Le prix vache

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Les agriculteurs sont mobilisés. Ils sont étranglés par la chute du prix du lait. Alors que le consommateur n’en remarque rien…

En Wallonie, environ 5 000 producteurs de lait, le tiers des exploitations agricoles, sont concernés par l’actuelle situation dramatique sur le marché du lait. Avec leurs tracteurs et parfois leurs vaches, ils ont pris le chemin de la protestation, à l’instar de leurs collègues flamands.

Arnaud Louis a repris l’exploitation familiale à Feschaux (Beauraing), 80 vaches laitières, de race pie noire ou pie rouge Holstein. Le camion de la laiterie passe tous les trois jours vider les nouvelles et coûteuses installations de refroidissement : 4 700 litres en moyenne, au prix de 20 euros les 100 litres, plus quelques cents de primes, en fonction de la qualité (teneur en graisse et en protéines) ou de la propreté.

 » Le prix de base est donc de 8 anciens francs du litre, explique Arnaud, au maximum 10 francs avec les primes. Fin 2007, le prix de base était de 16 francs. On nous annonce qu’il pourrait prochainement descendre à 6 francs. Mais tout le reste, par contre, a continué d’augmenter. Et nous, on ne peut pas arrêter la machine : pas de chômage technique ou économique. « 

De 2000 à 2006, les prix avaient évolué de façon stable, entre 0,26 et 0,31 euro par litre. En 2007, ils se sont envolés.  » L’Europe a fait miroiter la croissance des exportations vers la Chine ou d’autres pays en voie de développement, commente le Famennois, ce qui a fait monter les prix. De nombreux producteurs ont investi, alléchés par les prix. « 

C’était un mauvais calcul : ces pays ont logiquement commencé à produire beaucoup plus eux aussi, tandis que les plus pauvres ont arrêté d’acheter, car ils ne pouvaient plus payer un prix aussi élevé. En Europe, de surcroît, une baisse de la consommation de lait et de ses dérivés (biscuits, chocolat, glace…) est survenue, liée à la crise économique. Et le mirifique marché chinois s’est effondré suite au scandale du lait à la mélamine, qui a semé le doute jusque chez nous.

On en est ainsi arrivé à une surproduction, et à une chute des prix. Le mouvement a été amplifié par la décision de l’Union européenne, en novembre dernier, d’augmenter les quotas, et de débrider progressivement la production. Les pays européens s’étaient en effet mis d’accord pour relever ces quotas (et donc la production totale) de 1 % par an, et de les supprimer totalement en 2015. Malgré les pressions de plusieurs pays, la Commission a catégoriquement refusé de revenir sur cet accord. Ce qui ne pouvait plus mal tomber.

Dix millions : le droit de travailler

 » La production de la ferme est de 600 000 litres par an, explique Arnaud Louis. Quand mes parents ont commencé, elle n’était que de 150 000 litres. Ils ont dû racheter des quotas, pour atteindre une taille suffisante et pouvoir gagner de quoi vivre. Depuis 1985, ils y ont consacré environ 250 000 euros, soit 10 millions de francs, le prix d’une villa ! Dix millions pour acheter le droit de travailler ! Dix millions qui ne vaudront plus rien en 2015. Et les gens croient que les quotas, ce sont des primes… « 

Le prix du lait, pour le consommateur, n’a pourtant pas baissé depuis la fin 2007.  » L’Europe, au nom de la libre concurrence, interdit aux vendeurs de s’entendre sur les prix, conclut Arnaud Louis, mais elle n’interdit pas aux grands acheteurs que sont Carrefour, Colruyt ou Delhaize de le faire. « 

MICHEL DELWICHE

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