Le 5 juillet dernier, à Bruxelles, des manifestantes protestent contre l'autorisation accordée par la justice à la haute école Francisco Ferrer d'interdire le port du voile. L'accès des femmes voilées à l'emploi dans l'administration participe du même combat. © BELGAIMAGE

 » Les femmes voilées trouvent difficilement un emploi « 

Faut-il autoriser le port du voile dans l’administration ? Une motion du conseil communal de Molenbeek ouvre une brèche dans le principe de neutralité des services publics pour favoriser l’emploi des femmes musulmanes. La neutralité ne dépend pas que de l’apparence, avance Soizic Dubot, coordinatrice nationale de Vie féminine.

La motion adoptée par le conseil communal de Molenbeek, qui ouvre la voie à l’autorisation du port du voile au sein de l’administration, répond-elle, selon vous, à une attente ?

On observe en tout cas que le marché de l’emploi est marqué par une ethno- stratification, attestée par des études régulières, dont celle du Monitoring socio-économique (NDLR : développé par le Service public fédéral Travail, Emploi et Concertation sociale et par Unia, le service public indépendant de lutte contre les discriminations et de promotion de l’égalité des chances). Cela répond à des questions sur le marché de l’emploi en tant que tel. Et une de celles-ci a trait au fait que certaines femmes musulmanes qui portent le voile ne trouvent pas d’emploi, ou difficilement. Soit elles sont contraintes d’occuper certaines places qui ne sont pas celles qui correspondent à leurs compétences ni celles qu’elles visent. Soit elles doivent mettre en oeuvre des stratégies face aux discriminations qu’elles subissent sur le marché de l’emploi.

Souvent, le voile vient cacher la question de la neutralité de traitement.

A-t-on pu évaluer l’ampleur de l’impact qu’a le rejet du port du voile sur l’embauche ?

C’est un phénomène qui nous revient beaucoup au niveau des témoignages. De même, les plaintes adressées pour ce même motif sont très présentes dans le rapport d’Unia.

La neutralité de l’administration n’est-elle cependant pas mise en danger par ces éventuelles exceptions ? Le bénéfice en matière d’accession à l’emploi peut-il les justifier ?

Cette fameuse neutralité est un noeud du débat. Qu’appelle-t-on une neutralité ? Est-ce une neutralité d’apparence, une neutralité d’action ? Et comment se traduit-elle ? Peut-elle s’exercer aussi de la part d’une personne employée, dans le traitement des dossiers, par une objectivité effective ? Cette question diffère de celle de l’apparence. Il faut se demander s’il n’y a qu’une seule vision de la neutralité dans l’administration ou s’il en existe des différentes. Une personne employée qui a des compétences ne doit-elle pas rendre compte de ses actes ? Ne doit-elle pas être garante d’un cadre ? Et sur quelles bases ce cadre repose-t-il ? Doit-il reposer en premier lieu sur l’apparence ? N’y a-t-il pas d’autres dimensions qui entrent en ligne de compte et qui engagent la personne dans ses actes ? Au sein d’une administration publique, je pense qu’il faut garantir un cadre neutre par rapport au traitement, sans discrimination. Souvent, le voile vient un peu cacher cette question. Il y a une autre question derrière celle du voile, autre que simplement celle de l’apparence.

Soizic Dubot, coordinatrice nationale de Vie féminine, en charge de l'analyse de l'actualité et des politiques socio-économiques.
Soizic Dubot, coordinatrice nationale de Vie féminine, en charge de l’analyse de l’actualité et des politiques socio-économiques.© DR

Le débat n’est-il pas rendu encore plus compliqué par les décisions de justice variables ? Le tribunal du travail a donné raison en 2015 à des employées d’Actiris qui réclamaient de pouvoir porter le voile. La Cour constitutionnelle a autorisé récemment la Ville de Bruxelles à l’interdire aux étudiantes de la haute école Francisco Ferrer…

On perçoit que c’est un débat récurrent qui ne concerne pas que le secteur de l’emploi, avec les interrogations qui reviennent souvent au moment des rentrées scolaires. Je pense que c’est dommageable quant aux compétences. Des personnes sont poussées à renoncer à certaines écoles, à certains types d’emploi, à une partie de soi-même ou à faire appel à beaucoup d’ingéniosité pour trouver des contournements ou, carrément, pour entrer en résistance. Les stratégies sont multiples. Mais pour certaines, c’est assez préjudiciable. Et cela s’ancre dans une hostilité qui dépasse le marché de l’emploi, qui s’exerce aussi dans la rue à l’égard des femmes voilées quand elles vont faire leurs courses et sont sujettes à des remarques, voire à de l’hostilité. Il y a aussi ce cadre plus large qui se focalise particulièrement sur les femmes musulmanes qui portent le voile.

Que pensez-vous de l’accusation de premier pas vers une islamisation de la fonction publique belge que représenterait une initiative comme celle de Molenbeek ?

Je n’avais pas encore entendu cet élément dans ce dossier-là. L’exprimer est en tout cas révélateur de craintes qui dépassent cette seule question. C’est un discours que l’on entend sur d’autres thèmes avec un certain fantasme du  » grand remplacement « . Cette vision n’est pas du tout en phase avec les chiffres et les réalités. On voit comment une décision s’ancre dans un contexte beaucoup plus large. Malheureusement, les personnes racisées, et en particulier les femmes musulmanes qui portent le voile, en font les frais en matière de revenus, de possibilités d’emploi, Derrière cela, il y a des situations très concrètes et très dommageables au quotidien. Des espoirs sont gâchés. Des compétences ne sont pas reconnues. De la haine s’exprime.

Le laboratoire de Molenbeek

Lors de sa réunion du lundi 31 août dernier, le conseil communal de Molenbeek a adopté une motion qui  » réclame une approche ouverte et pratique de la neutralité dans le service rendu au(x) citoyenn.e.s molenbeekois.e.s par l’administration communale « . Ce texte ouvre la voie à l’autorisation du port du voile au sein de l’administration. Un groupe de travail devra faire des propositions dans ce sens d’ici à la fin de l’année. Ce texte a été approuvé par le PS, le SP.A, Ecolo, le CDH et le PTB. La majorité communale molenbeekoise est composée du PS et du MR. La bourgmestre Catherine Moureaux (PS) s’est refusée à tout commentaire. Sa première échevine, Françoise Schepmans (MR), a réclamé que la Région de Bruxelles-Capitale se saisisse de la question pour éviter une  » neutralité à la carte « , selon les communes. Nous avons sollicité plusieurs élues de partis ayant voté la résolution, afin de leur permettre de défendre leur position. Aucune n’a souhaité s’exprimer.

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