Le retard du cinéma flamand

Si les films francophones belges ont acquis un belle réputation internationale, ceux du Nord restent encore confinés au petit marché intérieur. Explications

Alain Berliner, le réalisateur de Ma vie en rose, est régulièrement sollicité à l’étranger pour expliquer le succès du cinéma belge. « Je n’en ai absolument aucune idée, avoue-t-il invariablement. Mais une chose est certaine: il faut en profiter aussi longtemps que cela durera. »

Ces dix dernières années, les films des frères Dardenne ( La Promesse, Rosetta), Jaco Van Dormael ( Toto le héros), Benoît Poelvoorde et Rémy Belvaux ( C’est arrivé près de chez vous), Benoît Mariage ( Les convayeurs attendent) ou Frédéric Fonteyne ( Une liaison pornographique) ont sans conteste charmé bien des cinéphiles à l’étranger. De plus en plus apprécié sur la scène internationale, le cinéma belge est ainsi devenu synonyme de cinéma belge francophone.

Les cinéastes flamands n’auraient-ils aucun talent ? Ou dormiraient-ils sur leurs lauriers ? Ils sont pourtant quelques-uns à nourrir des ambitions internationales. On pense notamment à Frank Van Passel ( Manneken Pis), Lieven Debrauwer ( Pauline & Paulette), Patrice Toye ( Rosie), Stijn Coninx (Licht) ou Dominique Deruddere (Iedereen beroemd !), nominé aux oscars en 2001.

Pourquoi, alors, cette différence de succès entre les oeuvres du nord et du sud du pays? D’abord, la politique cinématographique, en Communauté française, n’est pas – n’est plus? – constamment obsédée par une quête incessante d’identité. Les pouvoirs publics flamands, eux, ont trop souvent voulu entraîner le cinéma dans un processus identitaire. Ainsi, l’adaptation d’oeuvres littéraires comme De Leeuw Van Vlaanderen, De Vlasschaard ou De Witte van Zichem devait donner une consistance à cette identité flamande. Certes, Coninx a prouvé avec Daens que ce genre de film historique pouvait aussi attirer l’attention de la critique étrangère, puisque ce dernier lui a valu une nomination aux oscars. Mais, dans l’ensemble, la gestion de la politique des films en Flandre a tout fait sauf encourager le développement international de son cinéma.

Tandis que la commission flamande de sélection des films – composée de banquiers, d’avocats, de journalistes et de délégués de cabinets ministériels – se retranchait dans sa tour d’ivoire pour défricher des montagnes de scénarios, du côté francophone, il régnait une culture de débat ouvert. La commission francophone, dépolitisée ces dernières années, composée de professionnels du cinéma, travaille davantage sur le terrain. Elle permet aussi à des cinéastes débutants de venir défendre leur dossier.

Autre avantage du côté francophone : la collaboration plus étroite établie entre le secteur du cinéma et les chaînes de télévision, obligées contractuellement d’investir dans la production. Par ailleurs, le partenariat entre la RTBF et Arte offre la possibilité de présenter en coproduction des films moins faciles d’accès. Le contratse est grand avec la Flandre où, il n’y a pas si longtemps encore, l’administrateur délégué de la VRT, Bert De Graeve, ne voyait dans le cinéma qu’une source de pagaille. Des discussions récentes annoncent heureusement un probable changement de climat.

Une nouvelle impulsion

Pour la Flandre, il est donc grand temps d’entamer une politique dynamique en la matière. La récente nomination du député européen Luckas Vander Taelen (Agalev) au poste d’intendant du cinéma a redonné souffle au secteur, qui s’est vu octroyer un tout nouveau fonds pour l’audiovisuel. Actuellement, le parlementaire est en pleine discussion avec le secteur, mais il garde encore le secret sur ses intentions. Il précise en tout cas que sa gestion sera libérée de toute mainmise politique. Par ailleurs, le fait que le fonds relève à nouveau, depuis juillet 2001, de la Culture, apparaît comme un autre signe positif.

En tête de ses priorités, Vander Taelen place notamment une collaboration avec la Communauté française. Le cinéma n’a-t-il pas toujours, selon ses dires, franchi la frontière linguistique? Il suffit de jeter un coup d’oeeil sur un plateau de tournage pour constater que les membres de l’équipe se parlent la plupart du temps dans un mélange de français et de néerlandais. De même, des producteurs francophones, tels que Dominique Janne, n’hésitent pas à cofinancer une production flamande. C’est d’ailleurs une rencontre, dans un bar à Cannes, entre Lieven Debrauwer et Dominique Janne qui a déclenché l’enthousiasme de ce dernier pour le projet de Pauline et Paulette. Des vieux routiers du cinéma comme Marion Hänsel ont même réussi dans le passé à convaincre les deux commissions linguistiques de sélection de contribuer au budget de ses films. L’époque où on comptait le nombre de mots français dans un projet flamand et celle où on claquait la porte après avoir découvert que le parfait francophone qu’était Marc Didden tournait un film flamand est aujourd’hui définitivement révolue.

Tout heureux du budget de 20,1 millions d’euros (frais de fonctionnement compris) dont il dispose pour le Fonds flamand, il est malgré tout conscient de ce que l’art ne se crée pas uniquement avec de l’argent. Au sud de la frontière linguistique, la preuve en avait été administrée par Benoît Poelvoorde, André Bonzel et Remy Belvaux et leur C’est arrivé près de chez vous, film tourné en noir et blanc sur pellicule 16 mm, pour moins d’un demi-million de francs belges. Sans aucune aide officielle! « Mais, ajoute Luckas Vander Taelen, dans le domaine de l’encadrement et de l’apprentissage, les cinéastes débutants francophones ont une longueur d’avance. » Ils disposent en effet d’ateliers de production qui accueillent toutes formes d’expériences créatives en matière de documentaires ou de courts-métrages. Leur fonctionnement permet à de jeunes réalisateurs de développer quelques projets, supervisés par un cinéaste expérimenté. Les jeunes cinéastes flamands eux, frais émoulus de l’école de cinéma et comptant, dans le meilleur des cas, la réalisation d’un unique court-métrage à leur palmarès, sont souvent privés de l’expérience nécessaire pour mener à bien, malgré les subventions officielles, la réalisation du film de leur vie. « On laisse trop de jeunes talents dans cette illusion. C’est d’abord l’encadrement des projets qui est primordial. »

Luckas Vander Taelen cite encore une autre raison, d’ordre psychologique cette-fois, pour expliquer le retard pris par les Flamands. « Le cinéma belge francophone traite de ce qui fait vraiment partie de la vie au sud du pays, à l’instar d’ Amores Perros (Alejandro Gonzales) qui retrace la réalité sociale d’une grande ville au Mexique ou d’un cinéaste comme Ken Loach, dans The Regulators, qui passe au scalpel la dure réalité britannique des chemins de fer privatisés. C’est ce qui plaît, estime Luckas Vander Taelen. Lorsqu’un étranger voit Rosetta ou La Promesse, il comprend d’emblée que ce film ne prend pas de demi-mesures. Mais un film sur ce qui relève de la réalité quotidienne en Flandre n’a tout simplement pas encore été tourné. »

« Pourquoi n’existe-t-il pas de scénarios évoquant le Vlaams Blok, ou la vie à Anvers, ou le scandale Lernout & Hauspie ? demande Vander Taelen. Pourquoi n’adapte-t-on pas au cinéma des livres d’Herman Brusselmans ou de Tom Lannoye (exception faite de Alles moet weg) ? Le seul qui ait fait un jour une tentative en ce sens est le journaliste de la VRT, Julien Vrebos, avec Le Bal masqué, un film étonnant sur les tueries du Brabant wallon. Il n’a pas trouvé son public, mais je continue cependant de penser que c’est cette voie-là qu’il nous faut suivre. Nous devons faire des films sur ce qui interpelle réellement les gens. »

Shaheda Ishaque

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire