Le tragique burlesque

Xavier Lukomski annonce un spectacle « drôle à pleurer, violent à faire peur, profond à donner le vertige »

Ses origines sont polonaises, mais c’est pour un poète russe qu’il se passionne: en Daniil Harms (1905-1942), le metteur en scène belge Xavier Lukomski s’est découvert un frère: « J’éprouve le sentiment de le comprendre jusqu’au moindre tréfonds. Illusion, certes, mais il m’apporte la concrétisation d’une écriture, de procédés théâtraux, de formes dont j’avais besoin, moi qui aimais déjà le montage polyphonique.

« Iconoclaste, cynique, cruel, métaphysique, potache, burlesque, Daniil Harms casse les formes, n’écrit que dans la brièveté, presque jusqu’à l’aphorisme, trousse des vaudevilles en quatre parties – de 1 minute 32 secondes! . Mais il y fait entrer une thématique typiquement russe, celle du mysticisme à la Tolstoï, le tout, dans une grande modernité, qui le rapproche de Gombrowicz et des existentialistes! » Xavier Lukomski parle avec une passion communicative de cet écrivain, mort de faim et de froid dans un asile psychiatrique, à Saint-Pétersbourg (et l’on sait ce qu’est la « folie » sous Staline…). « Il vient de l’avant-garde des années 1920, il en a l’énergie, mais il débarque dix ans plus tard et prend la « normalisation » stalinienne « en pleine gueule », comme il l’écrit. C’était un visionnaire du monde rouge sang qui s’élabore, jusqu’au cauchemar des chambres à gaz, qu’il décrit très précisément en… 1939! »

Daniil Harms est resté inédit en Russie jusque dans les années 1980 (à l’exception de deux poèmes et de livres pour enfants). Il est traduit en français, en 1993 (chez l’éditeur Christian Bourgois). En 1996, déjà, Xavier Lukomski et son Théâtre des 2 Eaux, aujourd’hui en compagnonnage au théâtre les Tanneurs, réalisaient le spectacle Donne-moi tes yeux, j’ouvrirai une fenêtre sur ma caboche, une phrase destinée à l’oraison funèbre de Malevitch, maître à penser de toute cette génération russe. Il y ajoute aujourd’hui une suite: Crève, tu n’as pas d’âme, autre aphorisme de la même épitaphe. Ces deux montages, que présente le KunstenFestival des Arts, puisent dans les écrits du poète et s’appuient sur la même scénographie: « Un univers d’objets très concrets, qui disent autant le quotidien de la vie que ses mystères. Les objets ne sont-ils pas ce qui reste du passage des hommes? » Il y a sur scène du Chaplin, du Keaton, du musical anglais, du burlesque, mais pas de grotesque pour ces personnages qui n’en sont pas, du moins au sens classique du terme.

Au théâtre les Tanneurs, du 15 au 25 mai.

M.F.

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