Les diplômes prêts à l’emploi

Les spécialistes du marché du travail mettent en évidence une corrélation entre pénurie de profils spécialisés et accès direct à l’emploi. Infirmières, régents, ingénieurs, scientifiques et informaticiens signent donc rapidement leurs premiers contrats. Mais, au-delà d’un diplôme, les entreprises disent rechercher des personnalités et compétences précises. La chasse aux talents est ouverte.

 » Etre diplômé de l’enseignement supérieur ou universitaire est un gros atout pour trouver un emploi. Et c’est une constante ! « , affirme Jean-François Marchal. Analyste du marché de l’emploi, il a réalisé pour le Forem une étude sur l’insertion professionnelle de 26 000 jeunes diplômés en 2010.  » Six mois après la première inscription au Forem, seuls 50 % des jeunes diplômés du secondaire de deuxième degré ont trouvé un emploi. Un taux d’insertion qui s’élève à 61 % pour les titulaires de master et qui grimpe à 76 % pour les bacheliers.  » Pourquoi les masters ne tiennent-ils pas le haut du pavé ? Car les baccalauréats comportent deux atouts importants, selon Jean-François Marchal : ils mettent l’accent sur les stages en entreprise, permettant une exposition au monde du travail. Mais surtout,  » ils sont en lien direct avec plusieurs secteurs dans lesquels on manque cruellement de main-d’£uvre, comme le secteur infirmier. « 

Fonctions critiques

Car une demande très forte pour certains diplômes en pénurie en fait de véritables passeports pour l’emploi.  » D’année en année, la liste des profils les plus recherchés est assez stable. Il s’agit de fonctions dites critiques, pour lesquelles les besoins ne sont pas comblés « , constate Jean-François Marchal. Associés à ces fonctions critiques, les titulaires de baccalauréat dans le domaine de la santé, tels les infirmiers ou les ergothérapeutes, trouveront donc rapidement un emploi.  » En outre, certains secteurs engagent beaucoup car ils sont victimes d’un turn over ou roulement important, note Jean-François Marchal. C’est le cas de l’enseignement et de l’Horeca qui peinent à retenir leurs employés à long terme.  » En 2010, 11,5 % des jeunes passés par le Forem ont trouvé un premier emploi dans l’enseignement. C’est plus de 1 jeune sur 10. Quant aux diplômes de master qui mènent le plus rapidement à l’emploi après un passage par le Forem,  » ce sont ceux d’ingénieur, de pharmacien, les diplômes en mathématiques, en statistiques, en éducation physique et en informatique « . Des filières qui affichent également une offre de profils inférieure à la demande.

Pénurie de scientifiques

 » L’importance de la demande dans les catégories développement IT/software et ingénierie de notre site est frappante, constate Hugo Stienstra, communication manager du site de recrutement monster.be. Il y a une pénurie de diplômés dans ce domaines, surtout pour les niveaux d’études élevés.  » Un constat que confirme Fabienne Dideberg, secrétaire du Conseil wallon de la politique scientifique :  » Les études indiquent que la Wallonie a une faiblesse en termes de profils scientifiques et d’ingénieurs. Les inscriptions dans ces filières n’augmentent pas, alors que la population universitaire croît. Seuls 12 % des étudiants sont diplômés en sciences ou ingénierie. C’est trop peu pour répondre à la demande et cela inquiète les fédérations professionnelles.  » Ce constat a mené à la création d’un groupe de travail sur l’attractivité des études et métiers scientifiques et techniques, que coordonne Fabienne Dideberg et qui se réunira pour la première fois fin mai.  » L’objectif de ce groupe de travail sera d’identifier de nouvelles pistes d’action pour le politique et les différents acteurs « , explique-t-elle. Un des aspects à aborder : la problématique des genres.  » Malgré que les filles réussissent très bien en math et en sciences en secondaire, elles s’orientent peu vers des études scientifiques. Et lorsqu’elles le font, elles optent surtout pour la médecine ou la kiné « , constate Fabienne Dideberg. Mais aussi le problème de l’information :  » Il semblerait que les jeunes ne soient pas au courant de la diversité des débouchés possibles. « 

A noter également, la pénurie importante de diplômés en informatique. Un domaine qui offre de nombreuses possibilités d’emploi et regroupe des fonctions liées au développement informatique, à la maintenance des réseaux, mais aussi à l’analyse et la gestion de projets.  » Les métiers de l’informatique font partie des métiers en pénurie, pour lesquels le Forem reçoit plus d’offres d’emploi que de demandes, explique Samuel Martin, expert Job Focus du Forem. Le gros problème est que le nombre de jeunes diplômés dans ce domaine est largement inférieur à ce qu’il était il y a dix ans. Or, la demande est importante et un certain nombre d’informaticiens arrivent à l’âge de la retraite.  » Pour l’expert du Forem, il s’agit donc véritablement d’un diplôme qui mène à l’emploi. Lui aussi met à jour un problème de genre et d’image :  » Très peu de femmes choisissent cette voie, elles sont sensiblement moins nombreuses qu’il y a vingt ans. Peut-être est-ce dû aux représentations véhiculées et au cliché du geek solitaire et boutonneux ? C’est pourtant un domaine porteur, dans lequel on a besoin de gens qui démontrent de réelles capacités communication.  »

S’ouvrir à d’autres voies

Face à des diplômes scientifiques et techniques très recherchés, les sciences humaines offrent-elles de réels débouchés ?  » Les formations très générales, en sciences politiques ou en sciences humaines, sont moins recherchées par nos clients « , constate Marc Vandeleen, communication manager de Manpower. Mais il s’agit de bons bagages de départ, que l’on peut éventuellement compléter par une formation ou un autre diplôme.  » Jean-François Marchal est plus nuancé :  » Parmi les jeunes diplômés passés par le Forem, on voit que certains romanistes s’insèrent aussi bien que des informaticiens. Et des sociologues, aussi bien que des économistes et même mieux que les chimistes. « 

Quant à Marc Vandeur, coordinateur de la cellule emploi de l’ULB, il met l’accent sur le potentiel des universitaires, peu importe leur spécialité.  » En plus des compétences techniques, ils ont développé des compétences transversales, assure-t-il. Un historien est capable de produire un travail d’analyse et de synthèse qui peut être utile dans d’autres domaines. Que les jeunes diplômés osent sortir des sentiers battus et ils verront que de très nombreuses possibilités s’offrent à eux ! » Car il y aurait, selon lui, une méconnaissance du marché de l’emploi et de la diversité des fonctions accessibles.  » La plus grande partie des emplois sont ceux qu’on ne voit pas. La grande distribution a, par exemple, besoin de comptables, de juristes et de spécialistes en ressources humaines. C’est un secteur qui recrute énormément de jeunes titulaires de masters. Encore faut-il qu’ils le sachent. « 

Des compléments utiles

Un des outils pour s’ouvrir à d’autres opportunités est la formation complémentaire, via un deuxième diplôme, des formations ciblées, des cours de langue ou la formation permanente.  » Les formations complémentaires peuvent être déterminantes dans l’accès à l’emploi, estime Françoise Viatour, qui coordonne le projet Job Focus du Forem. Ces dernières années, on assiste à une croissance des offres d’emploi dans le domaine du développement durable et de l’énergie. Il ne s’agit pas toujours de nouveaux métiers, mais les compétences demandées évoluent, notamment dans la construction. L’évolution des techniques et des matériaux rend indispensable un complément de formation.  » Marc Vandeleen prône la formation permanente, une manière de rester à jour :  » Les évolutions technologiques rendent les diplômes obsolètes après quelques années. Il est nécessaire de continuer à apprendre et de rester au courant des évolutions dans son domaine.  » Et de s’approprier la gestion de sa carrière.  » Aujourd’hui, il ne faut plus attendre de l’entreprise qu’elle prenne en main votre formation, mais avoir une mentalité de freelance, une attitude proactive et volontaire.  »

La tendance opposée étant la formation en interne, parfaitement adaptée aux besoins de l’entreprise.  » C’est la personne qui compte et pas toujours l’orientation de son diplôme « , estime Aniana Taelman, talent acquisition manager chez Securex.  » S’il leur manque des compétences, nous les formons. Un plan de training de deux ans en droit social peut venir compléter une formation en communication, en économie ou en ressources humaines, par exemple. C’est une tendance très forte et il me semble que c’est le futur des entreprises. « 

Bilan de compétences

Au-delà des diplômes et autres formations, les entreprises recherchent des personnalités et compétences particulières.  » Nous cherchons surtout des profils de travailleurs enthousiastes, capables d’évoluer en équipe et qui ont envie de travailler « , insiste Aniana Taelman. Même constat chez Experis Belux, filiale du groupe Manpower spécialisée dans le recrutement de diplômés hautement qualifiés :  » En plus des compétences dures, telles que les diplômes, le nombre d’années d’expérience et les formations, nous portons notre attention sur ce qui ne se voit pas sur un CV : les compétences douces, explique son directeur, François Taymans. Nous engageons des experts nomades, qui passent d’une société à l’autre et y apportent leur savoir-faire. Le diplôme ne suffit pas, ils doivent être opérationnels tout de suite. Nous valorisons particulièrement l’agilité, capacité de s’adapter à un environnement, l’envie d’apprendre et d’évoluer et la capacité à collaborer et communiquer. « 

Marc Vandeleen met également en évidence l’importance de compétences transversales :  » De manière générale, tous secteurs confondus, on recherche beaucoup de project managers. De nombreuses fonctions nécessitent d’être capable de gérer un projet, un planning, un budget. Nous sommes dans ce que l’on appelle le human age. C’est le talent, plus que le capital, qui est le moteur de la croissance et de l’innovation.  »

Chasse aux talents

Contrairement à ce que pourrait laisser penser le caractère très général des compétences recherchées, de tels profils sont considérés comme des  » perles rares  » par de nombreux recruteurs.  » Il y a véritablement une guerre des talents, estime Aniana Taelman. Nous cherchons des profils particuliers, alliant diplômes et compétences transversales, et sommes en concurrence avec d’autres entreprises pour les dénicher.  » Directeur RH de PwC, Erik van den Branden ne veut pas parler de guerre. Mais il reconnaît qu’il y a une compétition.  » Nous n’avons pas vraiment de mal à trouver des jeunes diplômés, mais c’est vrai que c’est parfois un peu plus difficile qu’il y a vingt ans, constate-t-il. On ne veut pas n’importe qui, on veut les meilleurs ! Et on n’est pas les seuls. « 

La demande du Web

Dans la chasse aux talents, apparaissent aussi de nouvelles fonctions liées au marketing et à la communication sur Internet.  » On assiste à l’émergence du référencement, de l’ e-marketing et du community management « , constate Samuel Martin (Forem). Des domaines dans lesquels il est indispensable de se former en permanence et de développer des compétences variées.  » Et dans lesquels les jeunes ont très certainement une carte à jouer, estime Marc Vandeleen (Manpower). On est à l’ère de l’interactivité et les sociétés produisent de plus en plus de contenu sur le Web. Les candidats qui allient communication classique et compétences en multimédia seront en mesure de répondre à la demande des employeurs.  » Une demande qui devrait encore augmenter.  » Un nombre croissant d’entreprises tentent d’être présentes sur le Web et les réseaux sociaux, la demande va être de plus en plus forte « , estime Samuel Martin. C’est également l’intuition de Marc Vandeleen.  » Les entreprises n’ont pas encore exploité toutes les possibilités de l’e-commerce et l’e-marketing, ce n’est qu’un début. Si je devais rédiger un mémoire ou un travail de fin d’études aujourd’hui, je me spécialiserais dans les possibilités liées au développement d’Internet.  »

DOSSIER RÉALISÉ PAR LARA VAN DIEVOET

Le talent, plus que le capital, est le moteur de la croissance

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