» Le PTB est prêt aux concessions pour gouverner « 

Incarnée par un PTB aux angles arrondis, la gauche radicale relève la tête. Elle décroche même son best-seller. Auteur de Comment osent-ils ?, le président Peter Mertens dévoile la stratégie de son parti : la conquête du pouvoir en douceur, sans verser dans le phénomène de mode. Une vraie révolution… interne.

Le Vif/L’Express : Votre livre Comment osent-ils ? cartonne en Flandre (13 200 exemplaires vendus) et démarre fort côté francophone (3 000 exemplaires écoulés en une semaine) : l’heure du PTB a-t-elle sonné ?

Peter Mertens : L’heure, mais surtout les années. Nous sommes un parti en devenir. Partout en Europe, les peuples s’ouvrent à la remise en cause du système néolibéral. Aux Pays-Bas, le Socialistische Partij [NDLR : ex-communiste] est en tête dans les sondages. Et comme on n’en a pas fini avec les plans d’austérité, nous avons de l’avenir.

Le PTB, combien de divisions ?

Depuis le début de l’année, nous avons enregistré 800 nouveaux affiliés. Nous atteignons les 5 000 membres.

Qui sont ceux et celles qui rallient vos rangs ?

Nous avons beaucoup recruté chez les syndicalistes actifs, sur les piquets de grève installés lors de la grève générale de janvier. Grâce à notre réseau de 11 maisons médicales qui dispensent une médecine gratuite, nous discutons avec des patients qui n’étaient pas forcément politisés ou qui, par déception des partis socialistes, votent Vlaams Belang ou N-VA. Des quartiers entiers dans les grandes villes ont été politiquement désertés par le mouvement socialiste traditionnel : nous cherchons à combler le vide.

Enfin, beaucoup d’intellectuels, des économistes notamment, contribuent ou collaborent à notre service d’études.

Cela ne fait-il pas surtout du PTB un parti de mécontents et de déçus ?

Non. La plus importante couche de nos militants comprend des gens socialement engagés, qui se battent pour trouver des solutions concrètes. Notre devoir politique est aussi de réimpliquer les gens dans le débat, en leur expliquant la crise et ses enjeux dans un langage compréhensible. On ne peut laisser notre avenir entre les mains de banquiers et de spéculateurs enfermés dans un jargon de techniciens. Le PTB veut parler à l’intelligence des gens, pas à leur ignorance. Notre meilleure publicité, c’est le bouche-à-oreille.

Sur une place de la Bastille noire de monde, Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle française au nom du Front de gauche, en a appelé à l’  » insurrection civique  » : vous répondez présent ?

Oui, s’il veut dire par là repenser fondamentalement les habitudes politiques de ces vingt dernières années. S’il parle d’une révolution des idées, j’adhère totalement.

 » Insurrection  » : ça ne dégage pas un petit parfum de violence ?

Mélenchon en appelle à une tradition révolutionnaire bien française que nous ne connaissons pas ici. Vous savez, la violence est dans le bouleversement causé par les élites européennes. Il y a une révolution en cours en Europe : elle est néolibérale.

Un transfert de souveraineté s’opère, sans le moindre débat démocratique, des Etats vers une Europe autoritaire, qui veut dicter et contrôler le futur des peuples. Cette évolution dangereuse appelle une riposte puissante.

Peut-on sortir de ce scénario en douceur ?

Par un grand mouvement populaire.

On ne peut pas dire que la crise financière et économique ait fait monter aux barricades les masses populaires depuis 2008…

Non, mais une étincelle peut mettre le feu aux poudres. Et la poudre, elle est bien là. Il suffirait que la garantie d’Etat pour Dexia [NDLR : 54,4 milliards d’euros] soit activée pour que la Belgique dégringole immédiatement au niveau de la Grèce. Je ne le souhaite pas, mais ce n’est pas exclu.

La meilleure façon d’en finir avec le système capitaliste n’est-il pas de le laisser aller au bout de ses délires ?

Non, non ! Nous sommes un parti marxiste, mais nous en avons fini avec ces courants d’extrême gauche qui prônent cette voie. Je m’oppose à ceux qui veulent encore aggraver la situation.

Comment vouloir renverser un système économique en respectant ses règles du jeu politique et démocratique ?

Mais nous voulons approfondir la démocratie ! Quels sont les partis qui remettent en cause l’orientation autoritaire de la Commission qui confisque le débat ? Aucun ! Le système parlementaire est miné, il n’est pas le miroir de la population. On y voit surtout siéger des avocats, des notaires. Il faut de vrais élus du peuple. Il faut consulter les gens davantage qu’une fois tous les quatre ans, lors des élections. Par exemple, en les associant aux discussions budgétaires.

Vous pourriez être un parti de coalition ? Gouverner avec la droite ?

Si nous devons gouverner, nous devrions faire des concessions. Nous le savons. Nous serions prêts. Ce n’est pas une question de principe, mais de moment. On ne pourrait envisager d’entrer dans une coalition que si elle allait à l’affrontement avec la Commission européenne.

Le PTB nouveau est arrivé ?

Oui. Il a fallu quatre ans de débat pour faire entrer le parti dans une nouvelle phase. Sans perdre la ferveur militante des 1 500 membres que comptait l’ancien PTB. C’est pourquoi nous n’avons pas voulu changer le nom : nous ne voulions pas dire à ces gens-là que l’on rasait tout.

Une mue par une révolution de velours ?

Nous avons perdu l’aile la plus radicale. Un tiers du bureau du parti s’en est allé. C’est bien : nous avons pu clôturer ce débat stérile avec des gens qui trouvent que ce n’est jamais assez, qui croient détenir LA vérité. Ce départ a renforcé le parti : quatre membres du PTB sur cinq se sont inscrits depuis 2008.

En attendant, votre image de mouvement subversif a la peau dure : notamment sur les campus universitaires. Noyautage, infiltration des milieux étudiants : c’est une spécialité du PTB ?

Du n’importe quoi. Nous n’avons pas d’agenda caché ni besoin de sous-marins pour vouloir ouvrir le débat politique. Je vous invite à regarder du côté d’Ecolo : les ministres wallons Nollet et Henry, la coprésidente d’Ecolo et ex-présidente du parlement wallon, Emily Hoyos. Tous ont été d’anciens leaders de la Fédération des étudiants francophones.

N’empruntez-vous pas la même pente que celle suivie par Ecolo : un mouvement contestataire et adepte de la politique autrement à ses origines, devenu un parti traditionnel de pouvoir ?

Le piège existe, on en débat. Il y a les principes sur lesquels nous ne transigerons pas, et la réalité des concessions à faire. Mais chez Ecolo, on ne voit pas de projet socialiste de la société. On ne les voit pas non plus au c£ur de l’action syndicale, autour des piquets de grève.

Le PTB est le seul parti à le faire. Parce qu’il est un parti de travailleurs. Alors qu’Ecolo et Groen sont davantage orientés vers ces classes moyennes qui ont encore le luxe de penser à d’autres choses qu’à la crise qui frappe.

Vous savez, c’est Médecine pour le peuple [NDLR : une initiative du PTB] qui a été la première à secourir les victimes de la milice patronale allemande, lors de leur raid dans l’entreprise Meister Benelux à Sprimont.

Bernard Wesphael claque la porte d’Ecolo : il serait le bienvenu au PTB ?

Ce genre de personnes peut nous intéresser. Nous sommes prêts à discuter avec tous ceux qui voudraient quitter Ecolo, Groen, le PS. C’est à voir au cas par cas. En fonction des motivations [NDLR : depuis l’interview, Bernard Wesphael a décliné l’offre du PTB].

Votre principal adversaire sur l’échiquier politique, c’est plutôt la droite ou la gauche non radicale ?

La droite. Totalement. C’est le néolibéralisme à l’échelle européenne. Il aurait dû mourir en 2008. Au contraire, il est passé à la vitesse supérieure.

N’est-ce pas le puissant PS qui vous fait surtout de l’ombre ?

Le PS fournit à présent le Premier ministre. Il est en première ligne, au c£ur des mesures douloureuses prises par le gouvernement Di Rupo Ier. Le PTB doit être prêt à accueillir tous les déçus du PS. Et ce, avant que la situation ne dégénère comme en Flandre : quand le SP.A s’est vidé de ses forces, nous n’étions pas en mesure de les accueillir. Il ne faut pas que le scénario se reproduise en Wallonie : c’est pourquoi le PTB a changé.

Le PS, c’est du socialisme bling-bling ?

Je nuancerais. Il y a au PS un courant à la Strauss-Kahn, attaché au pouvoir et à l’argent. Mais c’est encore autre chose que les socialistes flamands : le SP.A, ça, c’est la gauche caviar. Le PS, lui, joue surtout au Calimero : c’est toujours la faute des autres. De la droite, de la Flandre.

Nous avons perdu l’espoir de le changer de l’intérieur. Le PS, c’est le grand écart permanent. D’un côté, il tient un langage anticapitaliste contre les millionnaires. De l’autre, il marque son accord avec les orientations de la Commission européenne, il s’en prend aux pensionnés, aux chômeurs et aux fonctionnaires, il vote les intérêts notionnels. Une vraie politique de centre-droit.

2014, le PTB fait un tabac électoral. Vous seriez capable de gérer une victoire ?

Atteindre un score de 5-8 %, c’est gérable. Mais le PTB ne veut pas être un phénomène de mode, le parti d’un printemps. Attirer les électeurs pour qu’ils quittent rapidement le navire : ce n’est pas notre but. Construire prend du temps. Rêver d’une autre société et offrir des solutions pratiques et concrètes, c’est possible.

Le dernier parlementaire communiste remonte à 1985. Le PTB ambitionne-t-il d’assurer la relève ?

Ce n’est pas du tout irréaliste. On veut y arriver. Nous préparons les élections de 2014. En ne comptant que sur nos forces.

Peter Mertens, Comment osent-ils ?, éditions Aden.

ENTRETIEN : PIERRE HAVAUX

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