Les grands patrons gagneront un peu moins

Les premiers rapports annuels publiés cette année dévoilent une tendance : les rémunérations des grands capitaines d’industrie devraient fondre en raison de la baisse des résultats.

Ils gagnent des centaines de milliers, voire des millions d’euros par an. Les patrons des grandes entreprises belges vont pourtant voir leurs revenus diminuer cette année. Depuis plusieurs mois, la crise économique affecte les entreprises, tous secteurs confondus. Les actionnaires en paient le prix depuis la mi-2007, début de l’inexorable dégringolade des marchés boursiers. Les travailleurs en sont aussi victimes : au dernier trimestre 2008, les chiffres de l’emploi on stagné, selon la Banque nationale, qui prévoit 26 000 suppressions de postes de travail en Belgique cette année. A présent, c’est au tour des dirigeants de société de payer leur tribut à la crise.

A l’échelon international, plusieurs patrons ont dû renoncer à leur bonus annuel. Chez nous, les comptes bancaires des grands capitaines d’industrie seront également moins bien garnis cette année. C’est du moins ce qui ressort de la récente publication des premiers rapports annuels relatifs à l’année 2008. Parmi les sociétés du Bel 20, trois groupes belges ont déjà dévoilé les rémunérations de leurs dirigeants : AB InBev, GBL et Befimmo. On a ainsi appris que Carlos Brito, le CEO ( chief executive officer) du premier groupe brassicole mondial, ne recevrait pas de bonus au titre de l’exercice 2008. Motif :  » La croissance organique du résultat d’exploitation brut visée n’a pas été atteinte.  » C’est une perte sévère pour ce patron qui avait reçu un bonus de 3,4 millions d’euros un an plus tôt, ce qui en avait fait le patron le mieux payé de Belgique, avec une rémunération totale de 4,25 millions d’euros. Certes, il s’agit d’un montant brut, mais cette somme faramineuse avait suscité bien des commentaires à l’époque. Toujours est-il que le salaire de Brito se limite désormais au fixe de 1,02 million d’euros. Il y a peut-être là une forme de compensation puisque sa rémunération de base s’élevait  » seulement  » à 850 000 euros l’année précédente. Le n°1 d’AB InBev n’est de toute façon pas à plaindre, puisqu’à l’occasion de la fusion entre InBev et Anheuser-Busch, en novembre 2008, il a reçu un paquet de 3,25 millions d’options, pour une valeur d’exercice de 10,32 euros par titre. Voilà donc Brito grassement récompensé d’avoir mené à bien une acquisition gigantesque. De quoi faire oublier les objectifs financiers manqués.

Un autre célèbre dirigeant belge a admis un petit effort financier en pleine crise économique : Albert Frère, administrateur délégué de GBL (Groupe Bruxelles Lambert), a vu sa rémunération annuelle tomber de 3,9 à 3,5 millions d’euros. Ici aussi, c’est le bonus qui a trinqué. Le patron de GBL avait reçu un salaire variable de 1 million d’euros l’année passée : il doit désormais se  » contenter  » de la moitié. On est bien loin des émoluments d’un autre patron d’une société du Bel 20, Benoît De Blieck, administrateur délégué de Befimmo, une sicafi (société d’investissement à capital fixe immobilier), qui vient d’intégrer l’indice belge. L’exercice financier de l’entreprise est décalé par rapport à l’année civile : il court d’octobre à septembre, Befimmo n’a donc pas encore tenu compte des pires moments de la crise économique lors de l’attribution des salaires de ses dirigeants. Il n’empêche que les gains de son patron ont déjà baissé : 470 000 euros, contre 500 000 euros lors de l’exercice précédent. Ici aussi, le bonus a fondu : il est passé de 180 000 à 120 000 euros.

A cette époque de l’année, on ne dispose pas encore des chiffres des salaires des patrons des autres grandes entreprises belges. Mais ces trois exemples montrent la tendance de cette année : les salaires des  » big boss  » sont en baisse et ce sont surtout les bonus qui en pâtissent. Exception faite de l’imposant cadeau offert à Carlos Brito pour l’acquisition rondement menée d’Anheuser-Busch, les récompenses variables de la plupart des grands capitaines d’industrie devraient s’amenuiser. C’est un renversement de tendance par rapport à l’année dernière. A l’époque, on pouvait constater que les salaires des patrons étaient quasiment tous en hausse, parfois même très nettement et ce, justement grâce aux bonus.

La baisse des rémunérations patronales est toutefois à relativiser puisqu’on part de montants antérieurs particulièrement élevés.  » Indécents « , disent les détracteurs de l’inflation des gros salaires. Ainsi, le patron le moins bien payé parmi les sociétés du Bel 20 a tout de même touché plus de 450 000 euros en 2007, qu’il s’agisse de Jan Cassiman (Omega Pharma), lequel a reçu 480 000 euros, ou de Jef Colruyt (groupe Colruyt), ce dernier ayant touché au moins 470 000 euros. Parmi les groupes belges qui figurent dans l’indice vedette de la Bourse de Bruxelles, Colruyt est en effet l’un de ceux qui refusent de publier la rémunération individuelle de chaque dirigeant. On connaît donc seulement l’enveloppe globale accordée au comité exécutif, dont on peut calculer la moyenne par membre, tout en gardant à l’esprit que l’administrateur délégué reçoit généralement des émoluments nettement plus élevés que ceux de ses collègues au sein de ce comité…

Respect de la vie privée et solidarité collégiale

Une autre société se montre discrète sur le salaire individuel de son patron : il s’agit de KBC. Ces deux entreprises doivent justifier leur décision de ne pas dévoiler la paie de leur chef, conformément au Code de bonne gouvernance. Si Colruyt invoque  » le respect de la vie privée des membres du groupe de direction « , KBC souligne, quant à elle, que son  » comité de direction est un organe collégial et solidaire, dont le président agit en qualité de primus interpares « . A ce titre,  » il n’agit donc pas en qualité de CEO opérationnel et de représentant responsable de l’entreprise « , ajoute le groupe financier.  » Dès lors, KBC Groupe SA estime qu’il est inopportun de communiquer le montant de la rémunération d’un membre de ce collège, même s’il en est le président.  »

Les dix-huit autres sociétés du Bel 20 détaillent, quant à elles, leur plus gros salaire chaque année. Dans les prochaines semaines, on saura donc si la tendance observée chez GBL, AB InBev et Befimmo se confirme. Les rapports annuels de leurs cons£urs au sein de l’indice boursier seront publiés dans les jours qui viennent. La presse en fera, comme tous les ans, largement écho.

En observant les variations par rapport aux années précédentes, il faudra toutefois garder à l’esprit qu’en 2008 plusieurs sociétés ont remplacé le plus haut représentant de leur hiérarchie. Chez certaines, comme Mobistar, le mandat a pris cours dès le début de l’année. Chez d’autres, comme Fortis, le changement d’administrateur délégué est intervenu en cours d’exercice. D’une année à l’autre, la rémunération peut donc aussi varier selon la personne qui occupe le poste de patron. Un poste qui, désormais, rapportera donc manifestement un peu moins qu’auparavant…

Philippe Galloy

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