Le système Poutine en crise

Tributaire des matières premières, dont les cours s’effondrent, l’économie démontre sa vulnérabilité. Le pouvoir d’achat, atout majeur du régime, est désormais menacé. Et, malgré les dénégations officielles, la dévaluation du rouble paraît inévitable.

A Moscou, le champagne a coulé à flots durant la Foire aux millionnaires, qui s’est tenue du 27 au 30 novembre dernier. Pendues par les pieds, des hôtesses acrobates jouaient les échansons au milieu d’un étalage de parures et de gemmes, de bolides étincelants et de gadgets hors de prix. Cette année, pour sa 4e édition, ce Salon de l’ultraluxe a enregistré une affluence record : 50 000 personnes, robe du soir et smoking de rigueur, s’y sont précipitées. Pourtant, derrière la vitrine rutilante, l’humeur est loin d’être à l’euphorie.

Distributeur en Russie des cylindrées les plus chères du monde, le groupe Mercury constate ces derniers mois une baisse sensible de ses commandes. Cette année, il n’aura guère vendu que 180 Bentley, 50 de moins qu’en 2007. Entre l’effondrement des indices boursiers russes et celui des places financières internationales, les 25 oligarques les plus riches du pays ont essuyé des pertes estimées à près de 240 milliards de dollars. Le plus fortuné d’entre eux, Oleg Deripaska, roi de l’aluminium et allié de longue date de Poutine, a été l’un des premiers à bénéficier des largesses du régime. Ainsi a-t-il obtenu 4,5 milliards de dollars pour sauver ses parts (25 %) dans Norilsk Nickel, l’un des plus grands groupes miniers du monde – acquises grâce à un prêt consenti par des banques occidentales, qu’il était incapable de rembourser.

Fort des réserves financières, les troisièmes du monde, accumulées par l’Etat durant l’envolée des cours pétroliers, le Premier ministre Vladimir Poutine a affirmé, des semaines durant, que la Russie avait les moyens de résister à la crise ; et qu’elle s’en dégagerait avec des  » pertes minimales « . Son clone politique, le chef de l’Etat Dmitri Medvedev, assure, lui, qu’elle en sortira renforcée. Or, comme partout, la tempête s’est répercutée sur l’économie réelle et la population en subit désormais l’impact.

Edifié sur la rente des matières premières, dont les cours plongent à présent vers les abysses, le système mis en place par Poutine craque de toutes parts. Atout majeur de sa popularité, l’augmentation du niveau de vie est en péril. Dès lors que la croissance pique du nez, les ravages de l’inflation se font d’autant plus sentir. Celle-ci  » pèse sur la vie quotidienne, observait en octobre Lilia Chevtsova, politologue au centre Carnegie de Moscou, en particulier sur les produits alimentaires. Une miche de pain qui coûtait 12 roubles au début de l’année se vend aujourd’hui 28 « . Sous l’effet de la crise, les réductions de salaire frappent à présent plusieurs secteurs. Et les impayés s’accumulent : leur montant total atteignait en octobre 4 milliards de roubles (116 millions d’euros).

Une population hantée par les crises précédentes

A Ekaterinbourg, dans l’Oural, 250 ouvriers immigrés du Tadjikistan, employés dans le bâtiment, ont débrayé. La société qui les embauche, rapporte le quotidien russe Kommersant, leur doit l’équivalent de 300 000 A – trois fois plus, affirment les grévistes. Les compagnies de BTP diffèrent d’un an, voire plus, la plupart de leurs projets. Selon un sondage récent de l’institut VTsIOM, 48 % des Russes tremblent pour leur emploi. Une vague de 200 000 licenciements se profile, avertissait, fin novembre, un responsable du Service fédéral du travail. Là-dessus, le rouble se déprécie, malgré plus de 70 milliards de dollars dépensés par les autorités pour soutenir son cours. Présenté comme le symbole de la renaissance économique de la Russie, il a perdu ces derniers mois l’essentiel de sa progression, enregistrée en cinq ans, par rapport au billet vert.En octobre, avec un à-propos qui n’appartient qu’à lui, Dmitri Medvedev parlait de convertir Moscou en centre financier et d’ériger la monnaie russe en devise de référence. Vladimir Poutine, lui, jure que les fonds engrangés par l’Etat permettront d’éviter  » toute fluctuation brutale  » du rouble. Tandis que la banque centrale tente d’aménager un dérapage progressif, le spectre de la dévaluation, facteur de panique et de troubles sociaux, plane déjà sur le pays. Un scénario qui deviendra inévitable en 2009, estiment nombre d’économistes, russes et étrangers. Avant la fin de l’année, les banques et compagnies russes devront sortir 53 milliards de dollars pour rembourser une partie de leurs crédits extérieurs. La plupart d’entre elles convertissent en devises les fonds accordés par le gouvernement, provoquant ainsi des tensions croissantes sur le rouble. Hantée par les crises brutales de 1991 et de 1998, la population est sur le qui-vive.

Alors que l’effondrement du baril grève les ressources publiques, Vladimir Poutine se pose en Grand Timonier, multipliant les promesses : aide aux plus démunis, soutien aux PME, plan de relance, allégement pour un an de l’impôt sur les bénéficesà Quant au budget militaire, la loi de finances 2009-2011 prévoit de le multiplier par 1,5 en trois ans.

A la faveur du sauvetage des entreprises, le pouvoir accroît son emprise sur l’économie. Contrôlé à 37 % par l’Etat, le constructeur aéronautique NPO Saturn – qui fabrique le moteur du Sukhoi Superjet, un appareil régional développé avec Boeing et l’équipementier français Snecma – a réclamé des liquidités. La condition posée pour les obtenir a été qu’il cède 13 % de ses parts à une filiale de la Défense. Une redistribution de la propriété est désormais en cours.

Sous couvert de  » répondre aux besoins de l’économie « , la durée du mandat présidentiel vient d’être portée à six ans, au lieu de quatre, alimentant des prédictions sur un retour anticipé de Poutine au Kremlin. En attendant, le  » leader national  » est à la peine.

Sylvaine Pasquier

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