Les deux mesures qu’ils soutiennent et celle qu’ils contestent

Bruno Colmant Professeur à la Vlerick School et à l’UCL

 » Empêcher les licenciements, ça calcifie l’économie « 

+ Redonner de l’oxygène à nos Etats

Cela fait trois ans que je plaide pour dénoncer la rigueur budgétaire en période de récession, celle-ci étant auto-alimentée par l’austérité. Vu l’importance historique des dettes publiques, si l’on veut sauver l’euro, on devra immanquablement faire appel à la Banque centrale européenne pour refinancer les Etats. Ce que le collectif appelle de l’oxygène, pour moi, c’est de l’argent frais, des nouveaux billets. Prêtés à des taux extrêmement faibles, voire nuls. La Federal Reserve américaine peut le faire, mais pas la BCE : il faudra changer ses statuts. Même si cela génère un peu d’inflation et une monnaie un peu plus faible, les Allemands devront finir par s’y soumettre.

+ Lutter contre les délocalisations

Nous sommes les naïfs de la planète : nous avons choisi de délocaliser nos capacités de production parce que le coût du travail était trop important, et on importe ce que l’on a outsourcé dans d’autres pays. Il faut un peu de protectionnisme. C’est bien d’avoir une économie très ouverte, cela stimule les flux, mais l’Europe est aujourd’hui confrontée à une profonde désindustrialisation alors qu’aux Etats-Unis tout l’emploi créé depuis deux ans l’est dans l’industrie. Une économie de service, c’est bien quand on est un continent très innovateur, mais on ne l’est pas assez.

– Limiter au maximum les licenciements

Cela n’a pas de sens. Cela équivaut à cristalliser l’emploi dans des entreprises qui ne sont plus compétitives. Je suis plutôt pour les systèmes nordiques de flexi-sécurité, où les gens ont moins de protection à la sortie mais retrouvent plus facilement un job grâce à des incitants fiscaux. Empêcher les licenciements, ça calcifie l’économie.

Eric De Keuleneer Professeur à la Solvay Business School (ULB)

 » Le travail des uns crée le travail des autres « 

+ Créer une vraie taxe sur les transactions financières

Ça permettra de réduire la spéculation financière. Certaines activités de marché sont utiles, mais celles qui ne pourraient pas supporter une taxe n’ont par définition pas d’utilité. C’est très difficile parce que les lobbys bancaires restent très puissants. Il faut avancer sans les pays réfractaires comme la Grande-Bretagne.

+ Créer un impôt européen sur les bénéfices des entreprises

Il ne faut pas augmenter l’impôt des sociétés, on peut même le diminuer dans les pays comme la Belgique où il est nominalement très élevé, mais il faut l’harmoniser pour éviter que certaines entreprises, par l’ingénierie fiscale et les menaces de délocalisation, arrivent à ne payer que très peu ou pas d’impôts dans la plupart des pays européens. Pour la Belgique, cela veut dire supprimer les intérêts notionnels.

– Négocier un autre partage du temps de travail

Cela accrédite l’idée que le travail existe en quantité limitée et qu’il faut le partager. Je crois au contraire que le travail ne tombe pas du ciel et que c’est le travail des uns qui fait celui des autres. Mais c’est une bonne idée de proposer des cotisations sociales plus faibles pour les travailleurs plus jeunes et pour les plus âgés. Pas avec l’objectif de partager un travail qui par définition serait limité, mais pour que certaines catégories ne soient pas exclues de l’emploi.

Ivan Van de Cloot Economiste en chef, Itinera Institute

 » Des actions fortes pour accompagner les chômeurs « 

+ Interdire aux banques de spéculer avec notre argent

La séparation entre banques de dépôt et banques d’affaires est une position que je défends depuis plusieurs années mais cela n’avance pas, le pouvoir de lobbying des banques étant très fort. Les niveaux de capitaux actuellement imposés aux banques sont en outre beaucoup trop faibles, il faut des niveaux beaucoup plus élevés que les 7 % préconisés par les accords de Bâle. C’est une question de moralité. Sans cela, les banques prennent trop de risques. Si tout se passe bien, elles empochent les bénéfices, et si ça tourne mal, c’est le contribuable qui doit payer.

+ Investir dans une vraie politique du logement

Plus fondamental encore que l’idée sous-jacente de relance économique, il y a le constat que les maisons sont trop chères et que les jeunes ménages ont des problèmes d’accès au logement. Il faut augmenter l’offre en stimulant l’investissement dans le logement. Je suis moins d’accord avec l’idée de limiter les loyers. Si on fixe un plafond, cela freinera l’offre et ne fera qu’accentuer le problème. Mieux vaut alors donner des subventions aux loyers, combinées avec une stimulation de l’offre, sinon les loyers augmenteront.

– Négocier un autre partage du temps de travail

Je partage l’idée que travailler autant d’heures n’est pas forcément dans l’intérêt de tous, mais l’exemple des 35 heures en France a montré que fixer des temps de travail à des niveaux trop bas est contre-productif. Ce n’est pas à l’Etat d’intervenir sur cette question qui relève de la liberté individuelle et de la compétence des partenaires sociaux.

Paul De Grauwe Professeur à la London School of Economics

 » Il y a une injustice fiscale énorme « 

+ Redonner de l’oxygène aux Etats en diminuant les taux d’intérêt sur la dette

C’est important, surtout pour les pays que la crise met dans des situations insoutenables et qui pourraient provoquer l’implosion de la zone euro. On peut le faire avec le soutien de la Banque centrale européenne, c’est tout à fait réaliste. La BCE ne le fait pas pour des raisons obscures : il n’y a aucun risque inflatoire dans ces pays. Et l’argument selon lequel un tel soutien les conduirait à diminuer leurs efforts de réduction des déficits et de la dette est fort exagéré : ils font déjà des efforts énormes, à mon sens trop élevés. L’austérité y atteint ses limites.

+ Interdire aux banques de spéculer avec notre argent

Il est très important de changer le modèle bancaire actuel qui permet aux banques de spéculer avec l’argent des épargnants. La séparation entre banques de dépôt et banque d’affaires a existé dans le passé, on l’a éliminée et ça a été la source des problèmes, il faut y revenir. Le système bancaire est très fragile, il faut protéger les banques contre leurs propres excès en interdisant aux banques de dépôt, qui sont au c£ur de l’activité économique, de se lancer dans la spéculation. Les banques d’affaires peuvent le faire et ne doivent ni pouvoir attirer les dépôts des entreprises et des particuliers, ni bénéficier de la protection de l’Etat.

– Lutter contre les délocalisations

Les délocalisations sont inévitables dans un monde où d’autres pays sont en train de se développer. Il faut bien sûr que les normes sociales soient respectées partout, mais lutter contre les délocalisations serait un retour en arrière. Il faut s’inscrire dans la spécialisation internationale et trouver de nouvelles niches d’activités qui nous permettent d’exporter, au lieu d’avoir une attitude défensive et protectionniste.

PHB

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire