’ institution elle-même, qui existe depuis plus de trois siècles, depuis Louis XIII, et qui a compté des gens aussi illustres que Racine, Voltaire, La Bruyère, Vigny, qui me passionne avant tout. Elle est plus  » forte  » que les personnes qui la composent.

Qui sont, parmi ses représentants actuels, ceux que vous préférez ?

> J’admire l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, en premier lieu. Depuis peu, cet immense esprit du xxe siècle a 100 ans. Le fait qu’il ait voulu entrer à l’Académie française m’a aussi poussé à m’y présenter.

Et les membres que vous détestez, quels sont-ils ?

> Le romancier que je suis ne déteste personne ! Un académicien est né en 1913 sous le nom de Louis Carette, à Cortenberg, près de Bruxelles. Je n’ai pas lu le livre où, sous le nom de Félicien Marceau, il évoque son passage à la radio belge pendant la Seconde Guerre mondiale. Je ne détesterais pas en parler avec lui… J’ai beaucoup à apprendre de quelqu’une comme Hélène Carrère d’Encausse, fine connaisseuse de la Russie…

Maurice Druon, qui en a été le secrétaire perpétuel, vient de mourir à presque 91 ans. Vous avez des regrets de ne pas l’y avoir côtoyé ?

> Mais je connaissais Maurice Druon ! Vous savez, je vis à Paris depuis plus de quarante ans. J’ai rencontré plein de monde…

Quelles seront vos tâches, à l’Académie française ?

> Comme les autres. D’abord, lors de ma séance de réception, prévue en mars 2010, je dois prononcer l’éloge de mon prédécesseur, Maurice Rheims. Elu en vingt jours, je serai reçu un an plus tard ! Ensuite, participer à la rédaction du dictionnaire. L’Académie a pour mission de fixer la langue française, en préservant les mots anciens et en veillant à en introduire de nouveaux. On en est, je crois, à la lettre  » p  » de la neuvième édition. ça m’amuse beaucoup de faire ça avec mes collègues : tous sont des auteurs qui, d’une façon ou d’une autre, ont peiné devant des pages blanches. Ils savent ce qu’écrire veut dire…

Occuper l’un des fauteuils des quarante immortels, est-ce la  » consécration suprême  » ?

> C’est parfaitement ridicule, comme expression. Appliquée à quoi que ce soit, d’ailleurs.

Mais vous rêvez à quoi, à présent ?

> A continuer d’écrire mes livres. Cette candidature m’a quand même pris un mois, durant lequel j’ai envoyé une lettre personnelle à chacun des Immortels. ça m’a tenu temporairement éloigné de mon prochain roman, et c’est un peu douloureux.

Sur quoi vous penchez-vous désormais ?

> J’ai plusieurs livres en cours…

Vous n’en direz pas plus ?

> C’est difficile d’écrire, et difficile d’en parler. J’ai plusieurs sujets. Les évoquer, ça risque de trop les  » fixer « . Le fait de raconter l’histoire avant qu’elle ne soit terminée m’en détache, en général. Je n’en parle à personne, même pas aux gens proches de moi.

Vous ne les laissez même pas lire des petits morceaux ?

> Non, non et non !

Dites, vous n’aimez pas tellement les interviews, hein ?

> J’ai été critique littéraire. Je constate souvent que les journalistes d’aujourd’hui n’ont pas une réelle connaissance des gens qu’ils interrogent. Ils se contentent de picorer des trucs les concernant, essentiellement sur Internet…

Vous mettez tout le temps en scène des écrivains qui écrivent eux-mêmes sur des écrivains qui vous ressemblent ! C’est perturbant !

> Oui, je joue avec ça… Et puis je rencontre des gens que je n’ai jamais vus de ma vie, et qui, sans me connaître, m’assurent que, dans mon dernier livre, l’auteur en question, c’est tout à fait moi…

Dans Je suis écrivain, l’un de vos quasi- « sosies » prétend que, gamin, il a écrit à Pie XII. Avez-vous correspondu avec le pape ?

> Non, c’est inventé. Mais le narrateur raconte, dans le même livre, qu’il a envoyé une lettre à Hillary et à Tensing, les deux premiers alpinistes qui ont conquis l’Everest. Et ça, c’est vrai : j’ai même reçu une photo d’eux, dédicacée, dont j’étais très fier…

Les rapports que vos héros entretiennent avec leurs parents, étaient-ce aussi les vôtres ?

> Un mélange. Des étudiants de Taïwan, qui ont lu Trois Jours chez ma mère, se sont posé la même question. Ils ont vu, dans ce respect pour les aînés qu’on inculquait en Belgique aux enfants catholiques des années 1950, une sorte de  » morale confucéenne « . Ce thème des relations parents-enfants a aussi fortement marqué un groupe de lecteurs allemands, tous fils et filles de communistes. Apparemment, ça touche beaucoup de monde.

Cela vous contrarie ?

> Non, mais pas mal de gens pensent qu’ils vont trouver dans mes romans des conseils psychologiques pour résoudre leurs conflits affectifs. On a l’impression que la littérature, de nos jours, doit être absolument  » de service « . Comme si elle devait donner des clés pour répondre aux interrogations du style  » Comment bien s’entendre avec x ou y « . Moi, je n’écris pas des livres pour réconcilier les familles…

Mais vous voyez régulièrement votre vieille maman de 94 ans…

> Oui. Elle habite Bruxelles. Et elle adore les pigeonneaux rôtis du Métropole…

J’insiste : lequel de vos romans emporte le plus votre faveur ?

> Je préfère m’occuper de ce que je suis en train d’écrire. Les livres passés ne m’intéressent plus trop. Je leur consacre du temps quand ils sortent, parce qu’il faut les pousser à  » s’établir « . Après… je leur apporte seulement une aide  » technique « , quand ils paraissent en traductions.

Vous les lisez donc en langue étrangère ?

> J’ai toujours l’un ou l’autre ami fiable qui maîtrise la langue en question. Mais je finis aussi par repérer les problèmes de traduction. Si vous avez développé une idée en trois phrases et que vous en retrouvez six… c’est que le traducteur a  » expliqué  » vos phrases. Je mets beaucoup d’ellipses dans mes textes : les traducteurs ont tendance à vouloir développer ce qu’ils en ont compris, plutôt que de traduire simplement… Des Japonais m’ont dit que la traduction de Trois Jours chez ma mère était ratée. La version en chinois mandarin, en revanche, était parfaite.

Vous êtes très sollicité ?

> Les conférences, je n’en donne plus du tout : trop fatigant. Aucune envie de parler pendant des heures d’affilée. J’accepte encore les rencontres avec les étudiants, partout dans le monde. Et je garde un excellent souvenir d’une tournée littéraire de dix jours dans plusieurs villes de Flandres, de Hasselt à Bruges, avec des confrères néerlandophones comme Bernard Dewulf et l’acteur Axel Daeseleire, et d’autres dont, à ma grande confusion, je ne retrouve pas les noms en ce moment.

Les membres de notre famille royale, ça vous dit encore quelque chose ?

> A une récente Foire du livre, le fils aîné du roi est venu me demander une dédicace. Impossible de me rappeler comment il s’appelait. J’ai été sauvé par deux passantes que j’ai entendues chuchoter :  » Tiens, voilà le prince Philippe… « 

On dit que vous êtes un peu paresseux…

> Des gens croient que je  » glande « , pour reprendre leur vocabulaire. La vérité est que je travaille énormément. Pour écrire, il faut aller puiser loin en soi, et aussi penser beaucoup, auparavant. Il ne faudrait pas déduire du fait que je publie peu que je travaille peu. J’ai besoin de longues périodes de gestation, je rédige énormément de pages, que je réduis progressivement, un peu comme les têtes d’Indiens Jivaros.

Ou comme le concentré de tomate…

> Oui, c’est bien ça. L’image convient mieux… J’ai aussi le souci du lecteur : j’écris pour être lu, pas pour vider mes tripes. Le contenu de mes intestins, je l’évacue ailleurs.

Au fond, en privé, vous êtes plutôt du genre pitre ou sérieux ?

> Drôle ? Mais c’est la moindre des politesses d’être drôle ! Zoé, ma petite-fille de 7 ans, me dit qu’elle m’aime parce que je la fais rire… Dernièrement, je n’avais même pas de ketchup pour elle à la campagne et… Bon, vous savez, ces histoires-là, qui parlent de la vie réelle, sont tout à coup plus intéressantes que l’Académie…

A propos, votre costume d’Immortel, qui est quand même assez rigolo, avec son bicorne, il est déjà prêt ?

> Non. J’essaierais bien de le faire dessiner par un jeune couturier anversois. Je sais qu’il doit impérativement être de couleur verte, avec des broderies en forme de branches d’olivier. Mais peut-être qu’on peut y placer une petite touche d’originalité ?

Comme quoi ? Des pattes d’eph’ ?

> Je ne sais pas. Vous m’en demandez trop. Je vais commencer par demander le cahier des charges à l’Académie… l

Propos recueillis par valérie colin

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