Le sens des sentiments

Le Prix Rossel Ariane Le Fort explore encore les forces et les désarrois de l’amour. Ici, la famille crée un entrelacs de liens, se renvoyant un écho de quêtes.

Bien qu’étant publiée en France, Ariane Le Fort habite fièrement les lettres belges, qui le lui rendent bien. En 2003, elle est couronnée par le Prix Rossel pour son roman Beau-fils, qui relate une relation taboue. Sa spécialité ? Dénouer les fils labyrinthiques de l’amour et scruter ce qui relie les êtres, parfois malgré eux. Marie est en plein virage. Son existence est bousculée par l’arrivée de Milo et par le nouveau visage de son père. Comment avancer ?

Le Vif/L’Express : Vous dédiez ce roman à vos parents qui vous ont  » laissé la liberté d’agir et d’inventer « . Quelle liberté n’a pas été offerte à votre héroïne, Marie ?

› Ariane Le Fort : Mes parents m’ont autorisée à devenir celle que je suis. Grâce à eux, j’ai pu me lancer sans frein. Marie est prisonnière des confidences de son père. C’est la lourdeur de sa vie. Elle ne veut pas entendre ce qu’il dit, d’autant qu’on reste toujours un mystère les uns pour les autres. Face à un poids ou une culpabilisation, il est dur pour un enfant de s’en sortir. Dans ce livre, la famille sert de prétexte pour parler d’amour et de désir. J’y oppose deux générations, afin de rappeler que les histoires d’amour existent à tout âge de la vie. L’une est le contre-point de l’autre, puisque la passion volcanique de Marie se heurte à sa mère, qui espère encore changer son mari. Il s’agit d’une quête sans fin pour se retrouver dans l’Autre.

De roman en roman, pourquoi  » prenez-vous tant l’amour au sérieux  » ?

› Parce que c’est une denrée essentielle, rare, importante, magnifique. On l’oublie parfois, mais c’est l’élément indispensable à notre humanité. L’idée de possession est indissociable de la relation amoureuse, en raison du besoin de toucher la peau. L’amour peut nous mener loin… A travers mes livres, je prends la mesure de son importance. La passion s’éteint forcément, mais pour qu’elle reste intacte, elle doit être bousculée. L’amour se travaille, se cultive, s’entretient, se partage et se protège comme un jardin. Il refroidit et embellit au fil des saisons. Ici, j’avais envie de parler de formes d’amour fulgurantes, que ce soit à 45 ou 80 ans.

En se révélant à eux-mêmes, vos héros cherchent-ils finalement leur place ?

› Tous mes personnages tournent autour d’elle. La vie a beau être complexe, la place se trouve là où on doit être. Marie se situe au carrefour de tout. C’est une femme mûre, installée dans la vie. Quarante ans est un âge intéressant car au cours de cette période charnière, on peut tout casser et tout recommencer. Mon héroïne a du mal à vivre et à se déployer, mais sa rencontre avec Milo lui permet de découvrir son accessibilité à sa féminité. Le thème de la place revient souvent dans mes romans car j’ai mis longtemps à trouver la mienne. A force de vouloir être partout, je n’étais nulle part ! Le père de Marie ne fait qu’effleurer sa place. Il se satisfait d’un modus vivendi amoureux, parce qu’il ne va pas tout chambouler à 80 ans. Mais moi je veux continuer à vivre, à découvrir, à rêver et à croire en plein de choses. L’écriture fait partie du désir d’entretenir l’illusion d’immortalité.

Avec plaisir, François, par Ariane Le Fort, éd. Seuil, 223 p.

ENTRETIEN : KERENN ELKAÏM

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