Le petit format tient la grande forme

Un vent de dynamisme et de nouveautés souffle sur les quotidiens francophones. Ça décoiffe et ça rétrécit, enfin!

Vive la crise ! Il n’aura pas fallu plus de vingt ans pour que les quotidiens francophones belges, en recherche d’un nouvel élan, opèrent un spectaculaire basculement : entre 1984, année du changement de Vers l’Avenir, et la fin de 2004, ils auront sans doute tous adopté un plus petit format. C’est l’adieu aux encombrantes pages broadsheet impossibles à déployer dans les transports en commun, insupportables à plier proprement, si promptes à s’envoler au moindre zéphyr, et pourtant encore majoritaires dans nos kiosques aujourd’hui.

Les 4 titres régionaux de Sud Presse (qui passeront à 5) rétréciront le 13 mai. La Libre Belgique le fera le 21 mai. Le Soir suivra, mais en deux temps, avec, au cours de l’automne prochain, une première diminution au format « belge » (adopté par la majorité des journaux flamands), sans changer de mise en page, puis un nouveau rétrécissement dans une maquette complètement remaniée pour la fin de 2004 (voir notre tableau). A ce train-là, L’Echo resterait le seul journal en Communauté française à maintenir ses grandes dimensions actuelles. A moins que… « Nous ne sommes pas indifférents aux changements des concurrents, souligne son rédacteur en chef, Freddy Melaet. Nous étudions certains scénarios, en évaluant leurs impacts… »

Inventé en 1903

Quelle mouche a piqué les éditeurs ? Tout simplement l’absolue nécessité de garder leurs lecteurs et d’en séduire de nouveaux. Dans un marché qui ne cesse de se contracter globalement, le confort de lecture et la modernisation du produit sont devenus des priorités. Puisque le public ne va plus aussi volontiers vers les quotidiens, les quotidiens iront vers lui, en satisfaisant enfin une de ses vieilles revendications : avoir des journaux maniables, pratiques, où l’on retrouve aisément des informations bien balisées. Toutes choses que le petit format, en particulier le tabloïd, permet plus facilement.

En réalité, la découverte de ces vertus ne date pas d’aujourd’hui. « En 1903, lord Northcliffe inventait le tabloïd, en Angleterre, avec son Daily Mirror spécialement destiné aux femmes, explique Gabriel Thoveron, professeur émérite à l’ULB. Un siècle auparavant, le droit de timbre imposé sur chaque feuille de journal avait amené les éditeurs à travailler sur de grandes surfaces de papier, alors qu’à ses tout débuts la presse s’imprimait au format des livres. » Le droit de timbre sera aboli en 1848 chez nous et en 1855 en Grande-Bretagne, mais le grand format – avec ses coûteuses rotatives conçues pour lui – s’était imposé pour longtemps.

Il faudra attendre mars 1985 pour que le premier tabloïd apparaisse dans la presse belge. De Morgen se lançait dans l’aventure, en lorgnant avec envie le journal français Libération, son modèle avoué. Un an et demi plus tard, La Cité sera la pionnière du coté francophone. Mais le quotidien démocrate-chrétien cessera de paraître à la fin de 1987. La décennie suivante ne verra plus aucune tentative du genre, hormis, au printemps 1991, la très fugace parution de Libertés, héritier du Drapeau Rouge.

Le tabou des annonceurs

Aucun éditeur n’ignorait pourtant les avantages d’un petit format. Alors? L’obstacle, insurmontable à l’époque, venait de la publicité. En presse quotidienne, les annonces sont facturées selon leur surface, au millimètre par colonne. Autrement dit, une petite page rapporte considérablement moins qu’une grande (où les colonnes sont plus nombreuses et plus hautes), quand bien même l’impact visuel, pour le lecteur, est le même. Pour compenser ce manque à gagner, les journaux désireux de rétrécir devaient soit augmenter de beaucoup leurs tarifs, au risque d’effrayer des annonceurs, soit maintenir un grand nombre de colonnes étroites, ce que fit un moment Vers l’Avenir, au détriment de l’esthétique et de la lisibilité, en passant au format « belge » en 1984.

Troisième possibilité: miser sur une augmentation de la diffusion grâce au succès de la formule. C’est le pari que La Dernière Heure osera faire en avril 1997. Il lui a fallu deux ans avant d’en recueillir les premiers fruits. Depuis, l’éphémère expérience du Matin, le lancement du quotidien gratuit Métro et la multiplication, dans les journaux, des suppléments en petit format ont habitué le public au tabloïd et décrispé les annonceurs. « Nous n’avons pas beaucoup d’inquiétudes. Après tout, une page reste une page et les journaux seront plus attrayants », admet Bob De Paepe, administrateur délégué de l’Union belge des annonceurs. Par ailleurs, le système du millimètre/colonne n’est plus aussi monolithique puisque les grosses régies (rassemblant plusieurs quotidiens) vendent des espaces par page ou fraction de page. Bref, le bon sens donnant la priorité à l’impact visuel est lentement en train de triompher. « En télévision, les tarifs publicitaires ne changent pas parce que les écrans sont de tailles différentes! » plaisante Kris Lambrechts, directrice adjointe de la régie Scripta.

Le grand saut

Devenu moins périlleux, le grand saut vers le petit format n’en reste pas moins risqué. En devenant tabloïd ce lundi 13 mai et en changeant de titre pour certains d’entre eux (lire l’encadré page 26), les journaux de Sud Presse ( La Meuse, La Nouvelle Gazette, La Province, La Capitale, Le Quotidien de Namur) s’attendent à une perte de plusieurs dizaines de millions d’euros en recettes publicitaires. Mais l’opération s’imposait pour rajeunir et repositionner ces publications régionales, qui réalisent ensemble les plus grosses ventes de la presse quotidienne francophone. Proches de leurs lecteurs, elles se distingueront de leurs concurrents de Vers l’Avenir par un caractère plus urbain, promet le rédacteur en chef Didier Hamann.

A La Libre Belgique aussi, le changement de dimensions ira de pair avec d’autres nouveautés. Avec une maquette qui s’annonce très dépouillée et un logo qui s’écrira dorénavant en minuscules et qui maintiendra le mot « Belgique », le quotidien chrétien proposera chaque jour un cahier thématique. « Nous accentuerons aussi davantage nos atouts que sont le débat et le mélange des articles longs et très courts », souligne Jean-Paul Duchâteau, directeur de la rédaction. Quant au Soir, le choix de ne pas adopter le tabloïd mais un format un peu plus grand tient, explique son directeur Daniel Van Wylick, à trois raisons : se différencier des autres, maintenir une offre abondante sans faire des journaux exagérément épais, et garder des suppléments à demi-format. Plus d’un milliard de francs seront investis dans de nouvelles rotatives, indispensables pour imprimer, dans deux ans, le nouveau Soir.

Qui s’en plaindra ? Toutes ces nouveautés relèvent d’un dynamisme contagieux dont on doutait, voici peu de temps encore, qu’il fût possible au sud du pays.

Jean-François Dumont

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire