» Le PS, c’est presque un parti communiste « 

Elle trouve qu’il y a trop d’étrangers en Belgique et que le chômage devrait être réduit à deux ans maximum. Son nom ? Zuhal Demir. Fille d’un ouvrier turc, cette députée N-VA est devenue en octobre la première bourgmestre d’origine étrangère en Flandre. Interview explosive.

(1) La ville d’Anvers est divisée en neuf districts, qui ont chacun leur bourgmestre et leur collège échevinal.

Jusqu’à l’âge de 20 ans, le parcours de Zuhal Demir ressemble à celui de la vice-Première ministre PS, Laurette Onkelinx : des racines limbourgeoises, un père syndicaliste, une enfance passée dans une cité sociale, des études en droit à l’université. Puis, la jeune femme entame une brillante carrière dans un cabinet d’avocats international. Jan Jambon, l’un des leaders de la N-VA, la repère et lui propose de se porter candidate aux élections de 2010. Jusque-là, elle ne s’était intéressée que de loin à la politique. A 30 ans tout juste, la voilà députée. Depuis, Zuhal Demir s’est imposée à la Chambre, tant comme spécialiste des matières sociales que comme adversaire acharnée du gouvernement. Après les élections communales d’octobre 2012, elle est devenue la première bourgmestre de Flandre issue de l’immigration, dans le district d’Anvers-centre (1), à la tête d’une majorité N-VA – Groen – Open VLD. Rencontre.

Le Vif/L’Express : Votre père a quitté la Turquie pour devenir mineur dans les charbonnages du Limbourg, à Genk, où il a été délégué syndical CSC. Comment avez-vous épousé la cause du nationalisme flamand ?

Zuhal Demir : Je ne vois pas de contradiction. Mon père travaillait cent mètres sous terre, mais il m’a toujours encouragée à étudier. Grâce à des bourses, j’ai pu aller à l’université. C’est ce qui m’a motivée à étudier le droit social, une filière où se retrouvent souvent les étudiants de gauche, révoltés par les injustices. Comme j’étais représentante des étudiants au conseil facultaire, un prof m’a dit :  » Vous devriez postuler au syndicat chrétien, j’y ai des contacts, ils cherchent des profils comme le vôtre.  » J’ai beaucoup hésité, avant de finalement accepter un stage dans un bureau d’avocats.

C’est à ce moment que vos opinions ont glissé vers la droite ?

La plupart de mes clients étaient de grandes entreprises, mais je défendais aussi des travailleurs, gratuitement. Au bout d’un moment, je me suis dit : je donne la moitié de mes revenus à l’Etat, ça ne va pas. Cela ne me dérange pas de payer beaucoup d’impôts, comme dans les pays scandinaves, mais là, en retour, tu reçois une bonne pension et de bons hôpitaux. En Belgique, ta retraite se limite à trois fois rien. Et tu as intérêt à prendre une assurance-hospitalisation, sinon, tu vas payer une fortune le jour où tu dois être opéré.

Vous auriez pu militer chez les libéraux. Pourquoi avoir choisi la N-VA ?

Mes origines ont joué. Mes parents viennent de Tunceli, l’un des foyers de l’identité kurde. En Turquie, le turc est la seule langue officielle, comme le français en Belgique avant. Quand j’ai entendu parler de la résistance flamande face à la domination francophone, cela a résonné en moi.

Presque chaque semaine, à la tribune de la Chambre, vous attaquez les syndicats…

Pas seulement les syndicats, les partenaires sociaux en général. Parce qu’ils sont responsables du statu quo. L’accord interprofessionnel est en rade. Tant qu’il y avait de l’argent, la concertation sociale fonctionnait. Depuis quinze ans, ça ne marche plus. Le chômage augmente, les faillites aussi, il faut réformer les pensions, réduire les coûts salariaux… Et que fait le gouvernement fédéral ? Il renvoie tous ces sujets vers les partenaires sociaux.

Vous reprenez à votre compte le credo de Guy Verhofstadt dans les années 1990 : la primauté du politique. Pourquoi voulez-vous rogner le pouvoir des organisations patronales et syndicales ?

Les partenaires sociaux ont un rôle important. Ils savent ce qui vit dans les entreprises, ils peuvent donc émettre des conseils, critiquer certaines lois. En revanche, c’est aux responsables politiques de prendre des décisions. C’est à nous que les citoyens ont confié un mandat, pas aux partenaires sociaux. En Belgique, toutes les lois sociales importantes se décident au Conseil national du travail. J’estime que, sur un dossier comme les statuts ouvrier et employé, c’est la ministre de l’Emploi qui devrait fixer le cadre général, puis laisser éventuellement les partenaires sociaux changer quelques détails, et non l’inverse.

 » Mon patron, c’est le Voka « , a un jour déclaré votre président de parti, Bart De Wever. Cela vaut pour vous aussi ?

C’était une boutade. Bart blague souvent. Bien sûr, j’ai de bons contacts avec le patronat flamand. Les entreprises ne sont pas nos ennemies, mais nos amies car elles créent de l’emploi. Voilà une différence avec mes collègues francophones : à part le MR, ils considèrent tous les entreprises comme des ennemies. Quand j’entends certains discours au Parlement, je manque de m’évanouir. Les socialistes wallons, ce sont quasi des communistes. Pour eux, l’Etat doit s’occuper de tout.

Pour la N-VA, monter au gouvernement avec le MR et l’Open VLD, en 2014, ce serait envisageable ?

Sur le plan socio-économique, je vois beaucoup de convergences entre nous. Mais je ne veux rien dire de plus. C’est trop tôt. La seule certitude, c’est qu’on doit réformer ce pays.

Vous pourriez le réformer avec le PS ?

Je pense que c’est impossible. En 2010, lors des négociations pour la formation du gouvernement, j’ai fait partie du groupe de travail sur le chômage. La Belgique est le seul pays où tu peux rester vingt ans chômeur. On a dit au PS : on veut changer ça. Mais le PS ne voulait rien entendre. On-be-spreek-baar !

Quelle devrait être la durée maximale du chômage ?

Deux ans, ça me paraît bien. Dans la plupart des pays européens, c’est six mois ou un an.

Les élections communales ont fait de vous la première bourgmestre de Flandre issue de l’immigration. Une source de fierté ?

Cela a une portée symbolique. Les socialistes publient des tas de livres sur la diversité, mais quand il était bourgmestre d’Anvers, Patrick Janssens n’a pas nommé un seul échevin d’origine étrangère. Bart De Wever, lui, il a posé des actes. Il a choisi une échevine d’origine marocaine, et dans mon district, le plus grand d’Anvers, 190 000 habitants, il m’a donné la chance de tirer la liste. Pour tous les Anversois dont les parents sont nés ailleurs, me voir bourgmestre, ça veut dire : yes we can ! Si on étudie à l’école, si on apprend la langue, on peut y arriver.

Dans Humo, vous avez déclaré ne pas oser vous promener seule dans certaines rues de Borgerhout, l’un des quartiers d’Anvers. Bart De Wever, bourgmestre de la ville depuis octobre, pourra- t-il y changer quelque chose ?

Oui. Il est en train de mettre sur pied un plan pour la sécurité.

Donc, dans six ans, vous pourrez vous balader seule dans Borgerhout.

Ce n’est pas si simple. La sécurité, c’est un aspect du problème. L’autre aspect relève de l’éducation. C’est la responsabilité des parents d’empêcher que leurs enfants insultent les filles en rue, et un bourgmestre n’y peut pas grand-chose. Ce problème, c’est aussi le résultat d’une politique d’immigration  » frontières ouvertes « , qui est un fiasco absolu.

Il y a trop d’étrangers en Belgique ?

Beaucoup trop. Le système est submergé. En janvier, l’OCDE a prié la Belgique de s’attaquer d’urgence au problème du chômage des allochtones.

Cela ne signifie pas qu’il faut fermer les portes à l’immigration.

Si. Entre 1992 et 2000, il y a eu 400 000 nouveaux arrivants en Belgique. Le problème commence là. Un tel afflux implique de financer des programmes d’intégration, de construire des écoles. Notre système n’est pas prévu pour absorber une si grosse masse. Conséquence : de nombreux enfants de migrants souffrent de retard scolaire, maîtrisent mal la langue et, du coup, ne trouvent pas leur place sur le marché du travail. De plus, beaucoup de jeunes d’origine étrangère, nés ici, vont chercher une femme au Maroc ou en Turquie, qui ne parle pas un mot de néerlandais. Chaque fois, tout le processus d’intégration est à recommencer.

ENTRETIEN : FRANÇOIS BRABANT

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