Franklin Dehousse

Les avertissements sur le coronavirus ont été ignorés

Plusieurs déclarations récentes sur le coronavirus surprennent. Ainsi, le président français Emmanuel Macron prétend qu’on ne pouvait prévoir la crise. La ministre belge de la Santé Maggie De Block explique que le gouvernement belge a merveilleusement géré la situation. Largement oubliées sont les structures internationales pourtant si vantées : l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. Le centre a fait des évaluations régulières sur le coronavirus, frappantes. Le 9 janvier dernier, il indique que le risque de transmission dans l’Union est faible mais pas inexistant. Dès le 24 janvier, le périodique médical The Lancet souligne la menace globale, au vu de l’expansion numérique et géographique des cas. Le 26 janvier, le centre change de ton. L’impact potentiel est fort, la diffusion extérieure probable, et le risque de transmission secondaire très haut sans mesures de prévention et de contrôle adéquates. Le 30 janvier, l’OMS déclare le coronavirus une urgence mondiale (malgré la pression chinoise). A ce moment, 60 millions de personnes ont été placées en lockdown en Chine.

Il serait d’abord utile de gouverner correctement, et cela commence par savoir lire.

Or, six semaines plus tard, on se balade encore librement à Bruxelles, la distanciation physique n’est toujours pas imposée, et il n’y a pas de restriction sur la vente des masques. Même chose dans les autres villes européennes, comme si la pandémie n’existait pas. Cette inertie incroyable, spécialement après le premier choc en Italie, a provoqué un séisme aux conséquences énormes. Après les mensonges chinois, la flemmardise européenne constitue le deuxième vecteur de la pandémie (en attendant le crétinisme américain de la Maison-Blanche). Ursula von der Leyen l’a d’ailleurs reconnu, à son crédit.

Chaque pays a ses tares. En France, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a expliqué qu’elle voyait la pandémie arriver mais s’est tue (pour préserver la suite de sa carrière politique, comme elle oublie de le dire). Une honte, a fortiori pour un médecin ministre. La Belgique, elle, a ses 6 (ou 9 ?) ministres de la Santé (et tous les cabinets et administrations), mais personne ne semble y lire sérieusement les analyses internationales précitées. La ministre de la Santé belge, elle, a multiplié les sottises ( La Libre Belgique, entretiens des 24 février et 6 mars).  » On a gagné cinq semaines sur la France  » (alors que les gouvernements ont pris les mesures essentielles en même temps).  » L’ampleur du coronavirus est comparable à celle d’une grippe aiguë  » (analogie frappante qui revient plusieurs fois, même en mars).  » La Belgique est prête à affronter une situation comme en Italie  » (fin mars, le personnel soignant manque toujours de protection – autre honte – malgré des protestations répétées).

Avant de proposer encore de nouveaux machins bureaucratiques, comme Charles Michel l’a fait, il faudrait d’abord se demander pourquoi les gouvernements ont aussi mal utilisé les analyses existantes. C’est d’ailleurs une habitude, malgré tous leurs conseillers. En 2008, ils n’ont pas vu arriver la crise financière, malgré les multiples études sur l’explosion de la dette et la toxicité des produits dérivés. En 2015, ils n’ont pas vu arriver la marée des réfugiés du Moyen-Orient, malgré l’absence annoncée de moyens dans les pays limitrophes de la Syrie. L’Europe reste une myope chronique. Avant d’empiler les structures, il serait d’abord utile de gouverner correctement, et cela commence par savoir lire.

Professeur à l’ULiège, ancien représentant de la Belgique dans les négociations européennes, ancien juge à la Cour de justice de l’Union européenne.

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