Le triomphe de la femme

Le festival  » Portraits de femmes  » propose un réjouissant programme défendu par l’Orchestre philharmonique royal de Liège, avec Christian Arming à la baguette, et par de grosses têtes d’affiche. Irrésistible !

Quelle aventure ! L’OPRL frappe un grand coup avec la rencontre aussi inattendue que prometteuse, doublée d’un fructueux dialogue entre trois concerts symphoniques très contrastés (de la musique espagnole signée de Falla et Albéniz, Cendrillon de Prokofiev et Jeanne d’Arc au bûcher d’Arthur Honegger), le flamenco, incarné par sa nouvelle étoile Rocío Márquez, un programme jazzy, intelligemment conçu par Nathalie Loriers ( » leading Lady of belgian jazz « ) et, enfin, un flamboyant spectacle – Paris mon amour ! – où la soprano Magali Léger rendra hommage à Joséphine Baker.  » Le festival « Portraits de femmes » s’inscrit dans le cadre de notre thème de la saison 2015-2016 « Il était une femme », souligne Daniel Weissmann, directeur général de l’OPRL. Le programme, très disparate, est un éclatement de projets divers qui mettra en exergue des femmes typées, reflétant des cultures typées. Des femmes qui ont de la profondeur et de l’épaisseur. Bref, l’OPRL célèbre l’art au féminin !  »

Par quoi commencer ? Par le gâteau ou par la cerise ? Par la cerise ! Jeanne d’Arc au bûcher, donc. Cette production digne d’un opéra verra les choses en grand : 200 personnes sur scène dont cent choristes, deux pianos  » préparés  » (le son est modifié par le placement de différents accessoires dans les cordes), les ondes Martenot (il s’agit d’un instrument produisant des sons  » glissants « , imitant les voix  » venues d’ailleurs  » ou les chants de baleines), trois saxophones et neuf chanteurs et comédiens.

Ce somptueux oratorio est né à l’initiative d’Ida Rubinstein, la singulière et extravagante danseuse et mécène russe, icône de la Belle Epoque (c’est elle, également, qui a commandé à Maurice Ravel son célébrissime Boléro). L’idée ? Créer un  » mystère médiéval sur le personnage de Jeanne d’Arc « , mis en musique par Arthur Honegger sur un texte de Paul Claudel. Ida Rubinstein est très grande, très belle et très riche, on ne peut rien lui refuser. Pourtant, le poète-diplomate dit  » non « . Puis, curieusement, dans le train Paris-Bruxelles, il a une  » vision  » et accepte la proposition. Deux semaines plus tard, le livret est bouclé.

Les onze scènes sont conçues comme de brèves unités dramatiques racontant différents moments de la vie de la pucelle d’Orléans. Paul Claudel en profite pour y glisser un message qui, encore aujourd’hui, reste d’actualité : il attaque la corruption du monde et de l’Eglise officielle en condamnant les juges de Jeanne, représentés par des animaux. A la fin, il proclame la victoire de la Joie et de l’Amour. Les deux personnages principaux, Jeanne et Frère Dominique, sont incarnés par des comédiens et ne chantent pas. La musique d’Arthur Honegger, très complexe, fait appel à des langages très différents. Des passages baroques, humoristiques, jazzy ou romantiques alternent avec des thèmes rythmiques psalmodiés par le choeur, des emprunts au chant grégorien et des moments dramatiques saisissants produits par les ondes Martenot. Cet éclectisme séduit pourtant par une grande cohérence et épouse admirablement la diversité du théâtre claudélien.

Natacha Régnier sera Jeanne

L’oratorio est créé le 12 mai 1938 à Bâle, en version concertante. Ida Rubinstein incarne Jeanne. C’est un triomphe. En 1940, l’oeuvre sera présentée à Bruxelles par l’Orchestre national de Belgique, toujours avec Ida Rubinstein dans le rôle principal. En 1953, Roberto Rossellini en fait une version cinématographique avec Ingrid Bergman. Plus récemment, Jeanne d’Arc au bûcher a été repris en France : en 1992 avec Isabelle Huppert, en 2010 avec Fanny Ardant et en 2012 avec Marion Cotillard.

L’oratorio n’a jamais été donné à l’OPRL pour la simple raison qu’il exige des moyens énormes en termes de musiciens et de choristes et un dispositif instrumental très particulier.  » Je le voulais à Liège depuis des années, confie Christian Arming, directeur musical de l’OPRL. C’est le chef d’orchestre japonais Seiji Ozawa qui me l’a fait connaître. J’en suis tombé amoureux, j’ai eu la chance de le diriger trois fois, à Vienne, au Festival de Passau en Allemagne et à Tokyo. Je suis très heureux de pouvoir, enfin, monter ce projet avec l’OPRL.  » Avec, de surcroît, un plateau de choix où brilleront Natacha Régnier dans le rôle de Jeanne et le comédien français Xavier Gallais dans celui de Frère Dominique. La soprano Anne-Catherine Gillet sera La Vierge.  » Je ne connaissais pas cette oeuvre, mais j’ai toujours voulu interpréter Jeanne, explique Natacha Régnier. J’ai lu beaucoup de romans et de récits historiques à son sujet, qui m’ont enthousiasmée. Paul Claudel est un auteur magnifique et j’ai dit « oui » tout de suite. Ce qui me fascine chez Jeanne, c’est à la fois sa grande foi, son côté déterminé et tenace, et sa fragilité, sa grande innocence et son côté mystique. Elle est dans un moment où elle se pose la question de savoir si elle s’est trompée ou si ce sont les autres qui se trompent. Elle le fait sincèrement, avec une grande humilité. Elle n’est pas dans une revendication, mais dans un questionnement très simple et très humble : « comment j’ai fait ? », « est-ce que j’ai tort ou est-ce que j’ai raison ? ». C’est extrêmement puissant et touchant. La musique est belle et riche, avec des moments plus calmes ou burlesques. Je n’ai pas regardé les versions interprétées par Isabelle Huppert ou Marion Cotillard car je n’ai pas envie de copier inconsciemment. Je veux découvrir toute seule ce que ce personnage révèle à l’intérieur de moi, trouver un rythme précis et l’intensité juste.  »

On applaudira aussi Rocío Márquez, la nouvelle star du flamenco et sa voix  » scotchante « , selon l’expression de Daniel Weissmann. Son énergie viscérale, ses timbres et ses accents nous ramènent aux sources de la musique andalouse et de l’esprit gitan. Dans un programme torride qui s’ouvre sur L’amour sorcier de Manuel de Falla et se termine avec Iberia d’Albéniz et son exotisme aux couleurs ensoleillées.

Pianiste classique de formation, la Namuroise Nathalie Loriers s’est tournée, dans les années 1990, vers le jazz. Avec bonheur.  » Le jazz est fascinant sur le plan rythmique et harmonique, se réjouit-elle. J’adore son côté magique et la liberté d’improvisation. C’est un rapport au présent « terrible », on peut lâcher prise pour un moment de méditation et d’état de grâce.  » Nathalie Loriers se produira avec une saxophoniste et un contrebassiste. Son concert, inspiré par le CD Le peuple des silencieux (immense succès en 2014), permettra de confirmer ses talents d’interprète et de compositrice.

La soprano Magali Léger fera sensation en feuilletant nos classiques favoris : C’est si bon, Hello Dolly, La vie en rose, Tea for two, Bye bye blackbird…Grande première ! Le spectacle Paris mon amour !, inspiré de la Joséphine Baker des années 1960, sera créé à Liège, puis présenté au Bal Nègre à Paris, un lieu mythique que la grande Joséphine a beaucoup fréquenté et dont la réouverture est prévue fin 2016.

Portraits de femmes, OPRL, à la salle Philharmonique, à Liège. Du vendredi 29 au dimanche 31 janvier. www.oprl.be

A écouter :Jeanne d’Arc au bûcher avec Marion Cotillard et Xavier Gallais, un CD et DVD, Alpha.

Par Barbara Witkowska

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