Damien Scalia est aussi professeur invité à l'université de Lausanne et à l'université catholique de Lille. © DR

« Le procès Schütz a peu de sens, celui contre l’Etat belge est majeur »

Damien Scalia est chargé de cours à la Faculté de droit et de criminologie de l’ULB. Il distingue le sens des procès « du passé », selon qu’ils concernent une personne physique ou une personne morale. Selon qu’ils doivent dégager des responsabilités individuelles ou contribuer à écrire une histoire collective.

En Allemagne, huit dossiers d’anciens SS sont actuellement examinés par différents parquets et le procès de Josef Schütz est en cours. En Belgique, le tribunal de première instance de Bruxelles rendra, début décembre, son jugement dans le procès contre l’Etat belge pour des faits commis durant la colonisation. Quels sens ont ces procédures?

Il faut séparer les procès pénaux, comme celui en cours en Allemagne, de ceux devant un tribunal autre que pénal, comme celui en cours en Belgique. Fondamentalement, dans les deux cas, il y a un sens historique et symbolique mais dans l’un, on a une personne physique accusée et dans l’autre, un Etat, une personne morale. L’enjeu n’est pas le même. Juger une personne soixante ou septante ans après des faits commis dans un contexte particulier, même si on peut dégager une responsabilité personnelle, n’a pas beaucoup de sens. D’autant qu’un procès pénal, centré sur l’accusé et lui seul, ne permet d’écrire qu’une vérité judiciaire. Qui n’est pas une vérité historique. C’est une vérité dans le cadre d’un procès où s’opposent des personnes. Dans l’action belge, en revanche, l’Etat, qui est toujours pérenne, peut réparer les préjudices que les victimes, encore vivantes, ont subis. On est ici dans la reconnaissance, ou non (le tribunal jugera), de crimes commis par un Etat. Donc un jugement forcément historique.

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L’un est plus symbolique que l’autre?

Non, les deux le sont. Mais dans l’un, le symbole est individuel: les crimes commis dans les camps ayant été établis par les historiens depuis longtemps, la question est de dégager la responsabilité pénale individuelle de Josef Schütz, qui a aujourd’hui plus de 100 ans. Sa responsabilité dans des crimes remontant à presque quatre-vingts ans et dont la responsabilité était collective, puisqu’ils résultaient de centaines de personnes et de dirigeants déjà jugés. On peut donc se demander quelle valeur a ce symbole individuel. Dans le cas belge, par contre, les symboles collectifs n’ont pas été établis parce que la Belgique peine à reconnaître sa responsabilité. Là, il y a nécessité de symboles, parce qu’ils n’ont pas encore été écrits. Le procès fait partie d’un momentum où ces symboles, collectifs, sont occupés à s’écrire puisqu’une commission parlementaire prépare son rapport sur la colonisation.

A quoi peuvent servir ces symboles collectifs, en Belgique? Quel impact peuvent-ils avoir sur la société d’aujourd’hui?

Juridiquement, c’est de la respon- sabilité de l’Etat belge qu’il est question. Donc, qu’un tribunal lui dise « vous êtes responsable de crimes commis dans le cadre de la colonisation ou par la colonisation elle-même » l’empêche de se retrancher derrière des arguments formalistes ou historiques tels que « c’était comme avant, l’époque voulait ça ». Il y aurait alors une responsabilité établie, fondamentale pour les victimes et leurs descendants, qui entraîne des réparations pour eux et qui permet, en plus du travail des historiens, l’écriture d’une histoire, l’écriture partagée, collective, qui n’est pas celle du haut vers le bas. Et tout le monde ne peut adhérer à une histoire que si elle est écrite collectivement. Les enjeux sont donc ici majeurs.

D’autres actions en justice sont par conséquent à prévoir, si le tribunal reconnaît la responsabilité de l’Etat belge?

Oui. Mais ça peut déboucher sur l’adoption d’une loi, dite de réparation ou mémorielle, qui empêcherait d’autres procès, et sur l’approfondissement du travail entamé par la Belgique sur la reconnaissance de responsabilités. Donc, outre les réparations, sur le fait que les victimes se reconnaîtraient dans un travail commun et collectif face au passé, et qu’elles n’aient dès lors plus à intenter des actions en justice pour que ce passé soit reconnu.

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