Les choses sérieuses…

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Dix-huit ans, âge charnière. L’heure des grands choix d’avenir. Quatre jeunes nous racontent les leurs. Autant de portraits croisés d’une génération d’étudiants en mode Supérieur.

Eva, Hicham et Oscar ont choisi d’entrer en première année de bachelier à l’Ihecs, à Solvay et en médecine . Antoine a préféré quitter la Belgique pour le Nicaragua. Comment ont-ils fait leurs choix et quelles en sont les motivations ?

Eva : faire carrière

Eva déboule en tee-shirt rose vif, un collier de bois arpentant une silhouette décidée. Yeux verts, sourire facile, cette jeune Arlonnaise de 18 ans à peine va rentrer en première année de la Solvay Brussels School of Economics and Management de l’ULB. Elle en est toute chose…  » Excitée, c’est le mot « , dit-elle, en cette journée de canicule à trois semaines du début des festivités. Dans sa mini-fièvre de starting-blocks pré-universitaires, Eva s’est taillé un principe :  » Ne pas stresser la première semaine, prendre ses marques, mais bosser régulièrement. C’est d’ailleurs pour cela que je ne me ferai sans doute pas baptiser, en tout cas, pas la première année, cela bouche un peu trop de soirées… Peut-être ensuite si les études fonctionnent.  » Pour cette fille de mathématicien et d’ingénieur chimiste, les sciences continuent un souffle naturel :  » Quand j’étudie par exemple la bio, j’ai des pleurs, des énervements, des rires aussi. L’idée, ce n’est pas simplement de terminer la matière mais de l’avoir comprise, absorbée. Le choix de Solvay, c’est aussi de pouvoir comprendre l’actuelle crise.  » Les dernières convulsions planétaires ont sans doute renforcé la décision d’Eva de devenir ingénieur de gestion, avec, déjà, un simili plan de carrière annoncé sans fioritures :  » Oui, je m’imagine bien derrière un bureau – avec un autre look, sérieuse, bien habillée (elle rit) – peut-être au Luxembourg, parce que les salaires y sont meilleurs et qu’à Arlon on est véritablement voisins. Mais je n’exclus pas non plus de rester travailler à Bruxelles, ce qui est sûr, c’est que je veux faire carrière. « 

Hicham : chirurgien, pour le côté manuel

 » J’avoue que la réduction du numerus clausus en médecine m’a motivé. En fin de rhéto, des copains voyant mes résultats me disaient que ce n’était peut-être pas la peine de tenter la médecine.  » Hicham, 18 ans depuis le printemps, va donc débarquer en faculté de médecine fin septembre. A condition qu’il réussisse ses deux examens de passage de rhéto, maths et chimie. Cause de cet accident de parcours ? La nature indolente de ce Brabançon, fils d’opticien et de secrétaire :  » Je ne m’en fais pas assez, je suis aussi un brin fainéant mais cela va changer…  » Quand on lui demande ce qui peut motiver ce changement conseillé vu l’énormité de la matière à absorber en médecine, Hicham se veut adepte de la méthode Coué :  » Je voudrais être chirurgien – c’est mon objectif – il y a un côté manuel qui me plaît pas mal… Donc, il faut que je me donne les moyens de réussir. Disons que mes parents m’attendent un peu au tournant.  » Et puis, cet été  » pourri  » par l’obligation d’étudier pourrait stimuler son esprit d’entreprise. Pour le reste, un naturel curieux semble de mise :  » J’ai toujours adoré les dissections et le sang ne me dégoûte pas, j’aime l’esprit de découverte, connaître ce qu’il y a à l’intérieur de nous.  » Faudra juste calibrer gros cours et grosses sorties, avec ce refrain, décidément à la mode, de  » peut-être faire le baptême en seconde, pas en première « . Histoire de ne pas frôler l’overdose de guindaille alors que celle de l’étude semble plus de circonstance. Hicham a étudié au Maroc – pays de son père – et en France, donc arriver dans la grande marée métissée d’une première médecine lui semble assez naturel :  » L’université, cela veut dire nouvelles personnes et nouvelles façons d’apprendre, avoir plus de marge pour critiquer.  » Fumeur et footballeur, Hicham ne sait pas très bien quel genre de chirurgien il sera, il a un minimum de treize ans devant lui pour réfléchir s’il voudra  » faire de l’humanitaire ou pas « .

Oscar : pas de télé-réalité

Oscar, 19 ans, est grand et a une belle gueule. Mais c’est derrière la caméra qu’il s’imagine :  » Je me suis inscrit à l’Ihecs parce qu’il y a un cours de documentaire et pas mal de matos. L’aspect pratique y est et puis l’école a une dimension relativement modeste ; l’année dernière j’avais commencé Communications à l’ULB, mais il y avait trop de gens, les auditoires étaient trop grands, on n’entendait pas le prof… S’inscrire à l’Institut des hautes études des communications sociales, toujours à Bruxelles, c’est la prolongation d’un rêve nourri par Thalassa, Les Dessous des cartes, des émissions qui permettent d’en savoir plus sur le monde et peut-être sur moi .  » Fils de parents séparés tous deux dans la pub, Oscar habite, avec sa mère et sa s£ur, un très bel appartement ixellois, conscient d’être privilégié. Amateur de planeries, il trébuche à l’athénée royal d’Etterbeek – en flamand – et se retrouve au Jury central. Puis lors de l’abandon de l’ULB, il y a quelques mois, le cool gars s’engage au Colruyt comme magasinier. Garçon  » pas agressif, assez patient et calme « , il est remercié après un mois parce qu’il ne  » travaille pas assez vite « . Cela aurait pu faire un documentaire social, mais ce fan de la BBC et des travaux voyageurs de Louis Theroux et Bruce Parry n’aime pas la télé-réalité.  » Si j’ai choisi l’Ihecs, c’est parce que je veux y aller à fond, sinon je n’arriverai jamais nulle part.  »

Antoine : destination Nicaragua

 » En février 2009, c’était la deuxième fois que je prenais l’avion. La première impression, c’est qu’il fait vachement plus chaud, tu oublies que tu es parti, ta tête est prise par les couleurs, les sons, la végétation, la langue. Et je ne parlais pas un mot d’espagnol !  » Antoine, 20 ans, découvre à la dure le Nicaragua sur un demi-coup de tête réfléchi. Il accompagne un copain belge venu donner un coup de main à des parents installés dans la restauration à quelques heures de Managua. Genre au milieu de nulle part. Antoine a terminé sa première année d’histoire mais se voit plutôt historien du présent, praticien de l’immédiat, loin du  » stress de l’Europe « . Un peu dans la tradition d’une famille baba cool, parents partagés entre Bruxelles et périphérie. Après un premier round d’observation, il retourne au Nicaragua à l’été 2009, avec un projet précis :  » Faire du fromage de chèvre parce que, là-bas, ils n’ont que du fromage dégueulasse. J’ai d’ailleurs fait une formation d’un mois…  » Pour battre la pâte, il faudra compter avec les ruptures d’électricité, les problèmes d’eau, une vie paysanne aride sur une ferme de 25 hectares  » sans Internet « .  » Tu attrapes des réflexes différents, tu t’adaptes à la corruption qui est partout, tu fais avec les paysans hyper-évangélistes, donc très croyants. Tu ne passes pas inaperçu parce que tu es un chele, un blanc européen, différent du gringo, son pendant nord-américain. Mais je suis là pour travailler, même si je resterai toujours un étranger.  » Antoine se débrouille désormais en espagnol, partage une maison avec son copain belge et un jour  » finira bien par acheter son permis de conduire « . La vie à 20 ans, quoi…

PHILIPPE CORNET

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