Les allées du plaisir

Jardinier en chef du domaine national de Versailles, Alain Baraton s’est penché avec gourmandise sur les amours royales. Une balade libertine et savante, de bosquets en alcôves.

Le Vif/L’Express : Qu’est-ce qui vous a poussé, vous le jardinier, à écrire cet ouvrage ?

Alain Baraton : J’ai la chance d’être à Versailles depuis trente-trois ans, j’ai dû y donner plus de 300 conférences, et je me suis rendu compte que lorsque je raconte les amours du roi, 100 % des gens m’écoutent avec attention. Je suis convaincu que cette petite histoire est aussi importante que la grande.

Avec quel roi commence l’aventure de Versailles ?

Avec Louis XIII. Habitant au Louvre, il vient chasser sur les terres giboyeuses de Versailles, comme le faisait son père, Henri IV. Il dort alors dans le seul hôtel de l’époque, l’Hostel où pend l’écu, un véritable bouge. Pour respecter son rang de monarque, il se fait construire un pavillon de chasse. L’avantage à Versailles, c’est qu’on est suffisamment proche de Paris pour pouvoir y retourner en cas d’urgence, et suffisamment éloigné pour devoir passer la nuit sur place si le jour tombe. L’idéal pour séduire ! Louis XIII va tenter de charmer Marie de Hautefort, jeune fille vive et entreprenante, puis Louise de La Fayette. Mais le roi est un nigaud, il n’a vraiment pas le talent qu’aura Louis XIV dans ce domaine.

Tout va donc changer avec Louis XIV ?

Oui, avec lui, le château de plaisir va prendre vie, même si ses débuts sont très maladroits. Alors que toutes les dames de la Cour veulent être la première à honorer le roi, l’adolescent est déniaisé par la baronne de Beauvais, une femme de plus de 40 ans, qui plus est borgne, vicieuse, et au visage piqueté par la vérole. Anne d’Autriche est effondrée. Aussi, quand il trompe sa maîtresse avec sa belle-s£ur, Anne d’Angleterre, la femme de Monsieur (ou plutôt de Madame, vu ses m£urs), on ferme un peu les yeux. Mais, pour éviter de gros ennuis avec le clergé, on essaie de lui trouver un  » paravent « , c’est-à-dire une diversion. Arrive Louise de La Vallière, une jeune et timide ingénue.

Et Louis XIV en tombe amoureux !

Bientôt, il lui demande même d’assister à ses côtés aux cérémonies officielles – Bossuet parlera dans l’un de ses sermons des  » fleuves de l’enfer « . Avec elle naît le terme de  » favorite « . Versailles, où le monarque s’est installé en 1660, prend de l’ampleur. Louis XIV doit y montrer sa puissance. La nature est asservie, taillée au cordeau par Le Nôtre. Le choix de la statuaire s’opère par rapport à la mythologie, aux grands artistes de l’époque, mais on en profite aussi pour disséminer çà et là quelques éphèbes au corps sublime. Afin de conter fleurette en toute tranquillité, le roi fait construire la grotte de Thétis, le Trianon de porcelaine et de nombreux bosquets. N’oubliez pas que, en 1687, 36 000 hommes travaillent au château. S’isoler n’est donc pas simple.

Et Mme de Montespan ?

C’est Louise de La Vallière qui l’a introduite à la Cour, en 1666.  » Une beauté à montrer aux ambassadeurs « , d’après Saint-Simon. Je dirais, moi, qu’elle a le corps de Marilyn Monroe et l’intelligence de Simone de Beauvoir. Elle a tout compris du parti qu’elle pouvait tirer de la conquête du roi. Elle n’est pas la seule, toutes les femmes tentent alors leur chance – le simple fait d’avoir partagé la couche du roi constitue un atout. Et puis, imaginez la France de l’époque, des champs mal cultivés, des villes qui puent, et vous arrivez dans une cité propre, bien gardée, brillanteà

Parallèlement, Versailles ne devient-il pas un immense bordel ?

En effet, la prostitution va bon train dans les bois avoisinants. Bientôt le roi ne le supporte plus, car les ouvriers sont affectés par quantité de maladies, ce qui occasionne des retards importants dans les travaux. Dans un premier temps, il décrète l’interdiction de la prostitution – une mesure guère efficace. Alors, il décide que les femmes seront fouettées en place publique et que leurs clients auront le nez et les oreilles tranchés. Moralité, la prostitution se déplace, envahit les hôtels particuliers de Paris et de Versailles, signalés par des couronnes de lauriers. Quand on fermera ces maisons closes, on arrachera les lauriers, d’où la chanson :  » Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés. « 

Vous n’avez pas beaucoup d’estime, semble-t-il, pour la dernière favorite, Mme de Maintenon ?

En effet, elle me rappelle ces vieilles femmes qui fustigent les jeunes et leurs m£urs et dont on se rend compte combien elles ont été sulfureuses. Alors, voilà une femme qui vit avec Scarron, un mari un peu particulier, qui partage le lit de la grande courtisane de l’époque, Ninon de Lenclos, et qui a été la maîtresse du marquis de Villarceaux – il la représentera entièrement nue sur un tableau. D’abord recrutée pour s’occuper des enfants, elle se forge une morale. Puis, pas sotte, elle prend à contre-pied ce roi vieillissant, longtemps séduit par des femmes un peu légères, en l’abreuvant de principes religieux. Il érige bientôt la chapelle royale, la dernière pièce de Versailles. Mme de Maintenon est austère, les décolletés disparaissent, bref, on ne plaisante plus ! Versailles devient un château hanté.

Puis vient la Régence, encore un tournant ?

Les gens aisés ont un tel besoin de respirer qu’ils tombent dans l’excès. Tandis que le peuple continue de souffrir, la débauche, ici, est totale. Le jardin devient un véritable lupanar. Quand Louis XV s’installe à Versailles, vers 1722, à 12 ans, on commence à remettre de l’ordre, la morale revient petit à petit.

Reste que vous écrivez :  » Louis XIV aimait la séduction, son arrière-petit-fils, le sexe.  » Louis XV tombe-t-il à son tour dans les turpitudes ?

Oui, Louis XV est un  » viandard « . Pour lui, seule compte la quantité. Louis XIV aimait les femmes et leur était redevable. Louis XV ne fait pas de cadeaux, écumant allègrement les bonnes familles. Mais il tombe sur une femme d’exception, d’une intelligence rare, Mme de Pompadour, qui va bientôt diriger la France. Pour satisfaire son appétit sexuel, elle n’hésite pas à se déguiser en jardinière, en fermière, et à créer le Parc-aux-Cerfs, où l’on élève des jeunes filles destinées au lit du roi. Un roi qui a tellement peur des maladies vénériennes qu’il les demande de plus en plus jeunes, les plus  » neuves  » possible.

Et les orgies dont vous parlez ?

Commencées avec la Pompadour, elles culmineront avec Mme du Barry. Cette dernière est une catin magnifique, du genre  » bombe atomique « . Elle organise des soupers fins, durant lesquels les convives quittent un vêtement à chaque nouveau plat. Quand deux personnes se retrouvent nues en même temps, le couple est formé. On dit qu’une fois Mme du Barry a été honorée par sept messieurs !

On en arrive à Louis XVI, plutôt triste sire, non ?

Oui, mais honnête, humain. Simplement, il n’est pas très porté sur le sexe, il préfère la chère à la chair. En fait, on a détecté chez lui une malformation sexuelle. Marie-Antoinette, elle, s’autorise quelques aventures, n’en déplaise aux royalistes qui n’apprécient guère cette idée. Avec Louis XVI, finalement, Versailles redevient normal. On s’y tient correctement, comme aujourd’hui, avec un parc qui reste un lieu de prédilection pour tous les amoureux du monde.

L’Amour à Versailles, par Alain Baraton. Grasset, 282 p.

Propos recueillis par Marianne Payot

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire