Le porteur de lumières

Guy Gilsoul Journaliste

Conservés par l’Académie de Vienne, dix-huit tableaux de Rubens, acquis au tournant des XVIIIe et XIXe siècles par le comte de Lamberg, font escale à Bruxelles

Rubens fut, au XVIIe siècle, l’égal d’un Picasso pour le XXe: le génie de son temps. Même énergie créatrice, même intelligence perceptive, même sens de la provocation, même professionnalisme éblouissant: « Je ne cherche pas, écrivait l’Espagnol, je trouve. » Comme Picasso, Rubens (1577-1640) est un Prométhée, un porteur de lumières que le temps ne parvient jamais à rattraper. Comme le créateur de Guernica, l’auteur du Massacre de saint Liévin (musée d’Art ancien de Bruxelles) nourrit ses audaces dans les tremblements de son époque. L’un captera les signes de l’art africain et du modernisme français, l’autre, ceux de l’Italie du Caravage, de Titien ou encore du Tintoret. Mais, comme son confrère, de trois siècles son cadet, l’Anversois garde en lui ses racines. Entendez, sa Flandre natale avec ses nacres et ses irisations nuancées, ses nuages lourds et ses vents tempétueux. Comme ses ancêtres, mais avec une manière complètement renouvelée, il illumine les blancs à petits coups de brosse, nuance les gris, cristallise les bleus et noie les roses. Il aime, comme les « primitifs » de Bruges et de Gand, dire, avec tout l’art du peintre, la douceur de la soie, la légèreté d’une cotonnade et la vitalité d’un corps de jeune femme. Mais, pour redécouvrir Rubens, il faut s’approcher. Examiner ses petits formats qui sont, pour l’essentiel, des esquisses préparatoires, des idées déposées sur le cuivre, le bois ou la toile à l’adresse du commanditaire.

En réunissant une vingtaine de ces oeuvres venues directement de l’Académie de Vienne, l’exposition de l’hôtel de ville de Bruxelles reconstitue l’ambiance d’un cabinet particulier. On s’y régale. Car, comme Picasso, Rubens était un jouisseur: Le Jugement de Pâris sur cuivre est tout en suggestions, et l’or des fonds semble absorber une poudreuse mate et riche, en lieu et place d’un paysage et de quelques personnages. L’Annonciation est un tourbillon de rouges, de verts, de jaunes pâles et de verts d’eau. L’Ascension secoue toutes les lumières du ciel. Plus loin, un Silène rêvant chante à sa manière la beauté des raisins, le vin qui coule, la douceur des fourrures, la brillance des cuivres, mais aussi la menace des griffes et celle, plus impressionnante encore, de l’animalité du héros. Oui, le Silène est repoussant. Il sent la mort, la perversion, l’excès et, pourtant, il est beau, parce qu’il affirme l’inépuisable force de la vie: « L’art n’est jamais chaste », dira plus tard Picasso.

Bruxelles, Hôtel de Ville. Grand-Place. Jusqu’au 28 juillet. Tous les jours, sauf le lundi, de 11 à 18 heures. Tél.: 02-279 64 34. Le prix d’entrée, fixé à 8 euros, nous paraît cependant excessif.

Guy Gilsoul

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