Les charmes de la souffrance

La  » gêne joyeuse  » des artistes parisiens du xixe siècle cache mal l’indigence des filles livrées à elles-mêmes. Pichon l’a bien compris, dans La Bohème de Puccini qu’il monte à Liège.

Avec ses grandes échappées sur les toits de Paris, ses aubes glaciales qu’un poêle tiède n’arrive jamais à réchauffer, on connaît l’histoire de La Bohème, opéra en quatre actes (1896) de Giacomo Puccini, tiré des Scènes de la vie de bohème, feuilleton réaliste d’Henry Murger : c’est celle de quatre joyeux drilles – un peintre, un poète, un philosophe et un musicien pas vraiment accomplis – qui, en même temps qu’ils tirent le diable par la queue (mais ce n’est pas grave, ils sont jeunes, et la réussite viendra !), font l’amer apprentissage de la vulnérabilité, à travers leur rencontre avec Mimi leur voisine de mansarde, petite personne souffreteuse que la phtisie (on dirait aujourd’hui tuberculose) emportera… Au Palais Opéra de Liège, où il met en scène ce drame de la pauvreté avec une (apparente) pauvreté de moyens (c’est le même enchevêtrement de vitres et de zinc qui sert de décor aux différents tableaux du récit), Jean-Louis Pichon, longtemps directeur de l’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne (Rhône-Alpes) a bien saisi que les accents acidulés des fêtes populaires, la laideur blafarde des petits matins d’hiver, tout cela, au fond, comptait peu.  » L’essentiel est ailleurs, affirme-t-il, au-delà du réalisme qui n’est qu’un piège à larmes. Car rien, jamais, n’effacera les traces du choc qui, par la grâce sacrificielle de Mimi, transforme en hommes des enfants qui savent désormais que la mort est au c£ur de la vie.  »

Deux jeunesses, deux univers

Bien vu. Car il y a effectivement deux jeunesses dans cet opéra de Puccini. Celle, exubérante, des quatre garçons dont la culture et le goût pour la fête trahissent des origines sociales confortables (ils sont sans doute des fils de bourgeois, imposteurs tapageurs qui tâtent d’une misère transitoire par expérience esthétique), et celle des deux héroïnes (Mimi et son amie Musetta), filles du peuple et s£urs d’infortune que l’existence n’a pas épargnées. Deux jeunesses, donc, et deux univers contrastants : le gris bleuté des combles au clair de lune, et l’éclat des scènes bouffes du Quartier latin où s’encanaillent les compères, toutes en teintes disco (violents, les costumes fluo de Frédéric Pineau, décorateur de shows à Las Vegas et Disneyland Paris !). Musetta (Laura Giordano), cocotte vénale et emplumée, a parfaitement intégré, elle, et d’instinct, que l’argent de l’amour ne salit que ceux qui le paient. Son éblouissante santé souligne d’autant mieux la détresse d’une Mimi condamnée autant par les méchants bacilles que par sa probité. Là, dans l’ambiance très cabaret du café Momus, en dépit de l’agitation des uns et des autres, la direction d’acteurs manque pourtant de fluidité. Ça ne circule pas comme on voudrait : même l’arrivée du tambour-major, qui rend d’habitude les gamins dingues, laisse ici les petits choristes de la Maîtrise de l’Opéra royal de Wallonie statiques. Sous la baguette de Paolo Arrivabeni, finalement très douce et pudique, la troupe est nettement à son avantage dans les scènes mélancoliques. A une Mimi bien dans son rôle (humble et fragile Elena Monti, en alternance avec Guylaine Girard), le Rodolfo du Mexicain Arturo Chacón-Cruz donne, dans le dernier acte, toute la mesure de sa pathétique prise de conscience. Pour l’anecdote, on notera aussi la bonne voix de baryton de Laurent Kubla en Schaunard le musicien, que papa Serge est venu soutenir le soir de la première, comme il se doit…

La Bohème, au Palais Opéra de Liège puis au palais des Beaux-arts de Charleroi, jusqu’au 4 décembre. Infos au 04 221 47 22 ou sur www.operaliege.be

VALÉRIE COLIN

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