Les 10 bombes budgétaires de Di Rupo

Derrière le bon bulletin budgétaire européen adressé à la Belgique se cachent 10 bombes à retardement qui risquent d’exploser lors de la prochaine législature. Le gouvernement, dénoncent opposition, syndicats et acteurs de terrain, a poussé la logique du court terme à son extrême.

La Belgique est remise sur les rails budgétaires. Le 15 novembre, la Commission européenne a attribué une note  » satisfaisante  » à notre pays. Au printemps prochain, en pleine campagne électorale, la procédure de déficit excessif, qui sanctionne les pays dont le déficit budgétaire est supérieur à 3 % du Produit intérieur brut (PIB), devrait être abandonnée. C’était l’un des objectifs avoués du gouvernement Di Rupo.  » Nous assainissons les finances publiques, soutenons le pouvoir d’achat des citoyens et prenons des mesures de relance de notre économie : c’est ce que nous appelons la recette belge « , insiste le Premier ministre.

Tout n’est cependant pas si rose. En deux ans, la majorité fédérale (PS, SP.A, CD&V, CDH, MR et Open VLD) a gratté les fonds de tiroir pour réaliser plus de 22 milliards d’euros d’économie (plus de 800 milliards d’anciens francs belges : colossal !). Elle a – surtout – transmis la facture à d’autres niveaux de pouvoir, aux générations futures et, parfois, décidé… de ne pas décider. Georges Gilkinet (Ecolo, dans l’opposition au fédéral), président de la commission des Finances de la Chambre, dénonce un lourd passif pour l’avenir :  » D’un point de vue budgétaire, on n’a rien résolu ! On a fait le plus urgent, sortir des radars des marchés financiers, mais ce gouvernement a poussé la logique du court terme à son extrême !  » C’est aussi l’avis des acteurs de terrain. La preuve par 10 bombes à retardement que nous avons soumises à divers experts.

1. La pauvreté inonde les CPAS

 » La poursuite de la chasse aux chômeurs et la dégressivité accélérée des allocations de chômage reportent la charge de solidarité du fédéral sur les CPAS « , dénonce Georges Gilkinet. Coût de la facture ? Des centaines de millions d’euros ! L’exclusion des chômeurs : plus de 50 millions d’euros aux CPAS wallons. Contribution des CPAS bruxellois et wallons aux bénéficiaires du revenu d’intégration : plus de 225 millions d’euros en 2013, en hausse de plus de 10 % depuis 2011.  » La pression financière est causée par une multitude de facteurs, dont la crise est probablement le plus important « , réagissent en choeur Elio Di Rupo, Premier ministre, et Olivier Chastel, ministre MR du Budget. En rappelant qu’une compensation est prévue  » pour le surcoût effectif « .

 » La catastrophe sociale qui s’annonce, c’est la limitation du stage d’insertion à trois ans, souligne Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB. Le 1er janvier 2015, du jour au lendemain, 55 000 personnes seront exclues du chômage, dont 35 000 en Wallonie. Une grande majorité de ces personnes s’adresseront aux CPAS. Ce sont surtout les communes les plus faibles qui seront touchées.  »

Jean Hindriks, professeur d’économie à l’UCL :  » Il y a un transfert de charges, c’est clair. Le tout est de savoir s’il est légitime ou pas. Avec la réforme de l’Etat, les Régions hériteront en outre d’outils importants en matière de politique d’emploi, pour plus de 11 milliards d’euros en subsides aux salaires et réductions de cotisations. L’enjeu ? Développer l’emploi marchand !  »

2. Les communes étranglées

Les pouvoirs locaux croulent sous les charges transférées par le fédéral : réforme des services d’incendie suite à la catastrophe de Ghislenghien, refinancement de la police locale suite à l’affaire Dutroux… Le clou de leur cercueil, c’est la réforme des pensions du personnel communal statutaire décidée par feu Michel Daerden (PS) alors qu’il était ministre fédéral. Surcoût : plus d’un milliard d’euros à l’horizon 2016, dénonce l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW). Des dizaines de communes ont déjà décidé de plans de restructuration.  » La situation est catastrophique, insiste Jacques Gobert, président de l’UVCW. On peut craindre de nouveaux licenciements, des augmentations de taxes ou une diminution de l’offre de services.  »

 » Chaque composante des pouvoirs publics doit participer à l’effort d’assainissement des finances publiques « , insistent Elio Di Rupo et Olivier Chastel. En rappelant que  » malgré les difficultés, l’Etat fédéral a consenti des efforts importants, notamment en faveur de la sécurité au niveau local  » : recrutement de 1 000 policiers, investissement de 20 millions en 2014 pour les zones de secours… Quant à la réforme des pensions, elle était indispensable en raison du vieillissement de la population et  » n’a pas occasionné une augmentation globale de la charge des pensions, mais a permis d’en assurer une répartition plus juste « .

Jean Hindriks :  » Jusqu’ici, le gouvernement fédéral a réalisé 90 % de l’effort budgétaire, il n’est pas anormal que les autres niveaux de pouvoir y contribuent eux aussi. Mais la question des pensions du personnel statutaire des communes, c’est LA bombe à retardement. A l’horizon 2025, la charge représentera 1,6 milliard pour les communes, une augmentation de 60 % en vingt ans. Or, plus de 70 % d’entre elles n’ont rien provisionné.  »

3. Les retards de paiement tuent des entreprises

 » « Il est décidé d’un blocage administratif des crédits, d’un monitoring de leur sous-utilisation… » Le ministre du Budget utilise des termes adorables pour évoquer le retour du principe de l’ancre, qui limite fortement les dépenses de l’Etat, raille le président Ecolo de la commission des Finances de la Chambre. Pour 2014, le gouvernement Di Rupo a programmé une sous-utilisation de ses budgets à hauteur de 870 millions d’euros, plus un blocage administratif des crédits pour les services publics fédéraux à hauteur de 400 millions d’euros et une limitation des crédits de fonctionnement et d’investissement.  »

 » Il est faux de dire que l’on applique le principe de l’ancre, fustigent Elio Di Rupo et Olivier Chastel. Les crédits sont bloqués non seulement en liquidation, mais aussi en engagement, ce qui évite l’accumulation d’un encours non maîtrisé.  »

 » Ce n’est pas neutre, prolonge pourtant Georges Gilkinet. Les investissements publics représentent plus de 5 milliards d’euros tous niveaux de pouvoir confondus et les consommations de biens et services environ 11 milliards, soit, au total, 5 % du PIB. Les fournisseurs ne sont plus payés. Certains tombent en faillite.  » A l’Union des classes moyennes (UCM), on confirme.  » Le délai moyen des paiements des factures, tous niveaux de pouvoir confondus, est de 69 jours, souligne Jonathan Lesceux, conseiller à la fédération. Une directive européenne vise à réduire ce délai à 30 jours, mais tous les partis rechignent à la transcrire dans notre législation.  » Or, plus d’une faillite sur quatre pourrait être évitée si les factures étaient payées à temps !

Jean Hindriks :  » Cela reste un vrai problème, mais de sérieux efforts ont été fournis. Il y a quelques années, le délai était nettement plus important.  »

4. En vue : l’iceberg des pensions

Décidée fin 2011, la réforme des pensions est déjà oubliée du grand public.  » La façon dont elle a été décidée, via des amendements à une loi-programme, me reste pourtant en travers de la gorge, déplore Georges Gilkinet. Elle conduira énormément de futurs pensionnés dans des situations de pauvreté. Des femmes, surtout !  » Parce qu’elles travaillent souvent dans des secteurs qui paient moins et qu’elles sacrifient leur carrière plus facilement pour des raisons familiales… Or, la réforme limite l’utilisation des périodes durant lesquelles on ne travaille pas dans le calcul de la pension.  » Les mailles du filet de la sécurité sociale se sont élargies « , constate Georges Gilkinet.  » Une réalité qui sera pleinement perceptible d’ici 20 à 25 ans « , acquiesce Thierry Bodson (FGTB).

Le coût budgétaire du vieillissement, lui, reste à terme une bombe atomique : il représentera entre 4 et 5 % du PIB sur la période 2012-2060.

Jean Hindriks :  » La réforme des pensions décidée par le gouvernement n’est qu’une première petite étape. L’économie réalisée n’est que de l’ordre de 0,2 % du PIB. Insuffisant !  »

5. Les banques : l’épée de Damoclès

 » Le dossier Dexia est une épée de Damoclès « , s’inquiète Georges Gilkinet. Le sauvetage de la banque pourrait, à terme, s’avérer désastreux. Lors de la première recapitalisation, l’Etat belge a accepté d’assumer une grande partie de la garantie sur l’héritage de la banque, à raison de 60,5 % des 90 milliards d’euros.  » Si le montant total de la garantie assumé par la Belgique a été diminué à l’occasion de la deuxième recapitalisation, il reste gigantesque, à hauteur de 10 % de son PIB ! Alors que la France a bien davantage la capacité d’endosser cette charge et porte des responsabilités énormes dans le dossier.  » Elio Di Rupo et Olivier Chastel rappellent :  » C’est une décision prise par le gouvernement précédent.  » Et insistent : il faut accompagner le démantèlement du holding :  » Si nous refusions de le faire, l’Etat serait contraint d’honorer sa garantie qui s’élève aujourd’hui à 44 milliards d’euros.  »

La gestion du dossier bancaire ? La logique du court terme portée à son summum, selon le député Ecolo.  » On ne change pas les banques parce que les plus grandes d’entre elles résistent et qu’elles exercent un chantage à la peur, mais cela signifie que l’on assume leur dangerosité. La réforme du secteur bancaire est un trompe-l’oeil parce qu’elle ne sépare pas banques de dépôts et banques d’affaires.  » Koen Geens (CD&V), ministre des Finances, affirme, lui, que  » cela nuirait à la rentabilité des banques dans le contexte international « .

Jean Hindriks :  » Il y a un problème avec le portefeuille à longue durée de Dexia, c’est vrai, mais la garantie de l’Etat devrait être soutenable si l’on évite toute nouvelle attaque spéculative sur notre pays. Quant à nos banques, elles sont relativement saines. Il y a un petit problème de rentabilité chez Belfius, mais rien de dramatique.  »

6. La justice délaissée

 » Malgré la promesse de ne pas faire subir de coupes budgétaires au département de la Justice, déjà soumis à un sous-investissement lors des dernières décennies, le gouvernement a décidé de réduire encore le personnel de plusieurs services et de ne pas remplacer immédiatement les juges admis à la retraite « , dénonce Georges Gilkinet. Conséquence : l’arriéré judiciaire repart à la hausse dans certaines juridictions. Par ailleurs, l’application de la TVA aux honoraires d’avocats, à hauteur de 21 %, va restreindre l’accès à la justice.  » La Justice ne fonctionne plus de manière satisfaisante lorsque son accès devient problématique pour le citoyen et lorsque les litiges ne sont plus traités dans des délais qui correspondent aux besoins du citoyen et de la société « , a asséné Marc Dewart, premier président près la cour d’appel de Liège, lors de la rentrée judiciaire.

Jean Hindriks :  » C’est un secteur qui a été délaissé, mais c’est aussi celui qui est le plus difficile à réformer.  »

7. Le déclin des titre-services

Créé en 2008, le système de titres-services a été sur-subventionné pendant ses premières années de fonctionnement pour créer artificiellement de l’emploi. Montant à charge de l’Etat : près de 1,8 milliard. Depuis, les bénéfices diminuent et le secteur s’écroule.  » Le nombre d’opérateurs de titres-service qui font le choix ou sont contraints à la faillite est aujourd’hui impressionnant « , constate Georges Gilkinet.  » Il s’agira surtout de revoir le système afin de stabiliser les emplois créés, précise Thierry Bodson (FGTB). Ce sera la tâche des Régions, qui hériteront du système avec la réforme de l’Etat.  » Elio Di Rupo, lui, affirme que le gouvernement  » a précisément adapté le système pour permettre son maintien « .

Jean Hindriks :  » Je ne me prononce pas sur l’utilité du système, qui rend service à des personnes plus fragiles. Mais il se limite à des emplois peu qualifiés et représente une charge administrative importante.  »

8. Le passif nucléaire coûtera cher

Le gouvernement Di Rupo a confirmé la sortie du nucléaire à l’horizon 2015, tout en maintenant Tihange I en activité jusqu’en 2025.  » Les producteurs n’ont pas provisionné suffisamment d’argent pour assumer le coût du démantèlement des centrales « , déplore Georges Gilkinet. En caisse : 6,4 milliards d’euros en 2011 alors que l’Ondraf (organisme national chargé des déchets radioactifs) estime le coût du démantèlement à plus de 10 milliards d’euros !  » GDF Suez réalise un bénéfice très important grâce à l’amortissement accéléré des centrales nucléaires, mais l’Etat n’en prend qu’une toute petite partie via la rente nucléaire : 550 millions d’euros contre un gain de 1,2 milliard ! On accorde une prime aux Français qui ont racheté Electrabel.  »

Jean Hindriks :  » L’argent approvisionné devrait suffire au démantèlement. Tout dépendra du prix de l’électricité qui déterminera le niveau de la rente nucléaire.  »

9. La non-réponse climatique

Après les résultats décevants de la conférence sur le climat à Varsovie, le constat s’impose plus que jamais, dit le député Ecolo : on doit diminuer notre consommation d’énergies fossiles et investir dans les énergies renouvelables.  » Le coût annuel énergétique pour la Belgique est énorme : en 2011, nous avons importé pour plus de 18 milliards d’euros de pétrole, de gaz, de charbon ou d’uranium !  » Or, l’une des premières décisions du gouvernement Di Rupo a été de supprimer les aides fiscales pour l’isolation des habitations, regrette-t-il.  » Ces primes n’étaient pas idéales parce qu’elles ne tenaient pas compte des catégories sociales, mais répondaient à un objectif essentiel et soutenaient un secteur économique à fort taux de main-d’oeuvre…. Le problème climatique est désormais considéré comme superflu. Mais si l’on ne fait rien, les coûts pour demain seront substantiellement plus élevés que les investissements à réaliser aujourd’hui.  »

Jean-Pascal van Ypersele, climatologue de l’UCL :  » Il faudrait être de mauvaise foi pour accabler le seul gouvernement Di Rupo, confronté à des contraintes énormes et à une concertation difficile avec les Régions. Mais le constat général, c’est que tous les gouvernements des pays développés continuent à considérer l’atmosphère comme une poubelle infinie pour le CO2. La facture sera pour les générations futures. Il suffit de voir comment, à Varsovie, on n’a pas réussi à s’entendre sur le financement du fonds de 100 milliards qui doit permettre aux pays en voie de développement de s’adapter au changement climatique à l’horizon 2020. Irresponsable !  »

10. La coopération au développement dépouillée

 » Des coupes claires survenues dans l’indifférence générale, clame Georges Gilkinet. L’injustice semble consacrée comme projet de société.  » Elio Di Rupo et Olivier Chastel parlent d’une diminution limitée à  » 3 % en trois ans, en période de crise économique « .

Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD – 11.11.11 et professeur à l’ULB :  » Le budget de la coopération au développement est celui qui a le plus souffert. Entre 2011 et 2013, il a baissé de 22 % ! Cela porte sérieusement atteinte aux capacités d’intervention.  »

Par Olivier Mouton

 » La catastrophe sociale qui s’annonce, c’est la limitation du stage d’insertion à trois ans. Le 1er janvier 2015, du jour au lendemain, 55 000 personnes seront exclues du chômage, dont 35 000 en Wallonie  »

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