Le padre de l’équitable

Francisco Van der Hoff, cofondateur du label Max Havelaar, publie un plaidoyer bref et inspiré pour un monde où les profits seraient mieux partagés. Rencontre.

Max Havelaar n’existe pas. Le label qui orne un millier de produits équitables porte le nom d’un héros de roman néerlandais du xixe siècle. Francisco Van der Hoff, lui, est bien vivant, malgré une double opération du c£ur l’an dernier. A 71 ans, le  » padre Francisco « , inventeur du commerce équitable, ne quitte sa sierra mexicaine, où il s’est installé voilà trente ans, que pour porter la bonne parole. En espagnol de préférence, sa langue maternelle, assure celui qui est pourtant né Frans, aux Pays-Bas, en 1939. Et avec un objectif précis :  » Parler avec le patron de Carrefour, ce serait perdre mon temps. Seuls les consommateurs peuvent faire changer les choses. « 

Le revenu quotidien des paysans a doublé

Ce mardi d’automne, Francisco Van der Hoff vient juste d’arriver à Paris, pour présenter son Manifeste des pauvres. Un petit livre jaune, écrit en huit jours, dans une case en bois, avec la complicité de Jean-Pierre Blanc, PDG des cafés Malongo, et du journaliste Aymeric Mantoux. A peine 80 pages, en forme de testament d’une vie. Et quelle vie ! Issu d’une famille catholique agricole, Frans suit des études en théologie et s’engage, à 22 ans, dans une organisation religieuse, celle des prêtres-ouvriers du Sacré-C£ur-de-Jésus. En 1968, il prête sermentà et grimpe sur les barricades. C’est le début d’une longue révolte, qui l’entraîne de l’Europe à l’Amérique latine, dans le sillage de la théologie de la libération. Installé à Mexico après avoir fui le Chili, il accueille et protège les réfugiés des dictatures. Menacé par la CIA, il doit s’éloigner de la ville et débarque, en 1980, dans la région d’Oaxaca, où l’évêque local l’envoie auprès de paysans indiens qui survivent à peine de la culture du café.

Dans cette sierra dominée par la forêt tropicale, les indigènes sont coupés du monde, considérés comme des  » animaux  » par les populations d’en bas. Nourri de Marx, de Gramsci mais aussi de Bourdieu et de Foucault, Van der Hoff cherche à leur ouvrir les yeux sur l’exploitation dont ils sont victimes :  » Ils vendaient leur café au tiers du coût de production « , s’étrangle-t-il encore aujourd’hui. Il lui faut des mois pour cimenter des groupes aux dialectes et aux rites différents. En 1982, la coopérative Uciri est fondée par trois communautés. Elle exige des acheteurs un prix qui permet à chaque producteur de subvenir à ses besoins et qui intègre une prime pour la protection de l’environnement et le développement social. Le commerce équitable était né. En 1988, avec un compatriote, responsable de l’ONG Solidaridad, rencontré à la gare d’Utrecht, Van der Hoff lance le label Max Havelaar.

Aujourd’hui, Uciri regroupe 58 communautés. Le revenu quotidien des paysans a doublé : il est passé de 1 à 2 euros.  » On se bat pour une vie décente, pas pour une vie meilleure « , lâche le prêtre-ouvrier que ses quatre doctorats n’ont pas empêché de cultiver la terre, comme les autres.  » Aux côtés des pauvres, j’ai appris à survivre dignement « , dit-il. Une leçon de sagesse. Quand on évoque la crise, il sourit.  » La crise ? Quelle crise ? Les pauvres sont en état de crise permanente. « 

Si le fondateur de Max Havelaar critique volontiers les dérives du label et les dangers de la récupération, il garde une satisfaction : 1,5 million de producteurs dans le monde vivent aujourd’hui du commerce équitable. Exemple à l’appui, il a prouvé qu’un autre modèle est possible.  » Le capitalisme repose sur une foi aveugle selon laquelle le marché n’a pas besoin de règles. Grâce à la crise, nous allons progresser vers plus de connaissance et vers des alternatives concrè- tes « , conclut-il. Parole de prêtre.

Valérie Lion

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire