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Le parcours du combattant

Formé chez les amateurs, il a connu des débuts précoces chez les professionnels, avant de tomber dans les oubliettes à Chypre, de se retrouver au chômage et de se relancer en Slovaquie pour, finalement, signer un contrat à La Gantoise. Rencontre avec Rangelo Janga (25 ans), un produit de Rotterdam-Ouest.

À Schiemond, un quartier de Rotterdam-Ouest, la frontière entre le bien et le mal est très mince. La criminalité chez les jeunes est très forte, le chômage est important, les mères adolescentes sont nombreuses, l’absentéisme à l’école est fréquent, la misère et la drogue font rage, tout comme la prostitution et la violence.  » Un quartier arriéré « , affirme Rangelo Janga qui en est issu tout comme Georginio Wijnaldum (Liverpool) ou Royston Drenthe (ex-Real Madrid).

 » On passait le plus clair de notre temps dans la rue. Certains avec un ballon, d’autres avec des intentions moins louables. Moi, ma passion, c’était le football. J’y jouais tous les jours. C’est là que j’ai développé cette mentalité de toujours vouloir gagner et de ne jamais abandonner. Le caractère de la rue.  »

Janga reste fier de ses origines. Lorsqu’il a inscrit ses premiers buts dans le football professionnel sous le maillot de Willem II, il a formé la lettre W (comme West de Rotterdam-Ouest) avec ses mains. D’autres l’ont imité. À Schiemond, ils étaient fiers de leurs gamins.

Parcours atypique

Rangelo Janga, fils de parents originaires de Curaçao, a grandi  » confortablement et sans problèmes « . La mère travaille dans le commerce des fleurs, le père a une petite entreprise qui se charge d’éliminer l’amiante. Il est le plus jeune des trois enfants – un frère et une soeur -, le seul qui ne soit pas né à Curaçao.

La maison familiale était située à dix minutes à vélo de Het Kasteel, l’antre du Sparta Rotterdam.  » Un très beau club, mais les jeunes s’entraînaient encore de l’autre côté de Rotterdam, à l’époque.  » Janga a choisi une autre route et s’est affilié au SV Jai Hind Rotterdam, un petit club amateur qui jouait en 5e ou 6e division.  » Je voulais simplement jouer au football.  »

L’un de ses amis l’a recommandé auprès de l’entraîneur de l’Excelsior Maassluis. Le coach ne l’a pas regretté. Il était rapide, avait le sens du but, et était déjà grand pour son âge.  » J’étais grand et mince. ( il rit) Mon maillot de football était toujours trop petit, je me sentais un peu mal à l’aise dedans.  »

Les jeunes de l’Excelsior Maassluis jouaient en Eerste Divisie, le deuxième échelon du football néerlandais. Pour Janga, l’écart est grand.  » Au début, j’avais beaucoup de mal. Et subitement, après trois ans de compétition, certains clubs se sont intéressés à moi.  »

Il a opté pour l’Excelsior Rotterdam.  » L’entraîneur m’a dit que je jouerais chaque semaine contre les meilleurs clubs des Pays-Bas. Un club familial et chaleureux, dont j’ai toujours conservé un bonne image.  »

Le centre-avant a été élu meilleur joueur de l’Eredivisie U17 et a reçu une convocation pour l’équipe nationale de la même catégorie, avec laquelle il a perdu de justesse la finale de l’EURO contre l’Allemagne, qui alignait Mario Götze et Marc-André ter Stegen. Et… Arsenal s’est intéressé à lui !  » Je m’y suis rendu, avec mon père. Robin van Persie jouait encore chez les Gunners. Dans la salle de musculation, j’ai aperçu Emmanuel Adebayor et Emmanuel Eboué. Un sentiment indescriptible. Arsenal voulait vraiment m’engager, mais mon père a exigé que je termine d’abord mes études aux Pays-Bas. Je n’ai pas eu le choix. ( il rit) Des regrets ? Beaucoup de gens m’ont posé la question, mais qui peut m’assurer que j’aurais réussi à Arsenal ?  »

Le ciel et l’enfer

De Kuip (Feyenoord), Het Kasteel (Sparta) ou Woudestein (Excelsior) : Janga a fréquenté les trois stades. « Lorsque j’étais enfant, c’est pour Feyenoord que j’avais le plus de sympathie et ça n’a pas changé. Même si, en tant que Rotterdamois, j’ai envie que les trois clubs gagnent. Cela dit, honnêtement, je n’ai aucune aversion contre Amsterdam. Je pourrais jouer sans problèmes pour l’Ajax. C’est peut-être dû au fait que je n’ai jamais joué pour Feyenoord.  »

Pourtant, Feyenoord s’est intéressé à lui durant l’été 2009, après sa première saison à l’Excelsior. Le coeur a dit oui, mais la raison l’a poussé vers Willem II.  » À Feyenoord, j’aurais dû commencer avec les A2, la deuxième équipe des U19, mais je savais aussi que Luc Castaignos jouait avec les A1. Un grand talent, que j’aurais eu du mal à concurrencer.  »

À 17 ans, il signe un contrat de trois ans à Tilburg. La saison suivante, il monte au jeu quelques fois en équipe Première puis débute comme titulaire contre Vitesse avec un but à la clef. Il réédite cet exploit contre l’Ajax, mais ne peut éviter la relégation. Le nouveau coach amène alors tout un lot de nouveaux joueurs et le jeune attaquant retombe dans l’anonymat.  » J’étais souvent le deuxième choix, parfois même le troisième. Heureusement, l’Excelsior a accepté de me louer pendant la trêve hivernale. Beaucoup de gens ont trouvé ça bizarre : alors que j’étais remplaçant en D2, j’étais titulaire en D1. Hélas, on est descendu avec l’Excelsior également.  »

Il a signé pour deux ans à l’Excelsior, mais ce fut une saison compliquée dans les profondeurs du classement. Sous la houlette du nouvel entraîneur, Marinus Dijkhuizen, il est retourné sur le banc.  » Je pouvais comprendre cette décision. Lars Veldwijk, mon concurrent en attaque, a inscrit 30 buts et délivré 10 assists.  »

Il a joué quelques matches avec les Espoirs de Feyenoord, avec qui l’Excelsior avait un accord de collaboration.  » Jouer avec un maillot de Feyenoord alors que l’on est payé par l’Excelsior, c’est bizarre. ( il rit) Je ne m’entraînais jamais avec ces garçons, et de temps en temps, je recevais un coup de téléphone le week-end : -Lundi, tu viens jouer avec les jeunes de Feyenoord.  »

Après la promotion de l’Excelsior, on lui donne son bon de sortie. C’est le début d’une période difficile.  » Pendant deux ou trois mois, je me suis retrouvé sans club. Lorsque mon agent m’a parlé d’un club de D2 chypriote ( Omonia Aradippou, ndlr), je lui ai répondu : -OK, je n’ai quand même rien. C’était dur. Je ne parlais pas la langue et pour la première fois de ma vie, j’ai dû me débrouiller seul. Cuisiner, nettoyer, laver les vêtements… J’ai joué tous les matches, mais il n’y avait quasiment pas de spectateurs. C’était du football amateur, mais lorsque j’y repense, je me dis que je m’y suis endurci mentalement.  »

Ça a surtout eu le don de le réveiller. Car, il s’en rend compte :  » Si on cesse de travailler dur, on n’arrive nulle part. J’ai ma part de responsabilités. Lorsque j’ai atteint l’équipe Première à Willem II et que j’ai marqué, je me suis dit : -Voilà, j’ai réussi. Je me sentais fort, je gagnais de l’argent et je n’étais pas concentré sur mon métier. On n’a rien sans rien, je m’en suis aperçu à Chypre.  »

Enfin…

Aux Pays-Bas, personne n’attendait un retour de Janga, qui a encore vécu un été 2015 très compliqué. Des mois sans club.  » À ce moment-là, j’ai vraiment pensé que je pouvais faire une croix sur ma carrière pro « .

Il a pu partir en tournée à travers les Pays-Bas avec le Team VVCS ( les joueurs sans contrat, ndlr).  » Je me suis rendu compte que j’avais encore le feu sacré. Je me suis donc mis moi-même à la recherche d’un club et j’ai pu m’entraîner avec l’équipe de Dordrecht, comme amateur.  »

Là, l’attaquant redonne un nouvel élan à sa carrière. Après quelques buts, il reçoit un contrat de deux saisons, qu’il a justifié en inscrivant 21 buts en championnat. Il est alors appelé par Patrick Kluivert en équipe nationale de Curaçao. ( voir encadré)

Seconde récompense : un transfert à l’AS Trencin, champion de Slovaquie.  » Pour être honnête, je n’avais encore jamais entendu parler de ce club. Je me suis renseigné auprès de mon coéquipier à Curaçao, Gino Van Kessel, qui y avait joué. Il s’est montré élogieux.  »

Dans le club de Tscheu La Ling, un ancien attaquant de l’Ajax, il débute en inscrivant deux buts contre l’Olimpija Ljubljana. Un début de rêve.  » De l’équipe des joueurs sans contrat à la Ligue des Champions, imaginez-vous. Tout ça, en un an. Tout peut aller très vite.  » Il est devenu le meilleur buteur du club, avec 14 buts, et s’est aussi senti comme un poisson dans l’eau en dehors du terrain.  » On me reconnaissait en rue, dans cette petite ville dont on a fait le tour en dix minutes. Et où la vie est très bon marché.  »

Il a continué à marquer durant sa deuxième saison en Slovaquie. 14 buts en 17 matches, personne n’a fait mieux en Fortuna Liga. Le Sparta, qui luttait contre la relégation, a voulu le rapatrier durant la trêve hivernale. Il y avait aussi un vague intérêt de Russie et d’Italie, mais La Gantoise s’est montrée la plus concrète.  » Je m’y plais beaucoup. Un attaquant qui gagne et qui marque, est toujours heureux. Mais Gand, c’est encore un échelon plus haut. Que j’ai atteint après un long détour, oui. La plupart des gens qui m’avaient vu à l’oeuvre autrefois, m’avaient prédit un avenir doré. Mais je n’ai finalement que 25 ans. Je suis surtout content pour mes parents. Mon père vient toujours me voir, même lorsque je joue en déplacement. Parfois, ma mère vient aussi. La voir en tribune, ça me donne de l’énergie.  » S’il marque encore, refera-t-il le geste W ?  » C’est promis !  »

Rangelo Janga :
Rangelo Janga :  » Je suis fier de défendre les couleurs du pays de mes parents et de mes grands-parents. « © BELGAIMAGE

Fier de Curaçao

Lorsque Patrick Kluivert, le sélectionneur de l’époque, l’a invité à rejoindre l’équipe nationale de Curaçao, Rangelo Janga n’a pas hésité un seul instant.  » Je suis fier de défendre les couleurs du pays de mes parents et de mes grands-parents « , dit-il.

L’été dernier, la sélection a écrit une page d’histoire en remportant pour la première fois la Coupe des Caraïbes. Janga a inscrit le 2-1 de la tête contre la Martinique en demi- finale et Curaçao a ensuite battu la Jamaïque en finale. Grâce à cette victoire, l’équipepourra participer l’an prochain à la Copa América, une première.

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