Les copains d’abord

Christian Clavier, mais aussi Martin Bouygues, Jean-Marie Bigard et même Bernard Tapie : les amis du président français sont souvent célèbres. Depuis un an et demi, ils déclenchent régulièrement la polémique. Leur complicité avec le chef de l’Etat les a-t-elle avantagés ou protégés ? Enquête sur un sens très poussé de l’amitié.

L’Etat, ce jour-là, avait une drôle de voix. Aucun service administratif, aucun conseiller n’avaient prévenu le président de la République. C’est Christian Clavier qui lui a téléphoné pour lui indiquer que le jardin de sa villa, à Porto-Vecchio, avait été occupé par des militants indépendantistes corses, le 30 août.  » Parce qu’il n’avait pas été informé, Nicolas Sarkozy s’est senti trahi, et parce que c’était la maison de son ami, il s’est senti visé personnellement « , raconte un ministre.

La suite est connue : sanction immédiate du coordinateur des forces de sécurité sur l’île et violente polémique sur le  » fait du prince « , qui provoque même quelques tensions parmi les conseillers élyséens. La contre-attaque se mène dans le plus pur style sarkozyste. Offensive politique du chef de l’Etat en Conseil des ministres –  » Etre un ami du président n’entraîne pas le fait d’avoir moins de droits qu’un autre citoyen  » – puis argumentation technique : le lendemain, le directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, suivant les conseils de l’Elysée, monte au créneau sur RTL. Encore un très proche du président.

Nicolas Sarkozy a toujours affiché, selon la formule qu’il utilise dans Au bout de la passion, l’équilibre (1995), son  » culte de l’amitié « . A la vie, à la mort. La mort, justement. Elle explique son lien avec Christian Clavier. En 1995, l’acteur constate la disparition de son père, un médecin installé, comme lui, à Neuilly. Il sollicite l’aide du premier magistrat de la ville. Mobilisation générale. Le père est décédé dans la rue, le maire réconforte la vedette. Ils ne se quitteront plus de vue. Les soucis de mes amis sont mes soucis. L’élu neuilléen puis le ministre de l’Intérieur (par exemple au moment du tournage du film L’Enquête corse) rendra quelques services. Renvoi d’ascenseur : l’un des acteurs les plus populaires du pays soutiendra le candidat pendant la campagne. Le 21 mai dernier, Clavier reçoit la Légion d’honneur des mains du président, qui n’hésite pas, à cette occasion, à parodier Les Bronzés.

Les copains d’abord ? Depuis un an et demi, face à une série de nominations et d’options retenues par Nicolas Sarkozy, la question se pose. Le choix de Bernard Laporte comme secrétaire d’Etat aux Sports n’allait pas de soi, tant l’ex-entraîneur du XV de France affichait d’intérêt pour le seul rugby. Au gouvernement, il n’a pas apporté la preuve de sa compétence. La promotion de Christine Ockrent, Mme Kouchner, à la direction générale de l’audiovisuel extérieur,  » France monde « , rappela l’époque, si décriée jadis, où François Mitterrand était interviewé par des journalistes épouses de ses ministres. Plus récemment, le règlement, par un tribunal arbitral privé et non par les voies habituelles de la justice, du litige entre Bernard Tapie et le Crédit lyonnais a soulevé le soupçon en raison de la complicité personnelle entre le chef de l’Etat et l’ancien ministre de la Ville.

Bientôt, c’est le projet de loi sur l’audiovisuel que les députés examineront. Longtemps planera sur ce texte l’ombre du propriétaire de TF 1, Martin Bouygues, qui connaît tout du Sarkozy privé et secret, pour l’avoir accompagné, chaque jour, depuis plus de vingt ans. Embauchant, quand il le fallait, son ancien chef de cabinet, Laurent Solly.

Les amis et la famille : la confusion des genres, la tentation du bon plaisir sont maintenant en passe de devenir un sujet de réflexion pour le préfet du Var. Le 16 août, comme l’avait indiqué Le Canard enchaîné, Nicolas Sarkozy avait participé à une assemblée générale d’une cinquantaine de copropriétaires sur le réseau collectif d’assainissement du cap Nègre, où son épouse possède une maison. Dans son édition du 6 septembre, Var-Matin révèle qu’une réunion a été organisée, trois jours plus tard, dans la villa des Bruni-Tedeschi, en présence, cette fois, du préfet du Var et du maire du Lavandou. Le compte rendu fut distribué, dès le lendemain, dans toutes les boîtes aux lettres du cap Nègre :  » Toutes les autorités, et en particulier le président de la République, ont clairement pris partie en faveur du tout-à-l’égout. « 

L’adhésion à sa personne vaut toutes les garanties

Avec Nicolas Sarkozy, pourtant, une critique n’a pas lieu d’être, celle de l’Etat UMP. Il n’a jamais oublié à quel point les attaques contre les clans du RPR avaient nui à Jacques Chirac. La carte du parti ne cache aucun passe-droit. L’adhésion à une personne, la sienne, vaut en revanche toutes les garanties. C’est une question de feeling, pas d’idéologie. Meilleur exemple : la police. Dans ce domaine, ils sont quatre. Quatre à avoir conquis, hier, la confiance du ministre de l’Intérieur. Quatre à occuper, aujourd’hui, le sommet de la hiérarchie.

Le risque de l’échec, les moments de tension puis la saveur de la victoire ont façonné leur relation avec le chef de l’Etat. Frédéric Péchenard, actuel directeur de la police nationale, croise très tôt la route du jeune Nicolas Sarkozy, de deux ans son aîné. Ils sont voisins, dans le très chic XVIIe arrondissement de Paris, et leurs mères, toutes deux avocates, ont noué une amitié durable. Les adolescents se perdent de vue. Jusqu’à l’arrivée de Sarkozy Place Beauvau, en mai 2002. Le ministre de l’Intérieur rappelle l’ami d’enfance et l’invite à déjeuner. Le policier lui parle sans détour. L’homme d’Etat et l’homme de terrain retrouvent d’instinct le tutoiement. Le courant passe.

En 2002, Sarkozy a une obsession : retrouver Yvan Colonna, l’assassin présumé du préfet Erignac, en fuite depuis trois ans. Un trio prend la main : Bernard Squarcini, directeur adjoint des RG et spécialiste de l’antiterrorisme, Christian Lambert, patron du Raid, et son adjoint, un grand connaisseur de la Corse, Jean-Louis Fiamenghi. Ils vont réussir là où tous les autres ont échoué et devenir ainsi des protégés. Un noyau dur de fidèles, qui gêne les adversaires du futur candidat. En 2004, Sarkozy, ministre de l’Economie, remet l’insigne de chevalier de la Légion d’honneur à Frédéric Péchenard. Le ministre de tutelle de ce dernier, Dominique de Villepin, n’apprécie guère et tente de l’évincer du poste de patron des affaires économiques et financières.

Péchenard occupe dorénavant la plus haute responsabilité dans la police : pour la première fois depuis l’après-guerre, un flic – et non un préfet – commande la  » grande maison  » ; Squarcini dirige la nouvelle forteresse du renseignement français, la DCRI, Lambert le cabinet du préfet de police de Paris ; et Fiamenghi a hérité de la protection des hautes personnalités – au premier rang desquelles le président et sa famille.

Une histoire d’hommes. Une histoire de mecs. Patrick Balkany a rencontré Nicolas Sarkozy en 1974. Ils ont tous deux des origines hongroises. Ils vont devenir maires, de Levallois pour l’un, de Neuilly pour l’autre. A aucun moment le second ne lâchera le premier, même quand celui-ci sera condamné à quinze mois de prison avec sursis pour avoir employé des fonctionnaires municipaux dans sa résidence personnelle. Ne jamais laisser tomber personne constitue l’une des règles de base de l’amitié à la mode Sarkozy. Alain Carignon, Henry Chabert ou Gérard Longuet, trois élus eux aussi un temps inquiétés par la justice, peuvent en témoigner. Balkany est désormais de presque tous les voyages présidentiels. Parfois, il se déplace seul. En octobre 2007, lors d’une tournée en Afrique, l’élu des Hauts-de-Seine ne reçoit pas l’accueil d’un ministre. Il a droit à davantage d’honneurs : ami du président vaut tous les titres sur le continent noir. Qui peut l’ignorer ? Pas la cellule diplomatique de l’Elysée, laquelle toussote discrètement.

Le soutien présidentiel est parfois encombrant

Il y a les rares amis de jeunesse, les copains de Neuilly, où vivent tant de stars et autres représentants des élites. Il y a aussi les compagnons du désert, présents au moment de la traversée. Le 15 février, à l’Elysée, c’est un vieux monsieur peu connu en France, mais pas moins proche du président que beaucoup d’autres, qui est décoré de la grand-croix de la Légion d’honneur. Lui avait répondu présent quand le protégé d’Edouard Balladur fut mis au ban de la vie politique par les chira-quiens. Paul Desmarais Sr a 81 ans. Cet homme d’affaires canadien, dont la fortune fut estimée à 4 milliards de dollars américains par Forbes en 2007, avait convié Sarkozy dans son somptueux domaine, pendant le rude été 1995 qui avait suivi la présidentielle gagnée par Jacques Chirac. Dans son pays, il est considéré comme un faiseur de responsables publics et détient l’un des plus beaux carnets d’adresses politico-diplomatico-financières de la planète.

Il était de La Nuit du Fouquet’s (titre du livre d’Ariane Chemin et de Judith Perrignon paru chez Fayard), le 6 mai 2007, venu en jet privé avec une lettre de félicitations du Premier ministre québécois, Jean Charest. Ce soir-là, autour du président triomphant, beaucoup de grands patrons (Bernard Arnault, qui s’apprête alors à batailler ferme pour acheter le groupe des Echos, Vincent Bolloré, Henri Proglio, Patrick Kron), beaucoup de beautiful people (dont Christian Clavier, bien sûr), et quelques rares membres du cercle des fidèles à échapper à la notoriété : le plus discret des intimes s’appelle Xavier de Sarrau et se glissera, en novembre 2007, dans la délégation officielle lors du voyage présidentiel à Washington. Il est avocat – comme un autre proche, son conseil dans le dossier Clearstream, Thierry Herzog, qui prêta serment la même année que le chef de l’Etat et eut le privilège de nager au large du fort de Brégançon.

Au royaume des puissants, le soutien du président se révèle parfois encombrant (voir l’encadré page 104). Il est toutefois rare qu’il nuise. Etre classé parmi les sarkozystes fut un plus dans le CV de Charles Villeneuve, propulsé en mai à la tête du Paris Saint-Germain, le club de foot. Les responsables de France Télévisions, Patrick de Carolis et Patrice Duhamel, ont appris à tout connaître de la carte du Tendre d’un Sarkoland qui n’a rien d’imaginaire. L’Elysée, un jour, leur recommande l’animateur Patrick Sabatier, une connaissance de longue date du chef de l’Etat ; le pouvoir leur vend – en vain – les mérites de David Hallyday, fils de Johnny, un autre fan. Max Gallo, un soutien venu de la gauche, est opportunément élu à l’Académie française trois semaines après la présidentielle et devient ainsi immortel en plein état de grâce sarkozyste. L’humoriste Jean-Marie Bigard, lui, a approché le Ciel : il accompagna le chef de l’Etat lors de sa rencontre avec Benoît XVI, en décembre 2007. Sa présence choqua certains milieux ? Nicolas Sarkozy n’en eut cure. Le 5 septembre, Bigard a encore heurté une bonne partie de l’opinion, en se déclarant  » sûr et certain que les deux avions écrasés sur le Pentagone et dans la forêt [le 11 septembre 2001] n’existent pas « … avant de présenter ses excuses.

Il déteste qu’on lui manque, il déteste qu’on ne l’aime pas

Le président a l’habitude d’assumer et de revendiquer même ses affections. Lorsque Michel Denisot explique, en mars 2006, avant de recevoir le ministre de l’Intérieur de l’époque dans son émission Le Grand Journal, qu' » il n’a pas gardé de relations avec lui  » depuis leur livre écrit en commun, celui-ci goûte peu la citation. Il déteste les amitiés reniées. Il déteste qu’on lui manque. Il déteste qu’on ne l’aime pas.

Au mot  » ami  » il est vrai qu’il a donné une acception large. Dans Libre (Fayard), paru en 2001, il évoque sa  » réelle amitié  » pour Philippe Douste-Blazy, dont il fustigera violemment le comportement quelques années plus tard, pour François Léotard, auteur d’un récent pamphlet contre le chef de l’Etat, ou pour Jean-François Copé, qui deviendra l’une de ses bêtes noires. Cet été, dans Le Figaro, il dit à propos de Barack Obama :  » C’est mon copain !  » Il ne l’a alors vu… qu’une fois !

Si l’amitié vraie selon Nicolas Sarkozy devait avoir un visage, ce serait celui de Brice Hortefeux. Quelque trente-deux ans d’aventures en commun, avec un seul objectif : l’ascension au sommet. Il est  » comme un frère « , écrivait le futur président en 1995. Si l’amitié selon Nicolas Sarkozy devait avoir une faiblesse, ce serait celle provoquée par une épouse. Alors que se profilait l’objectif d’une vie avec la victoire élyséenne, les tensions croissantes entre le futur vainqueur et Cécilia firent une victime principale, Hortefeux. Qui ne se releva qu’après le divorce présidentiel, pour redevenir le meilleur ami. Dans les relations viriles, dans les histoires de mecs telles que les aime le président, c’est parfois des femmes que vient le danger.

Éric Mandonnet, avec Christophe Carrière, Jérôme Dupuis, Vincent Hugeux, Valérie Lion, Eric Pelleti

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