Le sexe n’attend pas le nombre des années

Les jeunes peuvent-ils encore se construire une vie affective et sexuelle équilibrée dans notre société hypersexualisée ? Réponse de Karmeen, 13 ans, blogUeuse :  » T’inquiète ! « 

Vendre des lunettes ou des voitures, lancer un parfum ou une chanteuse, fidéliser les téléspectateurs ou les voyageurs aériens : aujourd’hui, comme l’ont rappelé les participants à la journée d’étude sur l’hypersexualisation organisée récemment par Latitude Jeunes (1), le sexe sert à tout, et il suffit de taper ses quatre lettres sur Google pour accéder à quelque 57 700 000 sites, où il s’affiche porno, hard, XXX et pas toujours gratuit, et où la mention  » pour adultes  » n’est souvent qu’une façon d’appâter les moins de 18 ans. Dans le vacarme sexuel qui caractérise notre époque  » de cul, de corps et de cash « , selon l’expression de l’écrivaine et  » sexo-poète  » québécoise Jocelyne Robert, les voix discordantes – surtout celles des parents – ont du mal à se faire entendre.  » Je préférerais qu’elle s’habille autrement, confesse une maman d’autant plus déconcertée par les tenues sexy de son  »ado-naissante » de 11 ans qu’elle-même est manifestement adepte du jean-col roulé. Mais quand on fait les magasins ensemble, elle pique sa crise dès que j’essaie de l’orienter vers quelque chose de plus classique. Elle me reproche de vouloir lui mettre la honte devant ses copains… « 

Zoom sur les seins et les fesses

Omniprésente et surmédiatisée, la sexualité n’attend pas l’adolescence, ni même la préadolescence, pour se proposer, voire s’imposer aux jeunes par le biais de la télévision, des magazines et d’Internet.  » Un groupe comme les Pussycat Dolls recrute une partie de ses fans parmi les filles de 7 ou 8 ans, remarque la sexologue canadienne Geneviève Marier. Or leurs vidéoclips sont très sexuels et, comme d’ailleurs ceux de la plupart des idoles, systématiquement morcelés : au lieu de montrer la personne dans son ensemble, la caméra zoome sur ses seins, son nombril, ses fesses. Loin d’être anodine, cette pratique aboutit à développer chez les jeunes une compréhension mécanique du corps – et en particulier du corps féminin, car ce sont les filles qui sont les plus touchées par l’hypersexualisation – qui devient un assemblage de pièces détachées, susceptibles d’être modifiées ou remplacées à volonté, dans le seul but de séduire ! « 

Comment s’étonner dès lors qu’au-delà des tenues vestimentaires et des attitudes provocantes, certaines filles aspirent à transformer leur corps, par des colorations et des extensions de cheveux, des piercings et des tatouages, des régimes draconiens ou même la chirurgie, afin de se mettre en valeur ? Ciblés par le marketing du sexe, ados et préados consomment docilement. Et ce n’est pas la pornographie, à laquelle près de 60 % des jeunes sont confrontés avant l’âge de 13 ans – souvent par inadvertance, en tout cas la première fois – qui peut redonner sa chance au sentiment.  » L’autre réduit à un objet de plaisir, la violence de la relation, la multiplicité des rapports comme norme, l’automatisme du désir… voilà les représentations de la sexualité qui s’impriment dans la tête des jeunes en même temps que les images pornographiques « , déplore José Gérard, directeur de l’ASBL Couples et Familles, qui constate également, chez nombre de jeunes amateurs de porno (2), une connaissance lacunaire et purement technique des réalités de la sexualité,  » sans un discours qui puisse lui donner du sens « .

Des magazines pour  » devenir une sex bomb « 

Or plus un ado consomme de la pornographie, plus il a tendance à calquer ses propres relations sur les attitudes qu’elle suggère.  » Certains magazines pour jeunes les y encouragent d’ailleurs en faisant ouvertement la promotion des pratiques sexuelles marginales, souligne Geneviève Marier. Et pas seulement auprès des aînés : le magazine québécois Adorable, qui a pour c£ur de cible les préados de 10 à 12 ans, a publié un guide « 100 % sexe », où il proposait notamment à ses lectrices d’essayer « un trip à trois », de s’exhiber sur Internet, de faire l’amour les yeux bandés et d’utiliser des jouets sexuels !  » Inutile de dire que cette presse adolescente, qui montre aux jeunes des modèles de féminité et de masculinité structurés par la pornographie, ne remporte pas les suffrages des parents.  » Les filles sont invitées à « trouver le bon », à le séduire et le garder, commente le sociologue français Philippe Liotard. Devenir une sex bomb, ça s’apprend, et leur magazine préféré leur offre « 15 trucs pour le faire craquer » et une description détaillée de « tout ce que les mecs aiment bien qu’on leur fasse avec la bouche », en leur rappelant que la fellation est un bon moyen de conserver leur virginité et que le pire est de rester seule !  »

Pour les garçons, le message est un peu différent. Eux aussi doivent  » trouver la bonne « , mais avec à l’arrière-plan une exigence de performance – le  » bogoss « , qui se met en scène sur les blogs dans des poses lascives, est décrit comme BM ou TBM, selon qu’il est plus ou moins bien membré – et la crainte de passer pour un loser.  » Mais dans un cas comme dans l’autre, les références à la pornographie sont incontournables, constate Philippe Liotard. Prétendre le contraire serait tout aussi absurde que d’interdire aux jeunes d’aller sur les sites pornos : qu’on le veuille ou non, ils iront. Mieux vaut les encourager à prendre la pornographie comme base de réflexion : je peux tout faire, mais dois-je pour autant le faire ? De quoi ai-je vraiment envie dans la relation sexuelle ? Et surtout, qu’avons-nous envie de faire à deux ? En matière de sexualité, on peut tout expérimenter. A condition que chacun travaille à l’identification et à la satisfaction de ses désirs et de ceux de l’autre dans une relation non contrainte. Le problème n’est pas tellement l’hypersexualisation ou la sexualisation précoce. C’est que l’entrée dans la sexualité soit le résultat d’une contrainte exercée par les garçons sur les filles.  »

Ne pas acheter de string à 9 ans

Pour que les garçons respectent les filles et que les filles se respectent suffisamment elles-mêmes pour refuser ce qui les met mal à l’aise, il faut les aider à développer leur capacité d’analyse.  » Et donc leur parler sainement de la sexualité, sans sous-entendus ni accent moralisateur, mais en définissant des limites claires, souligne Geneviève Marier. Autoriser votre fille de 9 ans à acheter un string, par exemple, c’est un message trop positif.  » Même si, contrairement à ce que prétendent les alarmistes, les soins apportés par les jeunes à leur apparence ne traduisent pas nécessairement une décadence des m£urs.  » Ce n’est pas parce qu’une préado s’habille comme une lolita qu’elle envisage des pratiques sexuelles particulières, insiste Philippe Liotard. Nous allons tous vers plus de nudité : c’est une évolution sociale, rien de plus. L’âge des premières relations sexuelles (17,2 ans en Belgique) n’a d’ailleurs pas changé depuis plus de quinze ans ! Il faut faire confiance aux adolescents : l’esprit critique, la plupart l’ont déjà, même s’ils ne l’admettent pas toujours devant leurs parents. Jetez un coup d’£il à leurs blogs, et vous serez surpris de constater, par exemple, combien les garçons peuvent être durs pour ceux d’entre eux qui jouent les cadors avec les filles.  » Et heureux de découvrir, sous une photo d’adolescente insérée comme par mégarde entre des scènes un peu floues et résolument nombrilistes de  » ptis delirs  » entre amis, cette phrase éternelle dans son intention sinon dans son orthographe :  » Mon amOur je t’aiime plus ke tOo ! « 

(1) Latitudes jeunes, www.ifeelgood.be, informe les 14 ans et plus sur la santé et la sexualité.

(2) Une enquête réalisée en 2006 par les Mutualités socialistes a révélé que plus de 50 % des adolescents interrogés avaient consommé de la pornographie au cours des six derniers mois.

Marie-Françoise Dispa

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