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Les fantômes d ‘Alain Berenboom

L’auteur de Monsieur Optimiste et valeur sûre des lettres belges offre une sixième aventure à son détective bruxellois Michel Van Loo, parti chasser les fantômes dans un château hennuyer. Un opus toujours plein de zwanze, cette fois plus proche de Jean Ray que de Simenon.

Quand Alain Berenboom vous reçoit dans son alcôve de l’hôtel Otlet à Bruxelles – le majestueux bâtiment Art nouveau qui abrite son bureau d’avocat spécialiste du droit d’auteur, mais également, par une porte dérobée, un incroyable atelier d’artistes qui les a vus s’y succéder depuis cent vingt-cinq ans, et où l’avocat devenu écrivain y rédige la plupart de ses romans (une quinzaine depuis vingt ans et La Position du missionnaire roux) – vous comprenez mieux et tout de suite l’atmosphère qui règne dans son dernier roman. « Il y a des fantômes dans cette pièce, et elle a vraiment une âme, ce n’est pas possible de ne pas le sentir lorsqu’on est ici. Et pourtant je ne suis pas croyant, je suis rationaliste, prof à l’ULB… C’est presque honteux (rires)! Mais j’y crois: j’avais envie de fantômes, et ils sont venus me souffler de temps en temps à l’oreille ce que je devais écrire. »

Van Loo trahit Van Loo, et chaque roman a une démarche différente.

Un château hanté par la guerre

Soit une sixième enquête, déjà, de son détective aussi raté que bruxellois Michel Van Loo (1), le moins serial de tous les serials de la littérature policière. « La plupart des grands héros récurrents, Maigret, Poirot, Marlowe, Sherlock Holmes, s’inscrivent dans une tradition fermée, avec des protocoles stricts, qu’ils entretiennent et enrichissent. Comme lecteur j’adore ça, comme auteur beaucoup moins: je me trahis à chaque Van Loo, Van Loo trahit Van Loo, et chaque roman a une démarche différente. Cette fois, je voulais jouer avec les codes du roman de fantômes, tout en continuant d’explorer cette Belgique de l’immédiat après-guerre qui explique en partie la Belgique d’aujourd’hui. Un mélange bizarre, où l’on doit déjà se raccommoder, sur toutes les fractures: la collaboration, la résistance, mais aussi et surtout sur tout ce qui se situait entre les deux. »

L'hôtel Otlet: pour l'écrivain, l'aura d'un lieu de travail.
L’hôtel Otlet: pour l’écrivain, l’aura d’un lieu de travail.© GETTY IMAGES

Comme souvent, Alain Berenboom place les thèmes et les enjeux de son nouveau Michel Van Loo dès ses premières pages: le propriétaire du château de Haine-Saint-Sorlain, près de la frontière française, le recrute pour y chasser des fantômes ; un château qui appartenait juste avant à un célèbre collabo « qui l’a acquis pour une bouchée de pain. D’un entrepreneur qui avait eu le tort d’épouser une femme juive. » Une vie de château hanté qui va s’avérer très vite plus poisseuse et mystérieuse encore, puisque cette fois, Michel Van Loo va disparaître, au sens figuré, comme au sens propre! Son habituelle bande d’amis prendra donc le relais: Anne, son éternelle fiancée, le pharmacien Hubert (directement inspiré par le père de l’auteur), le coiffeur Federico ou encore les Motta, syndicalistes en manque d’action, et tous amis… « du plus mauvais détective de la littérature, je suis très fier de ça! » reprend Alain Berenboom. « Quand j’ai écrit Péril en ce royaume, le premier Van Loo, en 2007, je voulais parler, plutôt que de la Belgique actuelle où la politique allait plus vite que moi avec des scénarios plus farfelus que les miens, de la Belgique que j’aime, celle dans laquelle je suis né, dans laquelle mon identité s’est établie, même si elle est multiple (NDLR: Alain Berenboom est né d’une mère russe et d’un père juif polonais) et que mes parents ont voulu que je naisse d’une feuille blanche. Et je voulais aussi faire un roman de genre, passer par ce biais du policier pour ne pas donner de leçons. Mais tant qu’à faire du polar, autant le faire un peu différemment, avec un détective, Belge moyen, au fond pas très doué. Il n’a aucun flair, toutes ses intuitions vont de travers… Mais au bout de ce Péril, j’en avais encore sous la pédale, pour écrire sur cette Belgique-là. »

J’avais envie de fantômes, et ils sont venus me souffler de temps en temps à l’oreille ce que je devais écrire.

Suivront donc cinq autres romans avec cette klet si sympathique de Van Loo, à chaque fois, en abordant un « roman de genre » différent: le roman d’aventures avec Le Roi du Congo, le roman social avec La Recette du pigeon à l’italienne, le polar historique avec La Fortune Gutmeyer… « Cette fois, je voulais aller dans les campagnes, elles aussi secouées par la guerre. » Et ce, en allant donc voir du côté de Jean Ray et de son réalisme magique, mais aussi en s’inspirant de La Symphonie des spectres de John Gardner, des contes juifs d’Isaac Bashevis Singer, ou encore de l’aura de son lieu de travail: autant de sources culturelles qui font d’Alain Berenboom le meilleur zinneke de notre littérature.

(1) Michel Van Loo disparaît, par Alain Berenboom, Genèse Edition, 286 p.
(1) Michel Van Loo disparaît, par Alain Berenboom, Genèse Edition, 286 p.

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