Les chenapans du Mississippi

Tom Sawyer et Huckleberry Finn comme vous ne les avez jamais lus. Une nouvelle traduction redonne toute leur verve aux  » kids  » de Mark Twain.

C’est à toute vapeur, dans le sillage d’un steamer lâché sur le Mississippi, que se dessine le visage de Mark Twain, pilote au long cours et romancier du grand large. Son £uvre est un enchantement, une fabuleuse invitation au voyage où culminent deux merveilles trop longtemps reléguées dans la nursery de la Bibliothèque verte : Les Aventures de Tom Sawyer (1876) et Les Aventures de Huckleberry Finn (1884), que Bernard Hoepffner vient de retraduire avec une faconde délicieusement rabelaisienne. Belle occasion de s’offrir une nouvelle tranche d’école buissonnière en compagnie de l’indémodable Mark Twain et de son illustre tandem, deux chenapans aussi immortels que Gavroche ou Oliver Twist. Le premier, Tom Sawyer, est un gamin espiègle, déluré, nourri au biberon de la désobéissance, mais assez angélique pour avouer des méfaits qu’il n’a pas commis quand il s’agit de protéger la tendre Becky Thatcher. Son copain Huckleberry Finn, lui, a la chance de pouvoir dormir dans une barrique à la belle étoile, de ne jamais se laver et de se livrer à toutes les polissonneries possibles, pourvu qu’elles ne troublent pas les activités hautement avinées de son ivrogne de père.

Quant au théâtre de leurs fanfaronnades, c’est St Petersburg, une bourgade assoupie dans les moiteurs sudistes, tout près de ce cimetière où les deux garçons iront tirer la queue du diable avant d’assister au meurtre du Dr Robinson. Ce sera le début d’incroyables aventures qui transformeront Tom en détective et en redresseur de torts, puis en dénicheur de trésor, tandis que Huck scellera son destin de vagabond en se laissant emporter par les courants du Mississippi sur un radeau où s’est réfugié le vieux Jim, un esclave noir dont il partagera la gouaille et les humiliations.

Traduites en France dès la fin du xixe siècle, les odyssées déjantées – et parfois tranquillement immorales – de Mark Twain furent souvent édulcorées, trahies, repeintes au Ripolin de la bienséance. Grâce à Bernard Hoepffner, qui s’est déjà frotté à Joyce et à Melville, elles nous reviennent avec toute leur saveur originale, leur sulfureuse insolence, leurs mots tordus, leur flamboyante syntaxe qui s’embrase dans les fournaises du Deep South.  » Les deux romans de Twain, explique-t-il, ont souffert d’adaptations anciennes qui escamotaient toute l’inventivité de leur écriture. Le ton était changé, l’utilisation de la langue parlée n’était pas du tout rendue, alors que Tom Sawyer et surtout Huckleberry Finn sont révolutionnaires en anglais. « 

Il fallait donc que ça décoiffe pour que ce soit vraiment « autant tique », comme dit Huck en nous laissant  » putréfiés d’étonnement  » avant de décliner la longue liste de ses  » misérabilités  » et de tirer sa révérence en ces termes, à la dernière page :  » Si j’avais su quel travail c’était d’écrire un livre, je m’y serais pas mis. Mais je crois bien que je vais devoir me tirer dans les Territoires avant les autres, pasque tante Sally, elle veut m’adopter et me siviliser, et ça, je peux pas le supporter.  » Allez, vite, il faut lire ou relire ces deux classiques si peu académiques où Mark Twain nous rappelle que l’enfance est un paradis, que l’immaturité est une jouvence, que la paresse est une vertu. Et que la vertu ne fait pas le poids quand les sirènes du Mississippi vous invitent à vous encanailler corps et âme, sur des eaux à tout jamais miraculeuses.

Les Aventures de Tom Sawyer et Les Aventures de Huckleberry Finn, par Mark Twain, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Hoepffner. Ed. Tristram, 310 p. et 345 p.

André Clavel

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