Le parquet fédéral, fin prêt

La Belgique entre dans le cercle des pays qui confient à quelques magistrats de choc la lutte contre le crime organisé

Ni le Conseil d’Etat ni le Conseil supérieur de la justice (CSJ), emboîtant le pas aux critiques des magistrats du ministère public, ne raffolaient de ce projet: le parquet fédéral est pourtant là, porté par la volonté politique de concentrer en quelques mains, sous l’autorité du ministre de la Justice, la lutte contre la criminalité organisée. Désormais, la Belgique dispose d’un corps de super-magistrats: compétents sur l’ensemble du territoire et détenant la clé des contacts internationaux, ainsi que la responsabilité de la surveillance de la police fédérale. Comme il n’existe pas d’institution équivalente de juge d’instruction fédéral, ces magistrats fédéraux travailleront avec les juges d’instruction localement compétents. Le parquet fédéral sera installé à Bruxelles, au plus tard le 21 mai prochain, mais la parution au Moniteur des nominations du procureur fédéral et des dix premiers magistrats fédéraux met déjà ceux-ci sur pied de guerre.

C’est un magistrat encore inconnu du grand public, Serge Brammertz, qui endosse la casaque du procureur superstar ( lire ci-contre). Il est entouré de dix magistrats fédéraux, sélectionnés par le Conseil supérieur de la justice sur la base d’exigences particulières, dont la connaissance des langues. Pour éviter de déplumer encore un peu plus le parquet de Bruxelles, vivier de bilingues et d’experts en tout genre, le CSJ s’est abstenu de présenter au ministre de la Justice, Marc Verwilghen (VLD), les huit magistrats supplémentaires prévus au cadre (hors procureur fédéral) et qui seront nommés pour la fin de l’année. « Ce n’est d’ailleurs pas plus mal de commencer avec un petit staff, puis l’étoffer ensuite, commente Serge Brammertz. Ce sera même mieux pour élaborer avec les procureurs généraux et les procureurs du roi des régles de fonctionnement et des critères objectifs de saisine. »

Coordonner

On s’était déjà habitué à l’existence, officialisée en 1997, de trois magistrats nationaux. Ils étaient chargés de la coordination de l’action publique en Belgique et de la coopération internationale. Rien que du travail discret et d’arrière-plan. Exemple: traiter en urgence quelque 500 demandes par an de commissions rogatoires internationales de l’étranger vers la Belgique. Epauler toutes les démarches de coordination dans les enquêtes difficiles. La grande nouveauté du parquet fédéral qui leur succède, c’est qu’il pourra exercer lui-même l’action publique dans la recherche et la poursuite d’une vaste série d’infractions: atteinte à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité nucléaire, crimes de droit international, actes de terrorisme, trafic aggravé des armes. Il pourra théoriquement se saisir de toute affaire qui dépasse les limites d’un ressort de cour d’appel ou qui ont une dimension internationale – ce qui se rencontre assez fréquemment dans les 27 parquets d’arrondissement que compte le pays, jamais bien loin d’une frontière. « Le parquet fédéral ne va jamais régler le problème de la criminalité organisée en Belgique, explique Serge Brammertz. Il y aura toujours nécessité d’une collaboration avec les parquets. Nous sommes d’abord un organe d’appui, qui fait de la coordination et de la coopération internationale. Nous n’exerçons l’action publique que pour autant que nous puissions y apporter une plus-value pour la bonne administration de la justice. »

Cette « plus-value » est déterminée par un ensemble de critères objectifs, appelés à prendre la forme de circulaires. L’écueil prévisible ? Une sorte de guerre larvée entre la nouvelle institution et les parquets de première instance, frustrés de devoir partager leur terrain de chasse avec des « superpros » venus de la capitale. Le parquet fédéral est soumis à une double menace: l’asphyxie due à l’afflux d’un trop grand nombre d’affaires autant que la rétention, par les procureurs du roi, des dossiers les plus intéressants. La concertation est prêchée mais, si elle échoue, c’est le procureur fédéral qui tranchera. Celui-ci a également le dernier mot lorsqu’il s’agira de déléguer temporairement tout ou partie de ses compétences à un magistrat du ministère public, dans un arrondissement ou un ressort de cour d’appel. Bref, de lui donner momentanément la « casquette » de magistrat fédéral. Le ministre de la Justice pourra, lui aussi, détacher un substitut doté d’une expertise particulière au parquet fédéral. Au risque de perturber le fonctionnement déjà difficile, pour cause de pénurie de personnel, des parquets d’instance… Pour toutes ces raisons, l’apparition du parquet fédéral dans le paysage judiciaire belge suscite un certain scepticisme et pas mal de craintes.

Cette nouvelle institution fait partie d’un plan plus vaste, né des accords Octopus sur les réformes de la justice et de la police, conclus, en 1998, entre 8 partis démocratiques de l’opposition et au pouvoir, suite aux défaillances de l’appareil pénal dans la lutte contre la criminalité organisée (échec des enquêtes sur les tueries du Brabant) ou les disparitions d’enfants. Ces accords portaient sur la refonte des services de police (mise en route avec moult difficultés), la création du Conseil supérieur de la justice (dont l’indépendance fait déjà pâlir certains politiques) et la réforme du ministère public. Cette dernière n’a guère avancé sous l’actuelle législature. A l’exception du parquet fédéral. Voilà pourquoi il bénéficiera, sans aucun doute, d’un véritable lancement promotionnel.

Marie-Cécile Royen

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