Léautaud et l’ami Pierrot

Pierre Perret a-t-il vraiment fréquenté l’écrivain ou a-t-il inventé leurs rencontres, comme certains l’en accusent ? Le Vif/L’Express a mené l’enquête.

Je le jure sur la tête de toute ma famille : j’ai bien rencontré Paul Léautaud !  » Malgré les 8 000 kilomètres qui nous séparent du Royal Palm, le célèbre palace de l’île Maurice, on reconnaîtrait entre mille la voix gouleyante de Pierre Perret. En ce mois de février, l’interprète du Zizi pensait se reposer dans cette jolie colonie de vacances (pour riches) et le voilà contraint de répondre à un article au vitriol du Nouvel Observateur, l’accusant, à l’occasion de la parution de son livre A Cappella (Le Cherche Midi), d’avoir menti sur ses relations avec Georges Brassens et inventé ses rencontres avec l’écrivain Paul Léautaud. Selon nos informations, l’éditeur le Mercure de France envisagerait même de supprimer la préface de Perret à l’anthologie du célèbre Journal de l’écrivain.  » C’est insensé ! J’attaque Le Nouvel Obs en justice « , annonce le chanteur.

L’enjeu est de taille : la visite du jeune provincial Perret à l' » ermite de Fontenay-aux-Roses  » constitue la caution littéraire d’une carrière longue de cinquante ans. Il en a même tiré un livre, Adieu monsieur Léautaud (Julliard), paru en 1972, et cite le romancier dans sa chanson Mon p’tit loup.  » Je suis allé taper à sa porte, le 26 août 1954, se souvient-il. Il m’a d’abord jeté, puis, se ravisant, m’a fait entrer dans sa maison remplie de chats. Nous avons parlé de Jouvet, de Voltaire, de Diderot. Pendant six heures !  » En ce milieu des années 1950, Léautaud est une star : l’auteur du Petit Ami a tenu la France en haleine lors de ses entretiens radiophoniques avec Robert Mallet. Ses piques, ses rires –  » Ohohohoh !  » – et ses coups de canne ont consacré cet Alceste habillé en clochard.

Justement, élément qui pourrait être déterminant, en ce jour d’août 1954, le timide Perret, 20 ans, qui arbore alors moustache et veste de velours, demande à l’écrivain de lui dédicacer le volume tiré de ces Entretiens.  » Il a pris sa plume d’oie et a écrit : « A Pierre Perret, avec des années de retard et mes cordialités, Paul Léautaud. » J’ai gardé ce livre et je le produirai au procès « , promet le chanteur. De même compte-t-il apporter la Correspondance en deux volumes de Stendhal que Léautaud aurait achetée avec lui lors d’une tournée des librairies du Quartier latin.

Cette pittoresque virée a été mise en doute par certains  » léautaldiens « , qui rappellent que l’écrivain, alors âgé de 83 ans, ne se rendait plus à Paris que dans la voiture de la milliardaire Florence Gould ou de sa grande amie Marie Dormoy. Pourtant, la lecture du volumineux Journal littéraire de Léautaud – 19 tomes – indique qu’il allait encore parfois à Paris en bus à cette époque, les 13 et 23 avril 1955, par exemple.

Perret n’apparaît jamais dans le Journal

 » Je suis retourné cinq ou six fois à Fontenay, assure Perret. Un jour, il cassait du bois dans son jardin ; un autre, il m’a présenté sa guenon.  » Objection des sceptiques : mais alors, pourquoi le nom du chanteur n’apparaît-il jamais dans le Journal de l’écrivain ?  » Je n’étais rien, pour lui, à l’époque « , hasarde Perret. Il est vrai que Christian Millau, qui a rencontré plusieurs fois Léautaud à la même période – ce que personne ne conteste – comme il l’a relaté dans son succulent Galop des hussards (Fallois), n’apparaît pas non plus dans l’interminable index du Journal…

Les doutes sur la réalité de ces rencontres ne datent pas d’aujourd’hui. En 1987 déjà, à la télévision, le réalisateur Pascal Thomas résumait l’opinion des léautaldiens.  » Perret l’a peut-être vaguement rencontré, mais la promenade à Paris n’est pas possible « , disait le réalisateur des Zozos de l’auteur du Zizi. Le chanteur dit aujourd’hui avoir été à deux doigts de garder une preuve irréfutable de cette escapade parisienne. Alors qu’ils marchaient boulevard Saint-Germain, un photographe de rue a voulu prendre un cliché de Perret et Léautaud. Mais le vieil écrivain atrabilaire sortit sa canne de sa pèlerine en hurlant :  » Foutez-nous donc la paix !  » Dommage…

Jérôme Dupuis

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