Le pari de la privatisation

C’est la grogne dans les entreprises publiques congolaises : 20 d’entre elles devraient être transformées en sociétés commerciales. Encore faut-il que le secteur privé veuille entrer dans le capital, dont l’Etat conserverait au moins 51 %.

Trente-six ans après la  » zaïrianisation  » déclenchée par Mobutu, Kabila junior entame une contre-révolution : les décrets publiés le 24 avril dernier par le Premier ministre Adolphe Muzito ouvrent la voie à la privatisation de 20 entreprises d’Etat. Ils prévoient la transformation en sociétés commerciales de cinq sociétés du secteur des mines et de la métallurgie (Gécamines, Office des mines d’or de Kilo-Moto, Société de développement industriel et minier au Congo, Entreprise de Kisenge Manganèse et Société sidérurgique de Maluku), de la Société nationale d’électricité (Snel), de la Congolaise des hydrocarbures, de la Regideso, de plusieurs sociétés du secteur des transports (chemins de fer, régies des voies aériennes et maritimes, Lignes aériennes congolaises…), de l’Office congolais des postes et des télécommunications, de la Caisse d’épargne du Congo et de l’Hôtel Karavia de Lubumbashi.

Malgré l’engagement du gouvernement à créer un fonds spécial pour veiller au paiement du personnel de ces sociétés en cas de désengagement de l’Etat, les travailleurs, lassés par les promesses non tenues, sont inquiets. Notamment les mineurs de la Gécamines qui ont débrayé plusieurs jours en mai revendiquant le paiement de 55 mois d’arriérés de salaire. L’intersyndicale du Congo menace de lancer une grève générale pour contraindre le gouvernement à abandonner ce programme. Mais la ministre du Portefeuille, Jeannine Mabunda, une ancienne de l’Ichec à Bruxelles, fidèle à sa réputation de  » dame de fer « , reste inflexible. L’Etat doit jouer un rôle de régulateur et laisser celui de commerçant au secteur privé, dit-elle. Beaucoup estiment qu’une réforme est nécessaire, en raison de la déficience des services rendus par ces sociétés.

Le gouvernement congolais lui-même en est conscient depuis longtemps, comme en témoigne sa décision en 2007 de confier la gestion de la Société nationale des chemins de fer au Belge Patrick Claes, de la compagnie Vecturis, remplacé récemment par son compatriote Freddy Strumane. Il y a trois ans, le ministre belge des Affaires étrangères, Karel De Gucht, avait plaidé pour la privatisation de l’économie congolaise durant un séminaire sur les transports à Kinshasa.

Les sempiternelles pannes d’électricité à Kinshasa ont aussi incité à une réforme de la Snel, à qui son nouveau statut commercial pourrait rendre la liberté d’instaurer des tarifs réalistes, susceptibles d’attirer l’investissement. La fin du monopole de la production est déjà effective, mais le nouveau contexte permettra au privé, et pourquoi pas à des sociétés belges, de s’engouffrer dans le secteur de la distribution et du transport de courant électrique. Le nouveau cadre pourrait aussi préparer l’implication du secteur privé dans des mégaprojets, tels les barrages hydroélectriques Inga III ou Grand-Inga sur le fleuve Congo.

Sont aussi concernées par ces décrets les sociétés privées partenaires de la Gécamines. Potentiellement, ils ouvrent la voie à des modifications dans l’actionnariat des joint ventures, comme la Kamoto Copper Company, dans laquelle le Belge George Forrest détient des participations.

Le risque d’alimenter la  » mégestion « 

Mais on n’en est pas là. Pour l’instant, les conseils d’administration restent en place. Ils doivent proposer dans six mois un diagnostic des entreprises, une stratégie de restructuration et un plan social, explique le président du Conseil supérieur du portefeuille, Aristide Kasongo. Elles devront aussi élaborer des appels d’offres internationaux en vue de la cession d’une partie des actifs.

L’Etat devrait conserver une influence, voire une mainmise sur les anciennes entreprises paraétatiques. Dans un premier temps, il détiendra au moins 51 % des parts sociales, quitte à ne garder par la suite des actifs que dans des sociétés considérées comme stratégiques. Le désengagement de l’Etat peut consister aussi en une renonciation à souscrire à une augmentation du capital social, à une concession de service public ou à un transfert de gestion à des tiers.

Le choix de l’Etat de rester majoritaire suscite le scepticisme.  » Qui a envie d’être actionnaire minoritaire d’un mastodonte agonisant, sans avoir les mains libres pour l’assainir ?  » interroge un homme d’affaires de Kinshasa. En outre, il va falloir démêler l’écheveau des dettes de ces entreprises envers l’Etat. Dans le cas de la Snel, elles atteignaient déjà 291 millions de dollars à la fin de 2007 ! Mais, par ailleurs, la compagnie d’électricité possédait 458 millions de créances, dont 269 millions sur la Gécamines et 110 millions sur la Regideso. Un consultant belge fait remarquer qu’il convient aussi de mettre en place des garanties pour que l’apport d’argent frais se traduise par des investissements productifs et l’amélioration des services. A défaut, on risque d’alimenter ce que les Congolais qualifient joliment de  » mégestion « .

Le très populaire Moïse Katumbi, gouverneur du Katanga, mais aussi homme d’affaires, émet des réserves sur l’orientation prise par le gouvernement. A la Gécamines, il faudrait d’abord résoudre les problèmes de l’entreprise, estime-il, s’interrogeant aussi sur la pertinence de transformations simultanées dans autant de sociétés. A son avis, il vaudrait mieux faire un test avec une ou deux sociétés, et aller de l’avant progressivement si les résultats s’avéraient concluants.

François Misser

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