Leclercq obscur

Ettore Rizza
Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

Inconnu hors de sa sous-région, le Hainuyer Tommy Leclercq est devenu le plus jeune gouverneur du royaume. La consécration d’un parcours dans l’ombre des cabinets. Et d’amitiés haut placées ?

Pour la première fois depuis des lustres, Tommy Leclercq a passé le 1er mai chez lui. Adieu fêtes avec les camarades, ferveur des meetings, Internationales chantées le poing levé. Militant socialiste depuis l’adolescence, l’homme s’est mué, à 42 ans, du jour au lendemain, en créature politiquement asexuée : un gouverneur de province. Le plus jeune du royaume, dans la plus peuplée de Wallonie. La sécurité d’un tiers des habitants de la Région, ceux du Hainaut, dépend désormais de ce commissaire des gouvernements, trait d’union entre le fédéral, la Région, la Communauté, la Province et 69 communes.

Au 4e étage du palais provincial de Mons, sous le regard des portraits du roi et de la reine, la décoration moderne de son bureau tranche avec la majestueuse vétusté du bâtiment. Fonction de représentation oblige, il a troqué le jean contre un élégant costume bleu marine. Ses yeux clairs illuminent un visage impassible, animé de temps à autre d’un sourire narquois. Lui qui  » déteste l’improvisation  » a disposé sur la table un dossier sur les missions imparties aux gouverneurs.

Pas toujours une sinécure. En aout 2004, son prédécesseur Claude Durieux avait pris ses fonctions en pleine catastrophe de Ghislenghien : 24 morts, plus de 130 blessés. Par bonheur, les zonings industriels n’explosent pas tous les jours. Tommy Leclercq, plus chanceux, a pu s’octroyer une semaine de vacances au surlendemain de sa prestation de serment, le 28 mars dernier. Son temps n’est plus compté désormais. Il dispose de vingt ans pour atteindre ses objectifs. Pratiquement indéboulonnable, il peut espérer siéger jusqu’à la retraite. Pour une rémunération nette, tous avantages confondus, d’environ 7 400 euros par mois, selon les calculs du Crisp.

On comprend que les postes de gouverneur, bien que protocolaires, se négocient âprement au sein des majorités régionales et jusqu’aux états-majors des partis. La tradition voulait qu’ils couronnent une longue carrière. Les temps changent. En 2007, à Namur, le libéral Denis Mathen n’avait que 41 ans lorsqu’il a décroché son bâton de maréchal, au bout d’un an et demi de tractations. Encore avait-il fait ses armes au parlement wallon et comme échevin des Finances à Namur.

Tommy Leclercq aussi a été échevin, de 2000 à 2006. Mais avec moins de 6 000 âmes, Lobbes n’a rien de Namur. Devenu simple conseiller communal, il a fait son entrée au conseil provincial en 2006, où ses questions mordantes ont parfois irrité le partenaire de majorité MR. Au double scrutin d’octobre dernier, une coalition de  » perdants  » lui a raflé la majorité et le maïorat lobbains. Egalement tête de liste à la province, il a obtenu un score respectable dans le district de Thuin (5 833 voix), inférieur toutefois à ceux du député CDH David Lavaux ou du bourgmestre MR de Momignies, Albert Depret.

Ce qui ne l’a pas empêché de remplacer ce dernier à la présidence de l’assemblée provinciale. Passés de six à cinq après la réforme de l’institution, les députés provinciaux hainuyers avaient perdu Richard Willame, parti à la retraite. Plus de socialiste thudinien dans l’exécutif. Une compensation s’imposait pour la fédération.

Mais à peine grimpé au perchoir, Tommy Leclercq entrevoyait un horizon plus fastueux. Claude Durieux avait atteint la limite d’âge. Il aurait dû quitter ses fonctions le 1er octobre, date butoir finalement repoussée au 1er janvier, faute de successeur. Leclercq figurait depuis longtemps parmi les plus cités. Il a pourtant fallu quatre mois de marchandages et la désignation ad interim d’un commissaire d’arrondissement avant que son investiture aboutisse. Le blocage venait d’Ecolo, irrité que les socialistes considèrent cet office comme leur chasse gardée.  » Nous voulions aussi un débat sur la fonction de gouverneur, qui n’a finalement de comptes à rendre à personne « , précise Manu Disabato, leur chef de groupe au parlement wallon. Les Verts ont fini par céder. Sans exiger d’autre mandat en échange, assurent-t-ils.

Une ascension discrète

En dehors de son fief rural, Tommy Leclercq faisait jusqu’ici figure d’anonyme. Et pour cause : l’essentiel de sa carrière s’est forgée à l’ombre des cabinets. Petit-fils d’un métallo ancien conseiller communal socialiste de Châtelet, fils d’enseignants peu politisés, le jeune homme a entamé son ascension au début des années 1990. Son propulseur : la formation de cadres de l’Institut Emile Vandervelde, le centre d’études du PS que dirigeait alors un certain André Flahaut. Dès 1995, alors qu’il entamait une licence en sciences du travail à l’ULB, Leclercq alterne fonctions administratives et titres de conseiller auprès d’une série de ministres fédéraux et régionaux : Yvan Ylieff, Elio Di Rupo, Jean-Claude Van Cauwenberghe, Jean-Claude Marcourt, de nouveau Di Rupo, cette fois comme chef de cabinet du ministre-président wallon, et enfin Paul Furlan, son voisin bourgmestre de Thuin, vieux compagnon de militance qui en a fait son adjoint au tourisme. Son meilleur souvenir ?  » Chez Marcourt. C’était un patron d’une très grande humanité. Sa porte était toujours ouverte.  »

Pourtant, l’amitié qui le lie à Elio Di Rupo est renommée.  » Elio Di Rupo a beaucoup d’amis « , élude le gouverneur. Sans doute. Mais le président du PS n’a pas honoré de sa présence toutes les présentations de candidat aux communales, comme ce fut le cas pour la sienne. Chaque ancien collaborateur ne le voit pas surgir à sa fête d’anniversaire. Il ne chante pas avec le tout-venant dans des restos-bars d’Ixelles. Sur YouTube, une amusante vidéo témoigne de leur complicité. Un soir de décembre 2011, à Bruxelles-Ville, une équipe de télévision néerlandaise à la recherche du Manneken-Pis se renseigne auprès de deux passants. Un homme en doudoune lui indique le chemin dans un néerlandais trébuchant : c’était Elio Di Rupo, fraîchement nommé chef du gouvernement. A ses côtés, Tommy Leclercq.

Le Premier ministre ne préface pas non plus chaque ouvrage d’un élu socialiste. Dans Lobbes, Ma Commune, édité à ses frais trois mois avant le scrutin et distribué gratuitement dans les boîtes aux lettres de la localité, Elio Di Rupo livre cet éloge de l’auteur :  » Voici près de vingt-cinq ans, un étudiant en sciences politiques entrait dans mon bureau bruxellois du Parlement européen. Son objectif : m’interroger sur l’avenir des provinces et des communes en Europe. D’emblée, j’ai perçu chez ce jeune homme non seulement de réelles capacités intellectuelles, mais un militantisme certain. Il ne dissimulait pas son goût pour la politique ni sa détermination à y prendre une part très active.  »

Vingt-cinq ans plus tard, la part très active appartient au passé.

ETTORE RIZZA

 » Voici près de vingt-cinq ans, un étudiant en sciences politiques entrait dans mon bureau…  »

Elio Di Rupo

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