Le psychiatre dans la société contemporaine

On doit sans doute aux films de Woody Allen d’avoir popularisé l’image du trentenaire torturé, aussi dépendant de son psychothérapeute que de sa cigarette. Le personnage prête à sourire, avec ses préoccupations sexo-métaphysiques et les monologues fébriles qu’il en tire sur le divan d’un analyste complaisant. Mais le cliché a fait école. Le psychiatre est généralement malmené par le cinéma, qui le présente tour à tour comme un geôlier inaccessible ( Vol au-dessus d’un nid de coucou ; Terminator 2), un incompétent vénal ( Ma vie est un enfer), un excentrique survolté ( Quoi de neuf, Bob ? ; Ally McBeal), au mieux comme un doux rêveur ( Un divan à New York), quand il n’est pas lui-même un dangereux déséquilibré ( Le Silence des agneaux ; Hannibal; Pulsions). La caricature médiatique influence certainement le rôle que la société attribue au psychiatre, mais quel est vraiment le rôle du psychiatre dans la société ? La confusion règne manifestement quant aux qualités de ce  » docteur de l’esprit  » (psychiatrie signifie « médecine de l’âme » en grec), si différent, semble-t-il, de tous ses confrères.

Un sorcier moderne ? La famille du patient, et, dans une moindre mesure, le patient lui-même ont souvent une attente magique à l’égard de l’intervention du psychiatre. On nous dit souvent :  » Soignez-le, six mois s’il le faut, mais qu’il en sorte guéri », ou encore :  » Il ne veut pas se soigner, mais il faut qu’il change ». Ces attentes figurent en bonne place au panthéon de la psychiatrie onirique, à côté de :  » J’aimerais me faire hypnotiser pour régler tous mes problèmes « , et des demandes de  » cures de sommeil « , reliquats surprenants de l’époque pavlovienne. Il faut bien avouer que les médecins d’autres spécialités partagent souvent ces attentes magiques. La faute en revient peut-être à la médiatisation régulière de pseudo-thérapies farfelues, qui entretient elle-même la confusion du public quant aux termes psychiatre, psychologue et psychothérapeute. Le psychiatre est un médecin spécialiste, pas un sorcier moderne.

Un régulateur social ? Lorsque la société ne parvient plus à contenir sa violence de manière raisonnée, et que les policiers peinent à remplir leur mission, la Justice croit souvent que la psychiatrie pourrait être la solution providentielle. On tente ainsi de nous confier des malfaiteurs dont l’agressivité est étrangère à la santé mentale, ou on nous demande d’assurer le suivi ambulatoire de détenus afin de préparer leur sortie. S’il arrive en effet au psychiatre de traiter, dans le cadre de la loi de défense sociale, des patients ayant commis des délits en raison de leur maladie, ces demandes relevant d’une tout autre nature sont, par contre, injustifiables. Il faut peut-être rappeler ici que la médecine mentale n’est pas armée pour le traitement des psychopathes et autres asociaux. Basant sa pratique sur le consentement mutuel en faveur d’une alliance thérapeutique, le psychiatre est un soignant, pas un régulateur social.

Un philosophe domestique ? Il participe à tous les débats et reality-shows; son nom apparaît dans les magazines féminins et autres médias de grande audience: « le psy » explique l’inexplicable, interprète, juge, pontifie. Cette dérive hautement complaisante est parfois le fait du psychiatre lui-même, mais, la plupart du temps, de non-médecins. Qui tolère la « science » suffisante de ces oracles cathodiques ? Le psychiatre n’a pas le droit d’ingérence sur la vie d’autrui, et ce même dans le cadre de sa pratique curative ; hors de celle-ci, il peut choisir d’être un intellectuel engagé, mais sa science n’a rien d’universel en soi : il n’est pas un philosophe domestique.

Ni sorcier moderne, ni régulateur social, ni philosophe domestique, le psychiatre est donc avant tout un médecin. Un médecin qui soigne des patients dont la souffrance est certes morale, mais dont la pratique est de plus en plus ancrée dans le giron plus large des neurosciences, d’une  » psychopathologie scientifique « . La psychiatrie moderne est une discipline jeune : elle n’a que 50 ans. Si cela peut se voir encore sur les écrans des salles obscures, il est pourtant loin, le temps du doux farfelu qui avait tout oublié de sa médecine – jusqu’à l’anatomie du cerveau et du coeur! Et cette remédicalisation de la psychiatrie se traduit jusque dans la psychothérapie : le psychanalyste-médecin n’est-il pas en voie d’extinction ? Dans ce contexte, les attentes dont le grand public investit la psychiatrie semblent à des années-lumière de la réalité. Nous soignons les hommes, pas l’Homme. Mais qu’il nous soit au moins donné les moyens de le faire. Les maladies mentales sont parmi les plus fréquentes au monde. Mais qui a déjà entendu parler d’un « téléthon » au bénéfice de la psychiatrie ? La société serait-elle en fait honteuse de sa psychopathologie ? Stress au travail, séquelles d’agressions, dépression épidémique : il est déjà beaucoup demandé au psychiatre dans la société contemporaine. Ne lui demandez pas, en plus, de la changer.

Les textes de la rubrique Idées n’engagent pas la rédaction.

par le Dr Ivan Godfroid, CHU de Charleroi, service de psychiatrie (hôpital Vincent Van Gogh)

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