» Le Premier ministre devait être un MR « 

Louis Michel regrette que son parti, le MR, ait été négligé ces dernières semaines. S’il devait céder son mandat à la Commission européenne, en juin, Michel père se battrait pour la cause francophone : empêcher trois Flamands d’occuper le devant de la scène internationale, aux postes de Premier ministre, de ministre des Affaires étrangères et de commissaire européen.

Le Vif/L’Express : La Belgique sort d’une nouvelle crise politique. Le principe sacré de la séparation des pouvoirs aurait été malmené. Qu’en dit-on dans les milieux internationaux ?

Louis Michel : Les difficultés politiques et communautaires ont gravement affecté le crédit de la Belgique. Dans le meilleur des cas, on me parle de mon pays de manière ironique. Le reste du temps, je perçois une profonde inquiétude. Le ton apaisant donné par le nouveau gouvernement Van Rompuy semble aujourd’hui bien perçu. S’il peut recréer la confiance, rendre un instinct de vie à cette Belgique en souffrance, je ne pourrai que m’en réjouir. Cela nécessite de la stabilité. Je plaide pour que ce gouvernement tienne jusqu’en 2011.

La chute de Leterme était inévitable ?

Je refuse d’émettre le moindre jugement de valeur. Laissons faire la commission d’enquête parlementaire. Sur la base des éléments dont on dispose, la démission du Premier ministre et du ministre de la Justice s’imposait.

Deux Flamands. Un même parti, le CD&V, qui pilote les opérations, alors que  » son  » Premier ministre s’est empêtré. Pourquoi les partis francophones sont-ils restés aussi passifs ?

Je ne cache pas que cela m’embarrasse très fort. Je trouve inacceptable que mon parti, le premier du pays, faisant partie de la première famille politique à la Chambre, ait été laissé dans l’ignorance durant plusieurs jours. C’est malsain et anormal. Si la tradition institutionnelle avait été respectée, le poste de Premier ministre serait revenu à un libéral francophone. Or, à aucun moment, ce scénario n’a été sérieusement envisagé. Il ne faudrait pas que cela se reproduise.

Par la faute de qui ? Vous critiquez l’entourage du roi ?

Non. Je ne sais pas qui a imposé ce choix. Seuls les états d’âme du CD&V ont compté. Un parti qui avait déjà eu sa chance à plusieurs reprises et qui, sans la N-VA, n’est plus le n° 1.

Les francophones ont-ils été les otages d’une crise flamande ?

Sans doute.

Et les libéraux, trop divisés, n’ont pu saisir leur chance ?

Vous ne m’entendrez pas dire ça. Didier Reynders est un homme d’Etat. Dès lors que d’autres francophones avaient une exclusive contre lui, il n’a pas voulu déstabiliser davantage le pays en ajoutant des exigences supplémentaires.

Reynders aurait-il été plus à l’aise s’il n’y avait l’épouvantail des commissions d’enquête Fortis ?

Rien à voir ! On lui fait un mauvais procès.

Guy Verhofstadt craint par d’éminents membres de l’Open VLD, son propre parti. Didier Reynders refusé par le PS (et le CDH). Et vous, on vous a testé ?

Non, je n’ai pas été sollicité. J’en aurais eu le potentiel, je crois. Comme Reynders.

Quelle frustration pour vous, Reynders et l’ensemble du MR, non ? Les chrétiens flamands ont été combattus et vaincus en 1999. Le PS a été battu en 2007. Et qui vous met des bâtons dans les roues aujourd’hui ? Le CD&V et le PSà

Oui. Moi, je n’ai aucune animosité envers des partenaires – c’est d’ailleurs déconseillé en politique. Je ne suis ni haineux ni irrespectueux. Mais, c’est vrai, cette situation suscite en moi un terrible sentiment d’injustice. Au cours des dernières décennies, l’histoire du pays a prouvé que ces deux partis étaient très souvent des alliés objectifs. Soyons francs, toutefois : nos difficultés présentes proviennent du refus initial de monter un gouvernement orange-bleu ( NDLR : libéral, chrétien et humaniste), réclamé par l’électeur.

Le libéral flamand Karel De Gucht, ministre des Affaires étrangères, brigue votre succession à la Commission européenne, après les élections de juin. Et on chuchote qu’Yves Leterme, Premier ministre évincé, pourrait alors se refaire une santé aux Affaires étrangères. C’est crédible ?

Je n’ai pas le sentiment que les francophones accepteront ça. Pas moi, en tout cas ! Trois Flamands à ces trois postes à haute visibilité internationale, sans compter le département de la Défense : ce ne serait ni convenable ni équilibré.

C’était la situation qui prévalait avant 1999.

Pas avec moi ! Les libéraux étaient dans l’opposition.

Quel mandat espérez-vous réellement ?

Je vais mener la liste pour les élections européennes. Ce sera un test grandeur nature. Je suis disponible pour diverses fonctions à responsabilités. A la Commission européenne, où je pense jouir d’un très grand crédit. Ou à l’échelon belge.

Seul le poste de ministre des Affaires étrangères vous intéresse ?

Non. Je n’ai jamais dit ça. Je peux être utile à d’autres niveaux de pouvoir.

Où ? Vous vous rêvez à la direction du gouvernement wallon ?

Je pourrais le faire pas trop mal.

Mais à quoi bon : le PS de Rudy Demotte et de Jean-Claude Marcourt loue désormais l’esprit d’entreprise. Qu’auriez-vous à apporter d’autre ?

J’estime ces gens. Mais l’original vaut toujours mieux que la copie.

Battre le PS sur ses terres : et si les libéraux devaient échouer ?

Je ne me pose pas la question. Une victoire du MR sur le PS signifierait la fin d’une position dominante en Wallonie. Le choix actuel est bipolaire : voter pour le MR ou pour le PS, puisque ce dernier a bétonné son alliance avec le CDH.

Quelle doit être l’attitude des francophones dans la perspective d’une nouvelle réforme de l’Etat ?

La fermeté francophone a été utile et légitime : en cartel avec la N-VA de Bart De Wever, le CD&V défendait des positions radicales inacceptables. Le cartel avait une vision mortifère de la Belgique. En face, le  » non  » brutal des francophones à toute négociation – que je regrette – a troublé les Flamands modérés, attachés à la Belgique fédérale et qui restent largement majoritaires. L’incompréhension a nourri une sorte de fatalité de la séparation. Aujourd’hui, les francophones doivent accepter de discuter en renonçant à agiter des épouvantails, sinon il n’y aura jamais d’apaisement communautaire. Le temps est venu pour une réforme de l’Etat profonde et définitive.

Votre parti, autant que le CDH, s’est longtemps braquéà

Non. C’est absolument faux. Le MR a très rapidement fait des ouvertures. Mon parti sait que les Régions sont le vecteur le plus dynamique du pays et offrant le plus de perspectives. Exemple : la Wallonie ne s’en sortira que si elle assume davantage son destin et ses responsabilités, retrouvant le goût du risque.

Que faut-il accepter ? Soudain, plus rien ne vous inquiète ?

Un peu plus d’autonomie fiscale, ça ne peut faire de mal. On s’est déjà avancé dans cette voie, et vous avez constaté un effet destructeur, vous ? La Flandre doit pouvoir financer des travaux ferroviaires autour du port d’Anvers ; si celui-ci gagne en compétitivité, la Wallonie en profitera. L’activation des chômeurs devrait être décidée au niveau des Régions. Et il ne doit pas y avoir de tabou quand on parle de la justice.

Philippe Moureaux, vice-président du PS, accepterait même de défédéraliser une partie de la sécurité sociale. Dans les allocations familiales, par exemple. Qu’en pensez-vous ?

Je veux bien écouter ce qu’il dit. A priori, je n’y suis pas favorable. Il est impensable de toucher à la solidarité interpersonnelle, sous peine de miner le système fédéral. Mettre un doigt dans l’engrenage, c’est risquer de détricoter tout le système de sécurité sociale.

Des ouvertures existent et, pourtant, aucune réelle négociation n’a débuté depuis les élections fédérales de juin 2007. Pourquoi ?

Le drame, dans ce pays, c’est qu’aucun gouvernement – fédéral, régional ou communautaire – ne dispose de plus d’un an et demi pour gérer tranquillement ses dossiers. Une élection en chasse une autre. Après 2011, il faudra allonger à cinq ans la législature fédérale et regrouper toutes les élections.

Les leaders politiques actuels semblent incapables d’oublier les petits jeux stratégiques et de transcender leurs querelles de personnes.

Je comprends ce que vous dites. Mais je refuse le syndrome des anciens combattants. La génération actuelle a largement le niveau. Peut-être est-elle trop influencée par les diktats de la société des médias, où il faut bien communiquer plutôt que savoir négocier. Les partis, eux, feraient bien de redéfinir le sens idéologique et philosophique qui motive leur action. Ils se ressemblent trop. Les gens finissent par croire qu’ils font les choses par opportunisme immédiat ou par hasard.

Entretien : Philippe Engels

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