Le rayon rock

Baptiste Liger

La fiction musicale prend une nouvelle place sur la scène littéraire française. Un genre nouveau qui cherche encore sa voix.

C’est peut-être encore un malentendu culturel. Si le rock a très tôt inspiré la littérature anglo-saxonne – y compris dans les universités – la production française ne s’y était jusqu’alors guère intéressée. En dehors de quelques biographies de qualité (notamment celle des Rolling Stones, signée François Bon en 2002), le son chéri d’Elvis et de Bowie devait se contenter dans l’Hexagone de quelques rééditions d’ouvrages venus d’ailleurs et de documents rarement intéressants. Et, lorsqu’ils décidaient d’aborder la musique, les romanciers optaient plutôt pour la musique classique ou le jazz.

Au début des années 2000, alors qu’on le croyait supplanté par les musiques électroniques, le bon vieux rock est alors revenu en force dans les lycées et sur les ondes, phénomène qui n’a pas échappé aux éditeurs français. Résultat : les fictions musicales pullulent soudain en librairies. Pour le meilleur et pour le pire.

Constat : en début d’année, David Brun-Lambert s’est inspiré librement de l’histoire des Libertines avec Boys in The Band. Malheureusement, l’écriture  » yéyé  » de l’auteur ne collait guère à l’esprit rock de Pete Doherty, leader déjanté du groupe. Le phénomène ne se limite pas au rock stricto sensu : la prestigieuse collection Blanche chez Gallimard vient de s’ouvrir au rap avec l’inabouti Du bruit, de Joy Sorman, mélange entre récit et essai autour du groupe rap NTM. Mais le cas le plus symptomatique est certainement le label Naïve. Cette maison de disques (Carla Bruni, Cat Power, Akhenaton…) s’est tournée vers l’édition en 2005, en particulier avec sa collection phare nommée Sessions, allusion à un enregistrement en studio. Cofondateur de cette dernière, Alexandre Civico considère que toute une génération d’auteurs a grandi avec le rock.  » Une bande musicale omniprésente du fait du développement des grands médias, précise-t-il. Il m’a semblé qu’il y avait là un terrain propice où aller puiser de l’inspiration.  » La recette Naïve Sessions : un format de 150 pages, un auteur dans le vent, une figure mythique de la pop-rock sur la couverture et un regard décalé sur elle. Histoire de capter les fans avec une vision inédite de leur idole ?  » Ils ne sont pas le premier public visé, se défend Civico. Le but de la collection est de faire du rock et de ses figures un matériau littéraire. Les auteurs qui se lancent dans l’aventure abordent chacun ce travail de manière très différente. Ils vont s’appuyer sur cette base, constitutive de leur personnalité, qu’est la musique rock, pour continuer le travail entamé dans leurs livres précédents.  »

A en juger par les trois derniers volumes parus, les approches thématiques sont aussi diverses que les résultats. On passera vite sur La Dernière Fille avant la guerre, jérémiade auto-psychanalytique au sujet du groupe Indochine signée Chloé Delaume. Plus intéressant, Black Box Beatles, de Claro, est une digression de SF psychédélique basée sur les meilleures chansons de Lennon et McCartney :  » J’ai appris l’anglais avec tous ces tubes. Et, si je suis devenu traducteur, c’est un peu à cause d’eux « , s’amuse Claro, qui tient à dire qu' » il ne faut pas écrire sur le rock, mais avec le rock ! « .

Un message qu’a bien compris Maylis de Kerangal, qui signe avec Dans les rapides l’un des plus beaux livres de la collection. A travers les destins de ces trois adolescentes havraises qui découvrent leur féminité au son de Blondie et de Kate Bush, la jeune romancière a su trouver les mots justes pour restituer l’énergie et le message de cette musique. Le  » truc  » de Maylis de Kerangal ?  » Surtout ne jamais écrire en groupie « , confie-t-elle. Et c’est une fan qui parle ! l

Boys in The Band, par David Brun-Lambert. Denoël, 169 p.

Du bruit, par Joy Sorman. Gallimard, 160 p.

La Dernière Fille avant la guerre, par Chloé Delaume. Naïve, 120 p.

Black Box Beatles, par Claro. Naïve, 132 p.

Dans les rapides, par Maylis de Kerangal. Naïve, 111 p.

Baptiste Liger

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