Le testament de Wagner

Révolutionnaire ou nationaliste? La question reste posée, à propos du seul opéra comique de Richard Wagner, Die Meistersinger von Nürnberg, manifeste à la gloire de l’art allemand et traité artistique de son auteur

Quand un compositeur, au sommet de la gloire, prend la peine de « sortir » un opéra de près de cinq heures pour illustrer ses conceptions artistiques, il s’expose de la tête aux pieds et jusqu’au tréfonds de son inconscient. Laissant passer le meilleur, pour l’essentiel, mais le pire, parfois, lorsqu’il glorifie le saint art allemand et fustige la culture latine (voire même judéo-latine, selon le décryptage des détracteurs). Finaude, Christine Mielitz, la metteuse en scène allemande qui signe l’actuelle production de l’Opéra flamand (en provenance de Vienne) a choisi de mettre à distance le contexte germanique et les éventuelles dérives idéologiques de Wagner pour privilégier la dimension poético-fantastique de Die Meistersinger von Nürnberg (1861-1868) et, par là, son inépuisable actualité. Pas de balcons à colombages, ni de géraniums, ni de clochers pointus: un seul dispositif scénique représentant une salle, assez noble dans sa structure et ses proportions pour pouvoir figurer une nef d’église, une cour intérieure, la place publique, etc. et entièrement encerclée par un déambulatoire en montagnes russes pouvant tourner autour du décor. Un dispositif astucieux mais rétrécissant sensiblement l’espace – le dernier acte s’en trouve d’ailleurs mal, ne sachant que faire des joyeuses foules prisonnières de l’anneau.

Quant aux axes de la mise en scène, ils sont directement issus du livret, mais selon une sélection très personnelle, à commencer par la caractérisation de Walther von Stolzing: non pas le hobereau égaré chez les bourgeois, mais David en personne, le roi David, cité par la jeune Eva, à la première scène: « Sa harpe à la main, son épée à la ceinture, son chef rayonnant de lumière, comme l’a dessiné notre maître Dürer. » Un héros venu d’ailleurs, portant en lui la vaillance, la musique et l’esprit, et renvoyant finement à un autoportrait du célèbre graveur.

Ces « Meistersinger » parleront donc de la mission sacrée de l’art de façon intemporelle, sans se ranger sous aucune bannière a priori suspecte. Et l’on pourra suivre, le coeur tranquille – quoique battant -, la merveilleuse aventure du jeune homme qui, formé à la beauté par le chant de la nature et son amour pour Eva, franchira en un seul jour toutes les étapes qui le mèneront au titre de « maître chanteur » et à la main de son aimée. Pour ce faire, il aura eu l’aide d’un homme bon, profond, sincère: Hans Sachs, lui-même lié à la jeune fille par de tendres sentiments, cordonnier et maître chanteur. C’est Sachs qui servira de médiateur entre la règle sévère des Maîtres et la libre inspiration de l’élève; c’est dans ses échanges avec Walther et son plaidoyer à l’adresse des Anciens qu’il magnifiera le testament spirituel de Wagner; c’est encore lui qui, après bien des bagarres, sera fêté par la ville pour avoir apporté le renouveau et le salut, c’est lui, enfin, qui repartira modestement vers son destin, seul.

La direction d’orchestre s’inscrit dans le même esprit de joyeuse liberté: à la tête des effectifs de la maison, le chef autrichien Friedemann Layer donne de la musique de Wagner une interprétation exceptionnelle de vivacité, de couleur, on pourrait même dire d’élégance, dans un flux dynamique constant, et toujours au service de texte.

Quant à la distribution, le baryton allemand Oskar Hillebrandt réunit les qualités vocales du rôle de Sachs, mais sans parvenir à insuffler au personnage sa noblesse et sa grandeur. Fionnuala McCarthy est une Eva crédible et pétulante, aux limites de l’affectation, beaux aigus mais pas de graves, tandis que le ténor Jeffrey Dowd, voix claire, puissante et chaude, campe un Walther façon Lohengrin, mystérieux et héroïque. Tout aussi alternatif, le rôle du méchant Beckmesser, rival de Walther, est confié au séduisant baryton Michael Kraus. Dans le rôle de l’apprenti David, le jeune ténor belge Yves Saelens (ovationné à la première) est irrésistible de présence, d’ardeur et de musicalité, et sa belle Lene, Corinne Romijn, n’est pas de reste. Un regret, réitéré: l’absence de surtitres en français.

A Anvers, les 29 mars, 1er et 4 avril. Infos: 03-233 66 85. A Gand, du 11 au 23 avril. Infos: 09-225 24 25, www.vlaamseopera.be

Martine D.Mergeay

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