Le sauvetage de trop ?

La troisième intervention de l’Etat pour venir en aide à la banque flamande soulève bien des critiques. Mensonge des banques, inconstance des politiques… A quinze jours des élections régionales, les électeurs se sentent abusés.

La semaine dernière, le gouvernement fédéral est monté au créneau pour la troisième fois en une bonne demi-année pour sauver la KBC du naufrage. Cette annonce a fait l’effet d’une bombe. Pourquoi ce nouvel appel à l’aide de la banque flamande alors que le cours de Bourse de l’action a quadruplé en trois semaines et que, le 30 avril, l’assemblée générale des actionnaires n’a formulé que de bonnes nouvelles. En outre, nul ne s’attendait à ce que la perte potentielle puisse être aussi importante. Certainement pas le gouvernement flamand qui s’était encore fendu de 3,5 milliards d’euros en janvier pour voler au secours de la KBC :  » Nous avons le sentiment d’être pris au dépourvu « , a avoué le ministre-président flamand Kris Peeters (CD&V). Et ce n’est pas un sentiment agréable. Certainement pas à la veille des élections régionales.

Les mensonges des banques

Les banquiers belges ont abusé l’Etat et les investisseurs sans aucune gêne. C’est désormais évident. C’est ce qui est ressorti une fois de plus des aveux de la KBC au cours de la semaine écoulée. Après l’intervention du gouvernement flamand en janvier, le bancassureur avait réduit à zéro ses crédits à problème les plus risqués. Tout le monde a donc cru que le pire était passé. La banque avait certes encore pour 5,4 milliards d' » autres produits structurés « , mais il y avait apparemment peu de risques que ceux-ci donnent lieu à de gros problèmes. L’étonnement a donc été général quand il est apparu que la KBC avait encore pour 14 milliards d’euros de produits dérivés. C’est ce dernier paquet qui a à nouveau mis la banque en difficulté.

La KBC avait assuré ce portefeuille de 14 milliards d’euros contre le défaut de paiement auprès de l’assureur de crédit américain MBIA. Le 18 février dernier, MBIA a été scindé en une bonne et une mauvaise partie, et l’assurance de KBC s’est retrouvée dans ce second compartiment. Conséquence : la KBC devait procéder à une réduction de valeur et a dû confesser l’existence de ce portefeuille d’une valeur de 14 milliards. La banque a néanmoins encore continué à se taire pendant un mois et demi, jusqu’à ce que l’opération de sauvetage soit entièrement au point.

Tout cela suscite naturellement des questions. Est-il raisonnable de laisser en dehors des comptes des crédits d’une valeur de 14 milliards d’euros ? Pourquoi le gouvernement flamand n’a-t-il pas été informé en janvier de l’existence de ce portefeuille ? KBC a-t-elle à l’époque présenté les choses sous un trop beau jour et jeté de la poudre aux yeux des pouvoirs publics ? Ou pire encore : la direction de KBC n’a-t-elle pas tenu compte de la survenance éventuelle de difficultés ?

La crédibilité de KBC a de toute façon volé en éclats. Dans le sud du pays, la  » banque d’ici  » ( » De bank van hier  » comme aimait à se présenter KBC) est à présent surnommée la  » banque d’hier « . De plus, les événements de ces dix derniers jours rejaillissent sur tout le secteur bancaire qui ne pouvait déjà pas compter sur une grosse dose de confiance.

Les intérêts du monde politique

En dépit de toutes les bonnes intentions, les partis de ce pays ne semblent manifestement pas capables de faire abstraction de leurs intérêts politiciens quand des problèmes de très grande envergure, comme la crise bancaire, se présentent. C’est ainsi qu’en janvier le PS s’est opposé à un plan fédéral de sauvetage de KBC parce que le parti n’avait pas envie d’aider une  » banque flamande  » avec de l’argent fédéral. Le gouvernement flamand s’est alors empressé d’assumer le rôle de chevalier blanc. Cette fois, le Premier ministre Herman Van Rompuy n’a pas voulu à nouveau se laisser prendre de vitesse par le gouvernement flamand. Il a dès lors d’abord aplani les obstacles en discutant l’affaire à fond avec les socialistes mais la démarche a suscité de la ranc£ur chez les libéraux.

Il est aussi surprenant de constater que, dans les différentes opérations de sauvetage, les gouvernements ont surtout été attentifs aux intérêts des actionnaires et beaucoup moins à ceux des contribuables. Dans les trois opérations de sauvetage de la KBC, par exemple, ni le gouvernement fédéral ni le gouvernement flamand n’ont exigé jusqu’à présent d’avoir un pouvoir d’ingérence dans la banque en échange de leur apport. Ce n’est pas un hasard si les grands actionnaires de KBC, à savoir Cera, le Boerenbond et une poignée de familles flamandes influentes, ont une relation privilégiée avec le CD&V.

Au bout de près de huit mois, le gouvernement belge n’a toujours pas conçu de stratégie générale pour combattre la crise bancaire. Lorsque la direction de KBC a sollicité l’aide des pouvoirs publics, il a dès lors fallu concocter en catastrophe un énième plan de sauvetage. Pourtant, le président de la KBC Jan Huyghebaert, qui porte d’ailleurs encore toujours une étiquette CD&V, prétend que des experts fédéraux avaient déjà été avertis depuis des semaines de la survenance imminente de problèmes.

Le fait que le gouvernement fédéral ait été informé de ces difficultés avant le gouvernement flamand est une épine dans le pied de ce dernier.  » Il importe que nous ayons une vision claire de ce que le niveau fédéral savait du dossier KBC et du moment où il l’a su, a déclaré Kris Peeters. Si l’on a, au niveau fédéral, des informations que nous n’avons pas, cela me pose un problème.  » Pourtant, le gouvernement flamand aurait parfaitement pu en être informé s’il n’avait pas fait traîner la nomination chez KBC des deux administrateurs qu’il pouvait désigner d’après le plan de sauvetage de janvier. Mais comme le gouvernement fédéral est aussi en droit de désigner deux administrateurs chez KBC et encore deux chez PNB Paribas, cela a pris un peu de temps avant que les partis politiques ne se soient partagé ces fonctions.

Pour le gouvernement flamand, l’avenir de KBC à quelques semaines des élections régionales est naturellement un sujet extrêmement sensible. Après son intervention rapide auprès de KBC en janvier, le ministre-président flamand Kris Peeters était particulièrement fier de lui. Le dynamisme de son gouvernement était apprécié de tous et les choses se présentaient particulièrement bien pour lui à la veille de la campagne électorale. Le fait que, quelques mois plus tard, la même banque menace à nouveau de sombrer est un coup dur pour les excellences flamandes. Il n’est donc pas étonnant que Kris Peeters se complaise dans un rôle de victime et prétende qu’il a été pris au dépourvu. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le vice-ministre-président Dirk Van Mechelen (Open VLD), qui parle constamment des  » erreurs impardonnables  » de KBC, parte en guerre contre la direction de la banque. Depuis que son président de parti Bart Somers a fait un faux pas devant les caméras de la télévision voici quelques semaines en annonçant l’arrivée au sein de son parti du député fédéral de la Lijst Dedecker Dirk Vijnck (reparti quelques jours plus tard à la Lijst Dedecker), Dirk Van Mechelen est de plus en plus souvent cité par l’Open VLD comme candidat ministre-président. Il s’ensuit que même Dirk Van Mechelen déclare aujourd’hui :  » La poursuite d’une maximalisation du bénéfice dans le monde financier a débouché sur une cupidité illimitée.  » Une déclaration étonnante pour un libéral.

Le ras-le-bol des citoyens

Et le citoyen dans tout cela ? Il commence à en avoir assez. Et s’interroge. Combien de milliards d’impôts faudra-t-il encore pour empêcher les banques de s’effondrer ? Quand la crise bancaire sera-t-elle enfin passée ? La critique se fait aussi plus virulente parce qu’un nombre croissant de gens risquent de perdre leur emploi dans des entreprises en difficulté qui, contrairement aux banques, ne peuvent pas compter sur l’aide de l’Etat. Il en résulte que de plus en plus de Belges se détournent ostensiblement de l’establishment. Même des gens qui jusqu’il y a peu auraient bien voulu en faire partie. Et à quelques jours des élections, cela grossit inévitablement l’électorat des partis politiques qui mettent un point d’honneur à combattre les pouvoirs établis du pays.

Ann Peuteman et Ewald Pironet

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