Le théâtre de la peinture

Guy Gilsoul Journaliste

On peut être performer, vidéaste, photographe, maître en installation ou génie du Street Art. On peut aussi être peintre héritier de la grande tradition figurative.

De plus en plus de jeunes créateurs en reviennent à la figure. Mais sous quelle forme ? Et avec quelle pertinence ? Les exemples puisés dans ce qui s’appelait avant la Low Culture ont certes le vent en poupe. Par exemple, les planches dessinées underground des années 1960 qui, depuis plus de vingt ans, s’exposent dans les galeries et les musées les mieux cotés. Ainsi, Robert Crumb présenté en ce moment chez Baronian Francey (jusqu’au 23 décembre). Apprécié pour le ton (désabusé) et la manière (acide), voire la vulgarité de ses représentations de la vie quotidienne américaine, il fait aujourd’hui figure de père spirituel. Il n’en va pas de même d’autres  » figuratifs  » qui pourtant ont eu leur moment de gloire à l’heure du conceptuel. Comme le Français Hucleux (jusqu’au 24 décembre, galerie 100 Titres), une des découvertes majeures de la Documenta V de Cassel en 1972. Aujourd’hui, alors qu’il poursuit son travail à la manière d’une ascèse – ses portraits et autoportraits réalisés quasi au microscope -, ses apparitions sont plutôt confidentielles.

D’autres, enfin, travaillent depuis toujours dans la marge. Leurs £uvres sont pourtant recherchées par des collectionneurs exigeants autant qu’isolés. Ainsi ces trois artistes dont la galerie Mineta a rassemblé quelques pièces majeures. En fait, s’ils sont tous trois de redoutables dessinateurs (le Français Jean Rustin, le Néerlandais Pat Andrea et l’Allemand Volker Stelzmann), ce sont des peintures qui sont accrochées aux cimaises de la maison ixelloise. Leur point commun : l’intérêt pour le corps. Et, à partir de lui, pour le corps social et une profonde réflexion sur l’esprit humain, ses fantasmes, ses colères, ses faiblesses.

Chez Rustin, l’humanité se décline, solitaire, usée par les ans et les violences de la vie. Dans des chambres de misère bleutées, le corps nu renoue avec l’animalité des gestes premiers comme se toucher, se lécher, faire face, sans fard. Le pinceau rougit les contours et rugit des fonds, bousculant les plans et les volumes. Pat Andrea chahute davantage l’espace scénique. A coups de syncopes et de grossissements, gonflant ici les visages, géométrisant ailleurs les corps, il multiplie les personnages, les âges et les rôles tout en contenant l’agressivité à l’intérieur d’une boîte scénique refermée sur elle-même. Les à-plats voisinent les ciselures, les surfaces en dentelle, les angles vifs alors que le vert acide bouscule le bleu des épiphanies. Enfin, avec Stelzmann, nous sommes bien au c£ur d’une Allemagne qui n’a pas oublié la virulence glacée d’Otto Dix. Dans des stèles hautes et étroites, il condense des foules bien peu ordinaires mais parfaitement anonymes. Le décor est-il un trottoir, un quai de gare ? Sont-ce des bourgeois, des prolétaires, des exhibitionnistes ? Les femmes et les hommes encapuchonnés, bottés mais aussi habillés de collants roses et de bottes rouges expriment l’indifférence même portée au paroxysme de l’insupportable. Mais une fois encore, quelles peintures ! On n’arrive pas à ces résultats avec des intentions, et pas davantage en un jour. Il faut des mois et des années pour, enfin, trouver comment dire ces choses. Il faut la solitude. Il faut aussi oser se regarder en face. Il faut enfin assumer les héritages de tant de siècles de peinture. Pour nous le rappeler, voilà donc des £uvres réalisées entre les années 1980 et 2000 par des hommes qui ont aujourd’hui autour de la septantaine (Pat Andrea et Stelzmann), voire dix ans de plus pour Rustin.

Bruxelles, Mineta Fine Art. 38, avenue Guillaume Macau. Jusqu’au 18 décembre. Du mercredi au samedi, de 14 à 18 heures. www.mineta.org

GUY GILSOUL

UNE PROFONDE RÉFLEXION SUR L’ESPRIT HUMAIN, SES FANTASMES, SES COLÈRES…

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