Le ver dans la pomme

Custodes, la revue des magistrats et des policiers, ouvre le dossier de l’islam. Où l’on voit comment la politisation du discours religieux enfante une idéologie redoutable

La revue Custodes égrène d’habitude d’austères sujets liés aux thématiques de la justice et de la police. Le numéro qui sort ces jours-ci est un peu inhabituel puisqu’il porte sur l’islam (1). Conçu avant les événements du 11 septembre 2001, il reste fidèle à ses exigences scientifiques, tout en offrant des analyses pointues sur les expressions de l’islam politique en Belgique, mais aussi au Maroc et en Turquie, principaux pays d’origine de la communauté musulmane installée dans nos frontières. Il s’intéresse également à l’évolution du droit égyptien sous l’influence de la charia (loi islamique), ainsi qu’aux pièges que recèle, notamment, chez les jeunes femmes, l’enfermement, par le regard des autres, dans la seule identité musulmane. Custodes prétend d’autant moins avoir réalisé le tour de la question que l’Exécutif des musulmans de Belgique, pourtant sollicité (mais actuellement en proie à une crise sévère), s’est abstenu d’y apporter sa contribution.

L’article d’Alain Grignard, islamologue, commissaire à la police fédérale (2), attire tout particulièrement l’attention. Pas de faux espoirs: rien ne filtre des enquêtes actuellement dirigées par le juge d’instruction bruxellois Christian De Valkeneer sur le réseau Al-Qaida en Belgique. En revanche, le tableau que le policier dresse de l’islam politique en Belgique permet de mieux comprendre la généalogie des mouvements radicaux qui ne versent pas tous, loin s’en faut, dans l’action violente. Il permet de mieux comprendre comment les extrémistes ont pu prendre pied en Belgique, y recruter des adeptes et préparer des attentats sans être immédiatement rejetés par leur environnement social.

Entre les années 1960, où la pratique religieuse restait confinée à la sphère privée, et le milieu des années 1970, lorsque le tabligh, un mouvement piétiste d’inspiration pakistanaise, a commencé à recruter de jeunes défavorisés, s’est développée la lente politisation du message religieux. La répression des Frères musulmans en Syrie, en 1982, provoque la migration de leur branche politique à Aix-la-Chapelle, en Allemagne. Ce mouvement propage ses idées en Belgique, notamment dans un « important centre de prière situé à l’ouest de Bruxelles ». Les Frères prônent « l’immersion dans la société d’accueil tout en conservant intacte l’identité religieuse », à l’exclusion de tout appel à la violence. C’est dans leur sillage qu’apparaissent d’autres groupements plus confidentiels et plus agressifs. L’immigration musulmane, jusqu’alors paisible, devient le théâtre de la lutte d’influence que se livrent des structures politiques importées (perméabilité aux luttes afghanes, iraniennes, algériennes). A la collecte de fonds et à la distribution de matériel de propagande succède la création de cellules logistiques. Des personnages liés à la campagne des attentats de l’été 1995, en France, sont repérés en Belgique. A cette époque, déjà, les enquêteurs mettent la main sur des manuels de sabotage élaborés par ce qui allait devenir Al-Qaida, et dédicacés à Oussama ben Laden. Car, en 1998, l’Afghanistan est devenu le point de rassemblement de tous les islamistes du monde. « Beaucoup seront réexpédiés en Occident, écrit Alain Grignard, pour y constituer des réseaux plus ou moins dormants. La dissolution du réseau Mellouk, à Bruxelles, comme celle des réseaux Meliani, à Francfort, et Ressam, aux Etats-Unis, montrent que les services de police et de renseignement ne restent pas inactifs devant cette intégration croissante de la mouvance islamiste à l’échelle mondiale. La nouveauté, c’est que celle-ci « se professionnalise » en détournant, ou en utilisant à son seul profit, des activités délictueuses de droit commun (faux papiers, trafic d’armes et de voitures), légitimées religieusement par le mouvement al Takfîr wal-Hijrat. Celui-ci prétend que tous les moyens sont bons pour combattre une « société impie ». Ce message trouve un écho dans les prisons, où des islamistes « politiques » cotoient des détenus de droit commun qu’ils convertissent à un « islam » sommaire et radical. « Le faible impact du mouvement islamiste au niveau du nombre est largement compensé par l’hyperactivité de ses zélateurs », conclut Grignard. Avec le risque de séduire les « jeunes laissés-pour-compte de notre système » et d’agrandir ainsi le fossé d’incompréhension entre les communauté.

(1) Custodes, 4/2001. Editions Politeia. Renseignements: 02-289 26 10

(2) A également collaboré à L’Arme du terrorisme, de Gérard Chaliand, Audibert.

Marie-Cécile Royen

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