Le vaudou est toujours debout

Au Bénin, berceau africain de ce culte des esprits et des ancêtres, les rituels séculaires résistent aux assauts de la modernité. Et aucun acteur politique – ni religieux – ne peut se permettre d’en négliger l’influence.

Petite nation d’à peine 11 millions d’âmes, coincée entre le Togo et le Nigeria, le Bénin doit au brio de ses élites le surnom de  » Sorbonne  » ou de  » Quartier latin  » de l’Afrique de l’Ouest. Théâtre dès février 1990 de la première  » conférence nationale souveraine  » d’un continent jusqu’alors vitrifié par le dogme du parti unique, il passe non sans raison pour un pionnier de la modernité démocratique. Mais la patrie d’Angélique Kidjo est aussi, voire avant tout, le berceau du vaudou, appelé ici vodoun, enraciné pour l’essentiel dans le sud du pays.

L’eau, l’air, la terre, le feu. Chacun, du pilote de zémidjan (moto-taxi) à l’universitaire surdiplômé, de l’infirmière au businessman mondialisé, entretient un lien intime avec les divinités ancestrales. Tels Legba le messager, Kokou le guerrier, Ogoun, dieu du Fer, Mami Wata, l’illustre déesse des Eaux, ou Zangbeto, gardien de la Nuit. L’étudiant à la veille de l’examen, le commercial guignant un contrat, la mère en quête du gendre idéal, le couple en mal d’enfant, le paysan que la sécheresse angoisse, le prétendant au mandat électif ou au maroquin ministériel, qu’il s’agisse de conjurer le mauvais sort ou de s’assurer la bienveillance des figures tutélaires du panthéon maison, tous peuvent le moment venu solliciter le concours du vodounon (prêtre). Chez ce député, la poupée posée sur le téléviseur du salon cache sous son jupon un bol à grigris et amulettes. Telle avocate en vue, qui se méfie de son nouveau chauffeur, ne laisse jamais sa robe noire à jabot à bord de la voiture quand elle-même ne s’y trouve pas. Sait-on jamais… Mathématicien de formation, Jean-Claude exerce aujourd’hui à Paris d’éminentes fonctions au sein de la direction d’une entreprise publique.  » Je suis arrivé en France à 17 ans avec, sur la peau, mes scarifications. J’ai grandi avec ça. Et je suis à jamais convaincu qu’un et un ne font deux que dans le système décimal…  »  » Mes visiteurs, confie en écho le linguiste Roger Gbégnonvi, je les reçois toujours entre mes deux totems.  » En l’occurrence, deux vigies animales de bois sculpté.  » Tout se modernise, poursuit cet ancien ministre de la Culture. Dans un foyer urbain, l’absence d’autel ne signifie rien : on y range souvent les fétiches sous le lit.  » Maurice, lui, ne planque jamais les jumelles Juliette et Julienne, ainsi baptisées en mémoire de ses deux fillettes décédées voilà quatre ans. Ce lundi de février, les statuettes de terre cuite, façonnées par un vodounon, occupent la chaise double née des mains de ce terrassier du quartier Kiodamé de Ouidah, qui a aussi taillé le minuscule lit où il les allonge la nuit venue.  » Je les nourris matin et soir, explique Maurice. Des biscuits, des bonbons, des bananes, des haricots, du Coca et du jus de citron. L’autre jour, après une querelle avec ma femme, l’une des deux était tellement fâchée qu’elle a refusé de manger. Je l’ai retrouvée le dos tourné.  »

En 1993, une Journée nationale des religions endogènes est créée

Qu’il paraît loin, le temps où les vodounsi (adeptes du culte vaudou) sacrifiaient dans la clandestinité aux rituels séculaires, peu compatibles avec les impératifs du matérialisme dialectique… En 1972, lorsqu’il parvient au pouvoir au prix d’un putsch, Mathieu Kérékou, disciple de Marx et Lénine, bannit ces pratiques jugées rétrogrades et obscurantistes, quitte à ordonner la destruction de temples et de couvents de même que le tronçonnage d’arbres révérés. Sus à la sorcellerie ! Si l’oukase du camarade-président est voué à l’échec, il faudra attendre 1993 pour que son successeur élu, Nicéphore Soglo, instaure une Journée nationale des religions endogènes, fixée au 10 janvier. Date qui sera, ironie de l’histoire, élevée à la dignité de jour férié cinq ans plus tard par le même Kérékou, affranchi de son tropisme afro-marxiste et revenu aux commandes, par la voie des urnes cette fois.

 » Vous avez devant vous le Daagbo Hounon, le chef suprême, le pontife du Vatican vaudou.  » Ainsi parle, en son palais de Ouidah, Sa Majesté Tomadjlehoukpon II Metogbokandji. Coiffé d’un haut-de-forme tropical, armé d’une canne d’apparat incrustée de cauris et d’une badine à crins de cheval, le torse orné d’un lourd collier de perles, le souverain trône sur un fauteuil de bois blanc tacheté de noir. Et assène au reporter de passage, fermement invité par un courtisan à laisser une obole en cash, un discours bien rodé. Résumons. Universel, le vodoun n’a rien de commun avec le fétichisme, et moins encore avec les pratiques diaboliques. Quant aux colonisateurs et aux missionnaires, ils ont tenté d’arracher les aînés à leur culture.  » En vain, insiste Sa Majesté. Des curés ôtent la soutane et s’habillent en civil pour venir nous consulter nuitamment, en cachette. Nul conflit avec les confessions importées. La première mosquée de la ville jouxte un de nos temples. Et nos grands dignitaires ont assisté aux obsèques du cardinal Bernardin Gantin (pilier de la curie romaine, disparu en 2008). Mieux, en novembre 2011, lors de la venue de Benoît XVI, ils se tenaient à ses côtés dans l’église.  » Première cathédrale ouest-africaine, la basilique bleu ciel et beige dédiée à l’Immaculée Conception, achevée en 1909, fait face au temple des Pythons, haut lieu du vodoun dahoméen.

Les esprits pour maintenant, le Christ pour l’au-delà

Le dimanche après la messe, avance un jeune guide prénommé William, certains fidèles traversent l’esplanade pour rallier le repaire de Dagbe Kpohon et Dagbe Dre, les serpents mâle et femelle. Attribuée à un évêque, la formule ne vieillit pas :  » Chez nous, il y a de 35 à 40 % de chrétiens, 20 % de musulmans et 100 % d’animistes.  »  » Moi, confesse Arno, je suis catholique et vaudou. Le jour de mon mariage, j’irai voir le vodounon puis l’abbé. Les esprits pour m’aider ici et maintenant. Et le Christ pour l’au-delà.  »

Le récent scrutin présidentiel aura démontré s’il en était besoin l’intacte vigueur du facteur sacré.  » Le 10 janvier, souligne le Daagbo Hounon, quatre des candidats ont assisté aux cérémonies de la porte du Non-Retour.  » Allusion à l’arche qui, sur la plage de Ouidah, commémore le déchirant exode vers les Amériques de 1 million d’hommes, de femmes et d’enfants réduits en esclavage. L’esprit, on le sait, souffle où il veut. Et pas toujours dans le même sens que les alizés électoraux. Dans une lettre datée du 15 février 2016, et adressée à l’ex-chef de l’Etat Nicéphore Soglo, un certain Hounnassin Balogoun, président de la Communauté nationale du culte vodoun au Bénin et  » chef suprême des religions endogènes  » du pays, adoubait ainsi l’ex-Premier ministre Pascal Irénée Koupaki. Lequel ne réunira que 5,85 % des suffrages. D’autres, il est vrai, monnaient leurs intercessions au plus offrant.  » Le mouton du sacrifice ne suffit pas aux cupides, soupire un initié. Mais un 4 x 4 fait l’affaire.  »

Ce soir, à Ouidah, dans la courée de la maison Aniambossou, Victor, célébrant désigné par les siens, immole devant l’effigie d’une aïeule un coq et une poule. Bientôt, les incantations de l’assemblée attirent un trio de revenants qui, sous leurs oripeaux chamarrés, tournent et titubent en lâchant des cris gutturaux. Une sarabande dont, bien sûr, la liturgie perd un peu de son charme à l’instant précis où l’un des zombies vient vous réclamer son dû.

De notre envoyé spécial Vincent Hugeux

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