LE SURVIVANT

 » A demi-mort  » depuis les attentats de Charlie Hebdo, le médecin urgentiste, écrivain et ex-chroniqueur s’efforce de tenir debout. Optimiste, il assure que ces attentats sont le dernier soubresaut du radicalisme religieux.  » Le XXIe siècle sera culturel « , affirme ce tout frais docteur honoris causa de l’ULB. Et c’est ainsi que le monde s’en sortira.

Depuis ce 19 mai, vous voilà docteur honoris causa. Etes-vous sensible aux honneurs ?

Je ne les prends pas pour moi mais pour ce que je représente. C’est important d’être honoré à Bruxelles, capitale de l’Europe, à l’heure où elle doute. A cause du Brexit… Historiquement, la Grande-Bretagne est liée à l’avenir de l’Europe. Sans Churchill, il n’y aurait pas eu de construction européenne. L’Europe doute aussi à cause de l’immigration, des attentats et de la crise économique. Les Européens ont peur. Or, une société humaniste et contemporaine lutte contre ses peurs. Ces migrants, il faut les accueillir et même profiter de leur présence ici pour leur prodiguer ce qu’ils n’avaient plus dans leur pays, l’éducation et la culture.

Le terrorisme vise-t-il plus l’Europe que d’autres puissances ?

Oui, parce qu’elle est le berceau de la modernité par la science, l’industrie, ou les lois sur les droits des femmes. Mais je suis assez optimiste. Les attentats de Paris et Bruxelles, c’est la queue de la comète de la religion qui a traversé l’humanité. Je pense que l’on a assisté au dernier reliquat de radicalisme religieux, ce  » nazislamisme  » qui veut tuer tout le monde, réintroduire des lois moyenâgeuses, mettre fin à la culture et terroriser les femmes au nom d’une interprétation fausse d’une religion.

Qu’est-ce qui vous permet de dire qu’il s’agit d’un dernier soubresaut ?

A l’heure actuelle, les islamistes radicaux auraient dû contrôler l’Egypte et la Tunisie, en plus de la Syrie. Ils n’ont aucun des trois. Cette guerre, ils ne la gagnent pas autant qu’ils le pensaient. Objectivement, les religions nous emmerdent. Alors, bien sûr, il y a le pape François. Il ne lève pas d’armée, lui. C’est pourtant ce que Daech aimerait : une vraie guerre, pour reconquérir Jérusalem. Parmi les juifs, on n’observe pas de mouvement terroriste sioniste. Les bouddhistes ? Ils ne pourraient attaquer qu’avec des feuilles de menthe. Mais si je vous dis islam, vous pensez aux terroristes. C’est à la religion de résoudre ses propres problèmes. Le futur, je ne l’imagine pas dépourvu de religions, mais avec des religions qui coexistent. Ce siècle sera culturel et non pas religieux. Malraux s’est trompé. Je suis convaincu que l’avenir de l’islam, ce sont les femmes, qui diront non.

Les mesures prises après les attentats vous semblent-elles adéquates ?

L’état d’urgence, en France, n’est pas critiquable. Un gouvernement doit protéger son peuple. Mais des questions de fond se posent : il faut empêcher le communautarisme dans certains quartiers, où des bandes font régner la loi de la charia ou imposent le voile intégral aux femmes… Ce n’est pas tolérable. A Saint-Denis, en banlieue de Paris, le maire tente de réimplanter des commerces de proximité qui ne font pas dans la viande halal et est ravi parce qu’un caviste vient de s’installer. Un autre exemple ? Après les attentats à Charlie Hebdo, certains organisateurs d’expositions de dessins de presse ont renoncé à leur événement. Chaque fois que la culture recule, c’est un nouvel attentat qui est commis. Il faut se battre contre ça.

La France a-t-elle changé depuis les attentats ?

Oui, bien sûr. La France est vraiment enracinée dans les valeurs de la République et de la laïcité. Elle a besoin d’espoir. On le voit avec le mouvement Nuit debout. Il se passe quelque chose, ça bout. Les gens ont besoin de s’exprimer et de rasseoir leurs valeurs. Le dogme capitaliste du  » avoir un travail, être soumis à un patron et ne pas avoir de lumière de la culture « , ce n’est plus possible. La population a besoin de proximité et d’humanité.

C’est ce qu’incarne le mouvement Nuit debout ?

Le mouvement s’essouffle mais, sur le fond, il y a une jeunesse qui doute, veut parler et trouver sa place. Ces jeunes aspirent à autre chose qu’à une société qui met tout le monde en concurrence, y compris les écoles. C’est violent. Une société qui se veut moderne coopère et n’entre pas en concurrence avec elle-même. Il faut retrouver de la douceur.

Les médias ont-ils compris ce changement de fond ?

Non, parce qu’ils sont trop dans des schémas du XXe siècle. Regardez le JT de 20h : les médias ont inventé leur propre messe. On n’en est plus là. Il n’y a plus une seule émission consacrée au théâtre ou au cinéma sur les grandes chaînes françaises. Les médias n’ont pas compris qu’ils devaient offrir un accès à la culture. Sur la couverture des attentats, je leur reproche leur amnésie et le fait qu’ils ont starifié les terroristes. Quand Salah Abdeslam a été extradé de Belgique vers la France, on a vu sa photo sur tous les écrans, pendant des heures. On oublie de dire qu’en Syrie ou ailleurs, d’autres comme lui commettent des tueries de masse. C’est sidérant. Moi, en un an, j’ai appris à soigner des blessures de guerre et à désamorcer une kalachnikov… Je reproche aux médias d’oublier de redire chaque fois le fond. Observez ce qu’on dit du premier attentat commis à Toulouse par Mohamed Merah. Peu à peu, on parle de  » l’attentat de Merah « . Mais je me fous de savoir qui l’a commis ! Ce qui importe, c’est de rappeler l’antisémitisme derrière son geste.

Avez-vous le sentiment que les médias s’autocensurent parfois, de peur d’être taxés de racistes ou d’islamophobes ?

Oui. Que toutes les femmes soient voilées dans certains quartiers est interpellant. Qu’on ne me fasse pas croire qu’en six mois, elles sont devenues intégristes. Si elles portent le voile, c’est que des hommes les terrorisent. Il ne faut pas avoir peur de le dire. Et ce n’est pas montrer du doigt telle ou telle population. En France, sur les 6 millions de musulmans recensés, il y en a peut-être 500 000 qui sont pratiquants. Mais il y a aussi des Maghrébins qui n’en ont rien à faire de la religion. Et il faut les entendre.

Les responsables politiques ont-ils pris la mesure de cette nouvelle donne ?

Pas tous. Aux dernières élections municipales, certains maires se sont laissé embobiner par le communautarisme, échangeant la construction d’une mosquée contre des voix. Des élus ont coupé dans les budgets de la culture alors qu’il faudrait justement les revoir à la hausse. Parce que la culture, c’est le levier de tout. A Palmyre, un orchestre symphonique a joué. Cela a une portée considérable sur l’Etat islamique parce qu’il ne veut plus qu’on fasse de musique… En revanche, à Toulouse, des barbus sont intervenus lors de la fête de la musique, empêchant les enfants de présenter leur spectacle musical au motif que c’est interdit pendant le ramadan. La mairie a conseillé d’annuler. Dire ça, ce n’est pas tenir un propos raciste. On est en 2016, plus en 680 après Jésus-Christ.

Avez-vous changé, vous, depuis les attentats de Charlie Hebdo ?

Oui. Je suis à moitié mort. Il ne pouvait pas en être autrement. Tout ça pour en arriver là… Mais ils n’auront pas notre haine. Il faut s’arc-bouter sur nos valeurs. Et ne pas oublier nos amis morts, ni ce qu’ils auraient voulu qu’on dise ou qu’on fasse par rapport à la société actuelle. Je veux aussi mener à bien le projet de conte pour enfants que j’avais lancé avec Charb, le rédacteur en chef.

Vous sentez-vous le porte-parole de ces disparus ?

Non. Je ne veux d’ailleurs plus parler du journal puisque je n’en fais plus partie (NDLR : Patrick Pelloux a écrit sa dernière chronique dans Charlie Hebdo le 27 janvier dernier). J’ai eu besoin de le quitter, pour me reconstruire. Il ne s’agit pas de fuir le deuil mais il faut continuer à vivre et à aider, autant que possible. Il m’est impossible de me dire que je deviens connu parce que j’ai fait partie de l’attentat. Je n’oublie pas. Je vis avec. Dans mon travail d’urgentiste, je suis tout le temps confronté au risque d’attentat. Le 13 novembre, quand j’ai appris ce qui se passait à Paris, je n’ai pas réfléchi. J’ai sauté sur ma moto et je suis parti travailler. Aider les gens m’aide.

Dans votre pratique de médecin, qu’est-ce qui a changé ?

La nécessité d’être plus encore dans la bienveillance et à l’écoute du malade et de la souffrance sociale.

Et sur le plan relationnel ?

Je me suis très resserré sur mes amis. Entre nous, il n’y a plus de clivage droite-gauche. Il y a ceux qui veulent un pays moderne qui protège sa population, et puis il y a les autres.

En voulez-vous à quelqu’un ?

Honnêtement non. Un peu à l’amateurisme des réseaux américains qui, dans les années 1990, ont favorisé l’émergence de Ben Laden. Ma rancoeur est politique et historique. La guerre en Irak a été une erreur. L’attaque contre la Libye aussi. C’est là qu’est né le radicalisme actuel. Et du choix du président syrien al-Assad, qui a libéré les dignitaires de l’Etat islamique pour qu’ils combattent son opposition. Mais je ne me dis pas qu’ici, sur le terrain, on pouvait éviter ce qui s’est passé. C’était imparable .

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE VAN RUYMBEKE – PHOTO : RENAUD CALLEBAUT POUR LE VIF/L’EXPRESS

 » Je suis convaincu que l’avenir de l’islam, ce sont les femmes, qui diront non  »

Les attentats de Paris et Bruxelles, c’est la queue de la comète de la religion qui a traversé l’humanité

 » J’ai eu besoin de quitter « Charlie Hebdo », pour me reconstruire  »

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