" Nous, les "petits", on a bien conscience de n'être que des presse-boutons ", reconnaît un parlementaire. © FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI/ISOPIX

Les coulisses d’un sondage

Il y a les résultats, les pourcentages. Puis le reste, les coulisses de ce sondage, réalisé auprès des élus francophones. Poids de la particratie, indisponibilités, cruel autoportrait…

Connaissez-vous Jeremy Zeegers ? Nous non plus. Mais on aimerait bien. Après tout, c’est lui qui a rempli le questionnaire qu’au moins vingt élus libéraux ont ensuite renvoyé en leur nom. Transformant parfois l’une ou l’autre tournure de phrase, faudrait pas que le copier-coller du centre Jean Gol soit trop flagrant. Le MR avait battu plusieurs fois le rappel, par mail :  » Certains d’entre vous ont été contactés par une journaliste du Vif/L’Express concernant un dossier « bonne gouvernance ». Ci-joint, veuillez trouver les réponses préparées par les conseillers du Parti, sur lesquelles vous pouvez vous baser pour y répondre.  »

Chez DéFI, c’est Christophe Verbist, directeur du centre d’études Jacques Georgin, qui a pris la plume. Une députée avait habilement annoncé la couleur.  » Voici, suite à de nombreux échanges et débats au sein de mon parti.  » Allez savoir qui s’y est collé du côté d’Ecolo mais, pas de doute, le mot d’ordre a circulé et, à lire copies identiques après copies identiques, il a été largement respecté.

Au PS, la consigne est tombée quelque part entre le mercredi 28 juin, 12 h 04 (heure à laquelle une attachée de presse nous a malencontreusement mis en copie d’un mail indiquant  » nous n’avons encore rien reçu du parti « ) et le jeudi 29, 8 h 22 (heure à laquelle les réponses uniformes ont commencé à affluer). Gilles Doutrelepont, directeur de l’institut Emile Vandervelde, avait mis en garde tous les destinataires socialistes le 14 juin à 19 h 07.  » Chères amies, chers amis, Le Vif/L’Express a adressé aux ministres et aux parlementaires une demande de positionnement sur une série de questions relatives à la gouvernance publique […] Nous vous proposerons dans les prochains jours des réponses types pour chacune de ces questions, en phase avec les positions adoptées par le Parti.  »

Pauvre Gilles Doutrelepont. Ça n’a pas dû être drôle, de recevoir en retour plusieurs volées de bois vert. Du style  » allez vous faire voir, l’IEV n’a plus rien à me dire « . En plus poli.  » Il n’a jamais vu un électeur de sa vie !, peste un élu. Je répondrai en mon âme et conscience.  » Signe des temps socialistes troublés…

C’est du off ?

Au PTB, la contestation n’est même pas une option. Une seule et unique réponse pour les huit élus. Comme si chacun devait penser uniformément. Seul le CDH a laissé le champ libre à ses ouailles. Ou presque. Il a d’abord fallu le feu vert de Benoît Lutgen, sans lequel une seule élue s’était aventurée à donner suite.

L’espoir d’obtenir des avis individuels était probablement naïf. Il aurait été plus rapide et simple de ne solliciter que les partis. De ne pas envoyer 242 e-mails, de ne pas repasser quasi autant de coups de fil (le taux de réponse spontanée ne dépassant pas les 20 %), de ne pas renvoyer un troisième et ultime rappel avant de ranger les élus dans la catégorie  » n’ont pas répondu « .  » Je n’aime pas trop cette technique de classement « , se vexeront deux édiles. Idem. Mais c’est apparemment la seule qui fonctionne.

L’espoir n’était cependant pas vain. Parmi les 79 % de répondants, une bonne moitié s’est livrée personnellement. Certains s’assurant parfois que ce serait bien  » en off « .  » Parce que, sinon, je devrai suivre la consigne du parti.  » D’autres s’énervant de ce conformisme.  » Vous recevez des copier-coller ? C’est glorieux ! Mais bon, ce n’est pas simple d’affirmer sa position, dans le système dans lequel on évolue.  » Pourtant, selon notre sondage, 77 % des élus considèrent que les formations politiques doivent se réformer. 83 % estiment même qu’elles doivent (re)faire émerger de nouvelles idées. Quant à les exprimer soi-même…

Hello, Joe

Pas de généralité : le poids de la particratie ne pèse pas sur tout le monde. Pas sur cette ministre qui participe sans langue de bois. Pas sur ces députés qui multiplient les propositions originales. Bien que certains le vivent mal.  » Nous, les « petits », on a bien conscience de n’être que des presse-boutons. Et quand on ne veut pas respecter la consigne de vote, ça fait toute une histoire.  »  » Aujourd’hui, ce ne sont plus les députés, élus par le peuple, qui décident […] de ce qui est bien ou mal pour la population, mais quatre présidents de partis dans le cadre d’un éventuel programme gouvernemental…  » Dernier morceau choisi :  » Je comprends que les gens soient épuisés et démoralisés par rapport à l’action publique. Au Parlement, quand on voit l’immaturité, les postures… Comment autant d’intelligence politique peut aboutir à un débat aussi vide et caricatural ?  »

Caricaturale, l’expérience l’a parfois été, démontrant par l’absurde des reproches adressés aux hommes et femmes politiques. Ils seraient déconnectés des citoyens ? En tout cas, certains sont injoignables. Prenant soin de ne renseigner aucune coordonnée dans l’onglet  » contact  » sur les sites du Parlement. Ou juste un numéro de fixe que personne jamais ne décroche. Ou juste un e-mail dont la boîte de réception n’est jamais consultée ( » Ah, vous avez envoyé sur cette adresse ? Je n’y vais pas ! « ), ou qui se révèle invalide. Combien de messages d’erreur ! L’un d’entre eux conduira même aux… Etats-Unis.  » I don’t know who think for, but it isn’t for me. Joe.  » Sorry, Joe. Effectivement, ce n’est pas vous qu’on essayait d’atteindre.

Les politiques auraient besoin de décumuler ? En tout cas, beaucoup sont fort occupés.  » Désolée, le temps me manque pour vous répondre.  »  » J’ai bien transmis votre demande au ministre, mais il n’a pas le temps pour ça.  » Même pas un quart d’heure à consacrer sur plus d’un mois, c’est ballot. Sans doute les édiles qui ne nous ont toujours pas fait signe cherchent-ils encore quelques minutes dans leur agenda. Quelques-uns se sont montrés plus francs : pas envie de donner suite. Ou de mauvaise grâce.  » Questions inutiles « , écrira un humaniste en marge du tableau.  » Je trouve vos propositions très orientées « , se plaindra un socialiste.  » Ces interrogations sont réductrices et unidirectionnelles, je trouve dommage que vous n’ayez pas envisagé d’autres pistes de réflexion « , critiquera un libéral. C’est bien pour cela qu’une case  » autre proposition  » avait été prévue. Et laissée vide, dans le cas présent.

Par Mélanie Geelkens

 » Ci-joint, veuillez trouver les réponses préparées par les conseillers du Parti  »

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